Terreur chez les scientifiques américains : « Trump est littéralement en train d’effacer notre travail »

Confrontés à une vague de licenciements et à des coupes budgétaires sans précédent, de nombreux scientifiques états-uniens envisagent de fuir leur pays pour poursuivre leurs recherches à l’étranger. Trois d’entre eux nous livrent leur témoignage dans le cadre de notre série d’articles sur l’exil scientifique. 

Terreur chez les scientifiques américains : « Trump est littéralement en train d’effacer notre travail »
Extrait du film « Tout sur ma mère » de Pedro Almodóvar (1999) © Pathé / Warner Bros.

Des vagues de licenciements massives au sein des agences fédérales, des coupes budgétaires drastiques imposées aux universités, des milliers de sites gouvernementaux rendus indisponibles, d’innombrables données sur le climat, la diversité et le genre effacées… Aux États-Unis, la guerre contre la science va bon train.

Tant et si bien qu’un nombre croissant de scientifiques américains envisagent de fuir leur pays pour poursuivre leurs recherches à l’étranger. Depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir le 20 janvier, la société allemande Max Planck a ainsi observé un doublement des candidatures d’universitaires américains à son programme de chefs de groupe de recherche. Même constat du côté de l’université d’Aix-Marseille (AMU) qui, le 6 mars, a lancé son programme Safe Place for Science. Le but ? Débloquer 15 millions d’euros sur trois ans pour accueillir 15 scientifiques américains réfugiés. Une centaine de chercheurs ont d’ores et déjà postulé à cette offre. 

Deux d’entre eux ont accepté de nous partager les raisons de leur exil. Mais à deux conditions : que leur témoignage soit anonymisé et que nous échangions par le biais d’une messagerie cryptée. Et pour cause, « la plupart d’entre eux sont très angoissés à l’idée que leur identité soit révélée, nous explique l’AMU. Ils ont peur de tout perdre ». Nous avons donc modifié leur prénom. Le troisième scientifique, Keolu Fox, n’a quant à lui pas requis l’anonymat. Il n’a pas postulé au programme d’accueil de l’université Marseille-Aix mais n’exclut pas la possibilité de fuir les États-Unis.

Mia, chercheuse en sciences sociales, spécialisée dans l’éducation au dérèglement climatique :

« Je me sens à la fois vide et inquiète depuis que Trump est président. Vivant en Floride, un État dirigé par les républicains depuis des décennies, j’étais déjà habituée à ce que l’éducation et la science soient la cible d’attaques récurrentes. Les politiques anti-diversité, équité et inclusion (DEI) du gouverneur Ron DeSantis, pour ne citer qu’elles, ont profondément érodé notre système éducatif.

Désormais, avec Donald Trump au pouvoir et Elon Musk à la tête du ministère de l’Efficacité gouvernementale (DOGE), on fait face à une véritable purge qui a mené au licenciement de milliers de scientifiques. Jusqu’à présent, je bénéficiais de financements fédéraux, comme de nombreux autres chercheurs, mais ces filets de sécurité ont disparu. Mon université est sous le coup de coupes budgétaires importantes et a perdu de nombreuses subventions. On se sent en permanence en danger. Un de mes collègues a été licencié pour s’être opposé à l’interdiction des programmes de diversité. Même notre président a été poussé vers la sortie.

Les restrictions affectent jusqu’à la manière dont nous rédigeons nos travaux. Des intelligences artificielles analysent désormais les sites web des universités à la recherche de mots interdits par l’administration Trump comme « femme », « climat » ou « diversité ». Pire encore, ces machines épinglent les profils de certains enseignants. Mon nom figure sur une liste de personnes signalées. L’administration refuse de dévoiler ce qu’elle compte en faire. »

« Mon nom figure sur une liste de personnes signalées. L’administration refuse de dévoiler ce qu’elle compte en faire. »
Mia, chercheuse en sciences sociales en Floride

« Le contrôle du gouvernement sur la langue s’est également étendu aux ressources fédérales. Par exemple, les rapports régionaux de l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (EPA) sur la justice environnementale, qui constituaient une ressource précieuse pour les enseignants, ont été supprimés. Ce n’est là qu’un exemple parmi tant d’autres, illustrant la manière dont la recherche et l’éducation sont étouffées.

Si le programme autocratique de Trump aboutit, mon travail sur le dérèglement climatique et la justice sociale deviendra impossible. C’est pourquoi j’envisage de quitter les États-Unis et de me réfugier en France, où des programmes d’accueil de scientifiques américains sont en train d’être mis en place au sein d’universités. J’ai déjà envoyée une candidature à l’université d’Aix-Marseille. Je suis dans l’attente d’une réponse. Je ne suis pas la seule à vouloir partir, malgré les difficultés administratives, logistiques et émotionnelles qu’un tel déménagement représente. Il y a un véritable mouvement de scientifiques américains en exil qui, je pense, va s’amplifier.

Je ne m’attends pas à ce que les choses reviennent à la normale après le mandat de Trump. L’érosion continue des institutions scientifiques et le licenciement de scientifiques fédéraux auront des conséquences durables. »

Oliver, médecin clinicien affilié à une prestigieuse université américaine :

« Lorsque Donald Trump est sorti gagnant des élections présidentielles pour la seconde fois, on se doutait qu’il y aurait des changements, notamment dans le domaine de la recherche, mais pas qu’ils soient aussi radicaux. Les universités sont ciblées par les politiques de Trump avec une agressivité sans pareil (dans l’histoire des États-Unis, ndlr). Le financement de certains organismes cruciaux pour la santé des citoyens américains, comme les Instituts nationaux de la santé (NIH), ont été gelés.

Personnellement, j’ai peur de m’exprimer publiquement ou même d’identifier mon employeur par peur qu’on subisse davantage de coupes budgétaires ou, pire, des licenciements de personnels pourtant essentiels dans les services d’urgence. Les politiques du gouvernement actuel ne font qu’entraver davantage notre capacité à soigner les patients. Les coupes budgétaires auront des effets dévastateurs sur la recherche et les soins cliniques, et le système n’est pas en mesure d’y résister. Les démocrates ont perdu le contrôle de la Chambre des représentants, du Sénat et du pouvoir judiciaire, ce qui les laisse démunis dans la lutte pour la protection de ces valeurs essentielles. Tant qu’une stratégie de résistance plus efficace n’aura pas vu le jour, l’avenir restera incertain. »

« J’ai peur de m’exprimer publiquement par peur qu’on subisse davantage de coupes budgétaires ou, pire, des licenciements »
Oliver, médecin clinicien affilié à une prestigieuse université américaine

« Aujourd’hui, je pense sérieusement à fuir les États-Unis pour préserver ma liberté académique et scientifique. C’est ironique de se dire que je pourrais quitter le pays qui a été un jour le phare de la liberté et de la démocratie. Les États-Unis étaient autrefois un pôle d’attraction pour les talents universitaires, attirant les plus brillants du monde entier. Aujourd’hui, non seulement ils s’en prennent aux universitaires immigrés, mais ils s’attaquent également aux fondements mêmes de la recherche universitaire.

Même si je réfléchis sérieusement à quitter les États-Unis, cette décision reste tout de même difficile à prendre, tant elle affecte tous les aspects de ma vie, y compris ma famille. Travailler dans un autre pays implique de nombreux défis : la barrière de la langue pour interagir avec mes nouveaux collègues et les patients, mais aussi des questions pratiques comme la recherche d’un logement. C’est un changement majeur, et je ne suis pas encore sûr de pouvoir le faire. Cependant, j’ai toujours été du côté de ceux qui croient en la liberté et en la démocratie. Et, aujourd’hui, ces principes sont menacés par la politique de Donald Trump. »

Keolu Fox, généticien à l'université de Californie à San Diego, spécialiste en division génomique humaine :

« Donald Trump est littéralement en train d’effacer le travail des scientifiques et leurs données en licenciant des milliers d’entre eux, en réduisant leur budget et en interdisant des centaines de mots. Le président entrave le bon fonctionnement de la recherche, y compris dans le domaine de la génomique.

Les conséquences de ces actions seront dramatiques, surtout pour les futures générations d’étudiants. Les coupes budgétaires et la politique générale de l’administration Trump freinent l’avancement de la science et entravent notre capacité à produire des innovations technologiques. La Californie, autrefois centre névralgique de l’innovation scientifique, n’est plus ce qu’elle était. Le climat politique actuel n’empiète pas seulement sur nos libertés académiques. Elle empêche aussi la science de progresser.

Pour ma part, j’ai consacré une grande partie de ma carrière à travailler avec des communautés autochtones et à utiliser la science pour préserver leurs cultures. Pourtant, l’administration actuelle semble favoriser une monoculture qui détruit la diversité essentielle au progrès scientifique. »

« Je veux croire qu’il existe un autre avenir et que l’exil ne sera pas notre seule option »
Keolu Fox, généticien à l'université de Californie à San Diego

« Je comprends pourquoi tant de scientifiques envisagent de quitter les États-Unis. Si la situation continue de se détériorer, je finirai par y réfléchir sérieusement moi aussi. Mon travail m’offre une certaine stabilité pour l’instant, mais la combinaison des coupes budgétaires et de la pression politique croissante pourrait me pousser à chercher un autre endroit où poursuivre mes recherches. 

Malgré tout, je veux croire qu’il existe un autre avenir et que l’exil ne sera pas notre seule option. Nous avons la possibilité de créer une science qui se construit dans la résistance. 

Je crois fermement que la science continuera à progresser, mais cela dépendra de la résilience de la communauté scientifique à l’échelle mondiale. Avec le soutien des universités étrangères, les chercheurs américains continueront à innover. J’ai bon espoir que la science perdurera, que ce soit aux États-Unis ou ailleurs. »

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