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Formation des réservistes au camp militaire de Saint-Jean-de-Linières (12/08/16).
Formation des réservistes au camp militaire de Saint-Jean-de-Linières (12/08/16).
PHOTOPQR/LE COURRIER DE L'OUEST/MAXPPP

"Si des gens doivent s'engager, il faut que ce soit les vieux" : le nombre de réservistes explose, ils racontent

Aux armes citoyens

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La France a enregistré 12 000 nouveaux réservistes depuis janvier 2025, alors qu'ils n'avaient été que 1 700 nouveaux inscrits sur l'année 2024. Alors que trois Français sur quatre craignent que le conflit ukrainien s'étende en Europe (sondage de l'institut Elabe), l'engouement est palpable. Mais alors, quel est le profil de ces réservistes ? Quelles sont leurs motivations ?

« La patrie a besoin de vous, de votre engagement. » C'est en ces mots qu'Emmanuel Macron s'est adressé aux Français le 5 mars dernier dans un contexte de guerre en Ukraine et de désengagement des États-Unis. Alors que trois Français sur quatre disent craindre que le conflit déborde les frontières de l'Ukraine (sondage de l’institut Elabe du 4 mars 2025), 12 000 citoyens se sont inscrits en tant que réservistes depuis le mois de janvier, contre 1 700 en 2024. Qui sont les réservistes (ou candidats réservistes) ? Quelles sont leurs motivations ? Pour y répondre, Marianne a recueilli les témoignages de ses lecteurs. Vous êtes près de 300 à y avoir répondu.

Pour rappel, toute personne dotée de la nationalité française, âgée de 17 à 72 ans et en bonne condition physique, a la possibilité de rejoindre une force de réserve militaire. En signant un contrat d'une durée d'un à cinq ans, le réserviste sert jusqu'à 60 jours par an (sauf exception). Il peut être amené à participer à trois types de mission : à participer au fonctionnement de l'armée, à la protection du territoire national (via des opérations sentinelles par exemple) et ‑ plus rarement ‑ aux opérations extérieures.

À ce jour, la France compte près de 45 000 réservistes dans les armées et 40 000 dans la police et la gendarmerie. L’objectif affiché est d'en compter 160 000 d'ici 2030. Parmi les réponses recueillies entre le 25 et 26 mars, 70 % – non-réservistes – se disent prêts à le devenir.

Se sentir utile

Si les motivations des réservistes (ou aspirants réservistes) sont multiples, la volonté de servir son pays et d'être utile aux autres font l'unanimité. Dorothée, retraitée, en est un exemple : « Ma motivation principale est d’apporter quelque chose. J’étais cheffe dans une organisation internationale, je dirigeais une centaine de personnes, je parle couramment russe, français, allemand et anglais. J’ai des compétences à apporter. »

L'actualité est par ailleurs, sans nul doute, un facteur d'engagement. La multiplication des attentats, d'abord, a été citée à plusieurs reprises. À ce sujet, Alexandre, employé en bureau d’études, partage : « J’étais au lycée lorsque les attentats du Bataclan [en 2015] et de Nice [en 2016] ont eu lieu. J'ai voulu devenir réserviste pendant mes études mais c’était compliqué de tout concilier. Je suis aujourd'hui en CDD, dès que j'ai mon CDI je présente mon projet à mon employeur. »

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Par ailleurs, l'invasion russe de l'Ukraine a – sans grande surprise – marqué les esprits de tout un chacun. « Le fait que l’Ukraine soit proche géographiquement est une motivation », précise Dorothée. La crainte que le conflit s'étende en Europe, amplifiée par l'appel de Macron du 5 mars, a en effet été élément déclencheur pour plusieurs. La volonté profonde de cet engagement est de protéger les jeunes générations, à l'image de Grégoire, chef d'entreprise : « J’envisage d’être réserviste en cas de menace sur le territoire. Ma motivation principale est la protection de nos valeurs et que mes enfants vivent libres. »

D'autres, sans motivation patriotique particulière, invoquent le sens du sacrifice. En ce sens, Philippe, jeune retraité, raconte : « Ma motivation principale est de laisser les autres tranquilles. Si des gens doivent s'engager, il faut que ce soit les vieux et qu'on foute la paix aux autres. On a fait pour la plupart l'armée, on est plus dans cet esprit-là que quelqu'un qui n'a pas connu ça. »

Outre des réactions aux enjeux des temps modernes, beaucoup expriment leur gratitude envers leurs pays et le souhait de rendre à la France ce qu'elle leur a apporté. Théo, « recalé » à plusieurs reprises pour raison médicale, regrette : « J’ai eu un cancer quand j’étais jeune. On a la chance d’habiter en France et d’avoir des soins gratuits. Je voulais m'engager pour rendre la monnaie de la pièce. Je suis contrôleur de gestion, j'aurai pu être utile en soutien mais il faut être déployable en Opex. »

Entrer dans la vie active

Les jeunes générations répondent également présent. L'engagement est vu comme une bonne portée d'entrée dans la vie active pour se surpasser, développer des qualités de leadership et d'endurance et toucher une rémunération. C'est le cas d'Adrien, étudiant en droit : « Je suis réserviste opérationnel de la Gendarmerie nationale depuis juillet 2023. J’ai effectué une quarantaine de jours sur le terrain pour des missions de sécurité publique : patrouilles, sécurité routière, intervention en cas d’appel 17. » Pour s'y retrouver entre ces deux vies, il se rend disponible uniquement le week-end, hors période d'examens. Sans oublier, toutefois, qu'en cas de mobilisation (c'est-à-dire en cas de guerre), il devra se rendre entièrement disponible.

Quant aux processus de recrutement, à la suite d'un entretien et d'une visite médicale les candidats « font leur classe ». Timothée (le prénom a été modifié), chef de chantier public et réserviste depuis 25 ans, raconte : « Pendant deux semaines on apprend grossièrement le métier de soldat. C'est-à-dire les bases du combat et du secourisme. On sort de là officiellement soldat. Ensuite on a à peu près un week-end par mois d'entraînement pour continuer à se former. »

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Sur nos presque 300 répondants, seuls 20 % sont d'ores et déjà réservistes. Une fonction qui s'accompagne d'un devoir de réserve, ce qui explique que peu d'entre eux ont souhaité s'exprimer plus longuement sur le sujet. François Cazals est l'un d'eux. Réserviste depuis neuf ans au sein de la gendarmerie nationale et président de l'Association nationale des réservistes de la gendarmerie, il explique à Marianne : « Je suis également professeur à HEC. Je suis mobilisé en moyenne trois semaines par an, en fonction de mes disponibilités. Le statut de réserviste est l’équivalent d’un CDD à temps partiel. J’ai une évolution professionnelle, une rémunération et des entretiens RH. »

Selon les données de l’Institut des hautes études de défense nationale, 42 % des réservistes sont issus du secteur privé et 25 % du secteur public (dont 5,5 % du ministère des Armées). D'autres, sont des anciens militaires qui souhaitent retrouver « l'esprit de camaraderie » selon les mots de François Cazals.

D'autre part, selon ce même institut, les femmes représentent 22,6 % du personnel en 2023 contre 16,8 % pour les militaires actifs. L'une d'entre elles, étudiante, a accepté de témoigner anonymement : « Mes motivations sont d'ordre personnel et collectif. L'agression russe de l'Ukraine a déclenché indéniablement ma volonté de prendre part à la défense de l'Europe. Par ailleurs, je suis attachée aux valeurs féministes et je considère l'armée comme un lieu qui reste encore à investir. »

Flou artistique

Pourtant, si la majorité des interrogés – non-réservistes – se disent prêts à s'engager, la plupart ne se sont pas renseignés sur les démarches à suivre et les missions à effectuer : « Je m'adapterai aux besoins de l'armée », disent-ils. D’ailleurs, peu avaient connaissance de cette possibilité avant que ce terme « réserviste » ne revienne en boucle dans les médias ces derniers mois. Ainsi, Florence, retraitée, avoue : « Au fond je ne sais pas ce que signifie faire la guerre. Les uniformes m'ont toujours fait rêver, j'aurai aimé rejoindre l'armée plus jeune, mais je ne me projette pas. »

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Enfin, la réserve opérationnelle comporte aussi son lot de déception. À ce sujet, Sébastien, cinq ans réserviste à la gendarmerie nationale confie : « Je travaillais un week-end sur deux par volonté de servir la population. J'ai arrêté parce que c'était très coûteux en frustrations. On manquait de tout. On a par exemple mis énormément de temps à avoir des gilets pare-balles. Financièrement, en tant qu'indépendant, je devais payer une prévoyance très chère et je ne m'y retrouvais plus. » Celui-ci conclut : « Avant de recruter, l'armée devrait s'occuper de leurs équipements. L'un ne va pas sans l'autre. »

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne