Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

La crise grecque, maux à mots

La crise grecque, maux à mots

"Je souffre" - "Vasanizomai" - : le graffiti est sur tous les murs et si nul ne peut assurer qu'il a été inventé avec la récession, il ponctue lugubrement depuis quatre ans le quotidien visuel des Grecs, symbole d'une crise économique qui a partout imposé son langage.

D'Athènes à la Crète ou à Thessalonique, sur des panneaux publicitaires abandonnés, des façades borgnes, le "Vasanizomai" se déploie. Dans des entrées d'immeubles, sur des marches d'escalier, il est plus discret mais bien là.

Tous les journaux grecs ont relevé le phénomène, sa graphie caractéristique, ses points de suspension. Des hypothèses ont circulé sur son inventeur : toxicomane? Amoureux éconduit? Chômeur désespéré? En vain.

Qu'importe, le mystère lui va bien car "son auteur a exprimé la psyché collective qui glisse vers une profonde tristesse", résumait l'an dernier l'hebdomadaire To Vima.

L'apparition du graffiti remonterait justement à 2009 ou 2010, quant la Grèce au bord de la faillite s'est résolue à appeler au secours le FMI et l'Union européenne, entrant dans un long cycle de prêts (240 milliards d'euros) en échange de réformes et coupes budgétaires drastiques.

Le premier memorandum, ou catalogue de réformes, était signé il y a quatre ans, le 8 mai.

Depuis, les mots "crise", "memorandum", "dette", "troïka", "assainissement", sont entrés dans le quotidien des Grecs, rabâchés au fil des bulletins d'information, vilipendés dans les manifestations, peinturlurés sur les murs, et même glissés dans les sermons de messe.

"Une des caractéristiques du vocabulaire de la crise dans les journaux est la métaphore de la maladie, du patient grec et du remède administré par un bon docteur FMI ou UE", analyse Nicoletta Tsitsanidou, journaliste et professeur de linguistique à l'université de Ionannina.

Elle a disséqué les mutations sémantiques de la crise dans son ouvrage "Langage et crise grecque"

En librairie, son ouvrage côtoie "Comprendre la crise en Grèce", "Anatomie de la crise", "Europe, crise grecque et gauche démocratique", "Grèce, nouvelles orientations en période de crise", "Dix et un proverbes de sagesse en temps de crise", "Guide de survie professionnelle en temps de crise"....

En mars 2013, 17 écrivains grecs décrivaient "L'empreinte de la crise" dans un recueil de nouvelles éponyme. Les enfants ont pu lire "La classe qui a vaincu la crise", où le petit Nikiforos tente de comprendre "cette crise qui perturbe la vie, provoque l'anxiété et la douleur de ses parents".

"Nous en avons tous bien profité" : cette réflexion de l'ancien ministre socialiste Theodore Pangalos pour dire que les Grecs reconnaissent leur propre part dans les dérapages financiers du pays, est devenu le titre d'un livre et une des phrases culte de cette période.

Ex-aequo avec une mémorable saillie de Georges Papandreou "De l'argent, il y en a". Répétée à l'envi au premier degré par l'ex-chef de gouvernement socialiste, la phrase est désormais un classique de l'ironie et de la publicité adaptée à son temps : "+De l'argent, il y en a+, sur Cheapis.gr, vous êtes le roi", "Vous avez besoin de liquide ? +De l'argent, il y en a+ dans vos vieux bijoux, appelez au 693...".

Le théâtre n'est pas épargné : en 2012, "Vasanizomai" a donné son nom à une des nombreuses créations à évoquer la crise. Une autre a pris le titre de "PIGS" ("cochons") acronyme peu flatteur donné aux quatre maillons faibles de la zone euro, Portugal, Italie, Grèce et Espagne (Spain) par des journalistes financiers anglo-saxons.

Les nouvelles sont cependant un peu meilleures ces derniers temps : difficile pour les Grecs d'avoir ignoré le mois dernier que leur pays avait "fait-son-retour-sur-les-marchés-de-dette-à-long-terme". Et un groupe de jazzmen a salué à sa manière la rigueur du gouvernement, en baptisant son nouveau projet musical "excédent primaire", le surplus qu'a dégagé en 2013 le budget grec, hors charges de la dette.

smk/od/jld

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.