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Trente ans après avoir tiré la sonnette d'alarme à Notre-Dame de Bétharram (Pyrénées-Atlantiques), Françoise Gullung a été entendue, mercredi 26 mars, par la commission d'enquête parlementaire sur les violences à l'école. Cheveux blancs coupés court, petit gilet noir et fines lunettes, cette retraitée de l'Éducation nationale est venue de Charente-Maritime pour être auditionnée, en fin d'après-midi, à l'Assemblée nationale (Paris 7e).
C'est un moment important pour cette ancienne professeure de mathématiques et mère de deux enfants qui avait dénoncé des faits de violence dans cet établissement privé catholique dès les années 1990, et qui, malgré ses alertes, n'avait pas été entendue. En juillet dernier, dans un entretien exclusif au Point, elle revenait sur ce combat. Il était alors difficile pour elle d'évoquer cette « expérience assez cruelle », deux années dans cet établissement béarnais, de 1994 à 1996, où l'on a tout fait pour la faire taire. « Tout le monde savait qu'il se passait des choses anormales à Bétharram et rien n'a filtré pendant toutes ces années, nous expliquait-elle. C'est dire le poids de la loi du silence d'alors… »
À LIRE AUSSI Violences et abus sexuels : « l'enfer » des pensionnaires de Notre-Dame de BétharramAujourd'hui, alors que la parole se libère et qu'un #MeToo de l'enseignement catholique est en train de voir le jour, on salue le « courage » de Françoise Gullung qui est accueillie par les rapporteurs Paul Vannier (LFI) et Violette Spillebout (EPR) comme la première « lanceuse d'alerte » dans l'affaire Bétharram.
Devant quelques députés de la commission des Affaires culturelles, elle revient sur son parcours et sur les origines de sa détermination à ne « jamais céder à rien ». À Paul Vannier qui lui demande à partir de quand elle a été témoin de violences, elle répond : « C'est arrivé très vite, je dirais entre quinze jours et trois semaines après la rentrée (1994). J'étais perdue dans les couloirs, et j'entends dans une salle un adulte qui hurle sur un enfant, il le cognait, j'entendais les coups… Et venait en face de moi, Mme Bayrou, donc, bêtement, je lui dis : “Mais qu'est-ce qu'on peut faire ?” Et elle n'a pas compris ce que j'attendais… C'est clair, elle n'a pas compris. »
Courrier à François Bayrou et signalements
Ensuite, ce sont ses élèves qui l'alertent. « Des enfants écrasés de fatigue, ternes, passifs et qui, de temps en temps, avaient la tête qui tombait sur le pupitre ! La première fois, quand on entend ce bruit, ça surprend quand même… » Puis, « tout doucement », les enfants commencent à se confier. On lui rapporte le cas d'un enfant asthmatique qui s'est fait gifler. Elle se renseigne auprès de l'infirmière scolaire, qui lui confirme qu'il se passe des « choses » à l'internat. C'est-à-dire ? « Des enfants qui, visiblement, avaient passé une grande partie de la nuit debout, sans pouvoir dormir, car ils étaient mis au garde-à-vous au pied de leur lit, pendant 2 ou 3 heures… ».
C'est à ce moment-là que la professeure qui vient d'être recrutée commence à faire des signalements. Elle assure avoir écrit à François Bayrou, alors ministre de l'Éducation nationale et président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques, un courrier qui restera « sans réponse ». L'enseignante prévient aussi par écrit « le tribunal » et la direction diocésaine de l'enseignement catholique (des courriers qu'elle n'a pas conservés, elle s'en excusera). Elle se rend à la gendarmerie – où on lui aurait dit « On sait, on sait ! » – et prévient un médecin de la PMI. Peu de temps après, elle est convoquée discrètement par un représentant de la direction diocésaine : « Il me fait comprendre, avec beaucoup de courtoisie, que si je veux rester dans l'enseignement catholique, il faut que j'oublie tout ça ! »
À LIRE AUSSI Après Bétharram, le lancement d'un « MeToo de l'enseignement catholique » Interrogée sur les violences sexuelles, Françoise Gullung affirme qu'on ne lui rapporte aucun fait de cette nature lorsqu'elle est en poste à Bétharram. Concernant les violences physiques, elle se souvient d'avoir assisté, en 1994, à une scène : « un enfant rossé dans la cour, très violemment, par un surveillant ».
En mars 1995, elle croise ensuite François Bayrou lors d'une remise de décoration, à Pau. Elle fend la foule des invités et se lance : « Je lui dis : “C'est vraiment grave ce qui se passe à Bétharram, il faut faire quelque chose !” Il m'a simplement répondu : “Mais, on exagère…” Voilà, je n'ai rien fait de plus. Qu'aurais-je pu faire de plus ? »
Dans Ouest-France, en février, le Premier ministre avait déclaré que ni lui ni sa femme ne « connaissaient » ces lanceurs d'alerte. Contacté par Le Point, en juillet, François Bayrou nous avait répondu : « Jamais personne ne m'a alerté sur ce sujet, du moins dans mon souvenir. Vous imaginez bien que si quelqu'un m'avait indiqué des faits de cet ordre, jamais mes enfants n'y auraient été scolarisés. »
« Bousculade », « lazzis », menaces…
En décembre 1995, c'est l'événement de trop. On a frôlé le drame. D'après le souvenir de Françoise Gullung, deux enfants sont mis dehors par une nuit de gel, en petite tenue, près du gave de Pau, et retrouvés en hypothermie. C'est ce qu'on appelait à Bétharram « le supplice du perron ». Pour l'enseignante, ce n'est rien d'autre que « de la torture, de la barbarie ». Face à l'omerta et à la passivité de ses collègues, elle abandonne toute « prudence » et donne à ses élèves, « affolés et terrifiés » par l'épisode du perron, le numéro de l'enfance en danger qu'ils pourraient appeler en cas de problème, depuis une cabine du village.
« À partir de là, je deviens persona non grata », témoigne-t-elle. On la somme de demander sa mutation, elle ne cède pas. Une « bousculade » dont elle est victime dans la cour lui laisse penser à un acte délibéré. « Un groupe de lycéens me saute dessus (avec un ballon, NDLR). Je tombe par terre, je suis égratignée de partout, je saigne… Personne n'est venue m'aider. Je suis partie seule à l'hôpital de Pau, à 35 km de là, j'avais des fractures de la face. » Une agression ? Oui, elle y a pensé, répond-elle à la commission d'enquête. La pression s'intensifie sur cette prof qui refuse de plier. Dès qu'elle traverse la cour, elle entend des « lazzis », sa voiture est « abîmée », elle reçoit des menaces de mort au téléphone…
Un rapport qui cible l'enseignante
Nous sommes au printemps 1996. À cette même période, après la première plainte d'un parent dont le fils a perdu 40 % d'audition à la suite d'une gifle, un rapport est commandé à un inspecteur de l'académie de Bordeaux. Lors de son inspection, il n'interroge pas la prof de maths, qui est en arrêt maladie après la fameuse « bousculade ».
Dans ce rapport de trois pages, remis à François Bayrou le 16 avril 1996, l'inspecteur décrit l'« état d'esprit très négatif » de Mme Gullung dont le but aurait été de « démolir Bétharram »… Il conclut : il faudra « trouver une solution afin que Mme Gullung n'enseigne plus dans cet établissement. » En clair, le problème semblait venir de cette enseignante et non des violences qu'elle dénonçait !
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Dès la page 2, l'inspecteur – qui a reconnu récemment la légèreté de son travail, effectué en une journée – écrivait : « Notre-Dame de Bétharram n'est pas un établissement où les élèves sont brutalisés. » L'histoire lui donnera tort. Aujourd'hui, 180 plaintes ont été déposées pour des faits de violences physiques et sexuelles au parquet de Pau. Trois personnes ont été gardées à vue en février, l'un d'eux a été écroué. Les autres ont été relâchés pour cause de prescription.
Quant à la commission d'enquête parlementaire, elle poursuivra ses auditions jusqu'en juin.
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Et si justement ! « On » n’enquête, via MEDIAPART, que sur les établissements catholiques, dans les établissem...ents publics ou d’autres confessions c’est bien connu, circulez, il n’y a rien à voir. Si mes souvenirs sont bons j’avais entendu dans les années 57/65 quelques internes de lycée pun
Les faits dénoncés sont-ils prescrits ? Le pire, c'est cette conspiration du silence. L'inspecteur qui a fait semblant d...'inspecter dort-il bien ?
Il a répondu à la dame « on exagère «
donc il savait et il même pas fait enquêter. Pauvres gosses. C’est hor...rible