Louhans « Ils me traitaient de kamikaze » : deux collégiens harcelés en raison de leurs origines
Un jour de décembre dernier, en plein repas familial dans sa maison située en Bresse louhannaise, Nolan* s’est subitement mis à pleurer. Vidant enfin son sac, devant ses parents médusés, sur les souffrances que sa sœur Emma* et lui ont accumulées depuis le début de l’année scolaire. Élèves de quatrième au sein du collège de la cité scolaire Henri-Vincenot, à Louhans, tous deux n’avaient jamais parlé, jusqu’alors, du harcèlement qu’ils subissaient au quotidien dans l’établissement de la part de deux de leurs camarades. Des brimades souvent en lien avec les origines algériennes de leur maman.
Des allusions et insultes racistes et sexistes
Tout a commencé, selon Nolan, peu de temps après la rentrée de septembre. Un camarade de classe, avec lequel il s’entendait plutôt bien jusque-là, commence alors à faire quelques allusions étranges sur ses origines. « Au début, je me disais que ça allait passer, que si je ne disais rien, il allait arrêter, raconte-t-il. Puis ça a commencé à m’énerver. Je lui ai dit d’arrêter mais il a continué. »
Au fil des semaines, les moqueries sont de plus en plus explicites, le camarade étant rejoint par un copain d’une autre classe dans son travail de sape quotidien. « Des fois, quand un avion passait dans le ciel, ils disaient : “C’est Nolan et Ben Laden qui vont faire sauter le collège”. Ils me traitaient de kamikaze, ou de sale arabe. Quand il y avait de la roquette à la cantine, ils me disaient que je devais bien aimer ça. » Emma, pour sa part, explique avoir commencé à subir des insultes sexistes et racistes vers octobre-novembre. Se faisant traiter de « pute », de « salope » et d’« immigrée ». Ou subissant des invitations à retourner « dans son pays » lors d’un cours sur l’immigration.
Exprimant des idées noires, Emma et Nolan hospitalisés
Atterrés lorsqu’ils apprennent tout cela, les parents de Nolan et Emma prennent alors attache avec la cité scolaire de Louhans et avec le référent harcèlement scolaire de l’académie de Dijon. Peu de temps après, le 12 décembre, la maman reçoit un appel du collège indiquant qu’Emma et Nolan ne se sentent pas bien suite à de nouvelles insultes. Elle va les chercher et les amène au centre hospitalier de Chalon. Au pédiatre qui les reçoit, les deux frères et sœurs évoquent des pensées suicidaires. Le praticien prononce alors une interruption de travail (ITT) de sept jours et les garde quelques jours à l’hôpital, où ils sont vus par une psychologue. Nolan en sortira avec un traitement à base d’antidépresseurs. Le lendemain de leur hospitalisation, la maman a pour sa part porté plainte en gendarmerie.
À la rentrée de janvier, la cité scolaire sanctionne les deux élèves harceleurs présumés : trois jours d’exclusion pour l’un, trois heures de colle pour l’autre. Cette dernière punition fait bondir la maman d’Emma et Nolan. « Trois heures de colle pour avoir causé sept jours d’ITT et des idées suicidaires, ça me fait doucement rire. » Au collège, malgré le soutien d’une partie de l’encadrement, l’ambiance reste pesante. Si Emma peut compter sur ses copines, Nolan se retrouve isolé. « Avant, même quand il y avait grève, il voulait absolument aller en cours. Maintenant, dès qu’il peut éviter… », raconte sa maman. Le jeune garçon ne joue plus aux jeux vidéo, de peur de croiser ses harceleurs en ligne. « Je n’ai rien fait dans l’histoire, et c’est moi qui me retrouve tout seul », se désole-t-il.
Photo d’Hitler et croix gammée sur Snapchat
Malgré une réunion avec la direction du collège, mi-février, les parents d’Emma et Nolan ont le sentiment que la cité scolaire n’a pas pris la mesure du problème. Jusqu’à cette journée du 18 mars dernier, où les deux collégiens prennent connaissance d’une série de messages diffusés sur un groupe d’élèves sur le réseau social Snapchat. On y trouve des photos de leur famille, notamment des parents. Puis, un peu plus loin dans les échanges, une photo d’Hitler, une croix gammée, ou encore une image à caractère pornographique. Un des auteurs des messages est identifié. Il ne s’agit pas des deux auteurs de harcèlement habituels, mais d’un autre élève.
Les parents alertent une nouvelle fois la cité scolaire, qui réagit aussitôt. Daniel Ladaurade, le proviseur, les appelle personnellement pour les inviter à porter une nouvelle plainte (ce qui sera fait dans les prochains jours). Quant à l’élève identifié comme l’auteur, il a été exclu une semaine. Une sanction davantage à la hauteur de la gravité des faits, considère le papa d’Emma et Nolan. « La réponse me semble plus adaptée. Enfin, on a été écoutés. Je pense que le proviseur a voulu marquer le coup. »
« Des situations complexes à démêler»
Daniel Ladaurade confirme avoir pris cette décision d’exclusion « pour mise en ligne de contenus portant atteinte à la dignité d’un membre de la communauté éducative ». Expliquant pourquoi il n’avait pas sévi aussi fort pour les autres élèves accusés de harcèlement par Emma et Nolan. « Nous ne sommes pas restés inertes, nous avons sanctionné quand le problème s’est présenté, nous avons pris nos décisions en équipe. On avait affaire à des adolescents, avec des situations complexes à démêler. Sans contester les ressentis et les accusations, on est sur du déclaratif. Il faut donc prendre des précautions. » Le proviseur défend aussi l’efficacité du programme Phare, mis en place depuis trois ans pour prévenir le harcèlement scolaire à la cité scolaire de Louhans. « Il met en place des vigies, des oreilles pour être à l’écoute et retransmettre. Maintenant, en cas de brouille entre élèves, on a ce clignotant qui s’allume. On a aujourd’hui une sensibilité particulière sur ces faits présents depuis toujours. Et tant mieux, on accepte aujourd’hui de nommer les choses. »
Aujourd’hui, avec les différentes sanctions prises contre leurs harceleurs, Emma et Nolan ont retrouvé un peu de sérénité, assure leur papa. « Il n’y a pas eu de nouvel épisode depuis. Et Nolan est un peu moins isolé. » Reste à savoir à présent si ceux qui les ont tourmentés subiront des conséquences judiciaires pour leurs actes. L’enquête de gendarmerie, qui était sur le point de s’achever suite à la première plainte, a été relancée après les publications sur Snapchat.
* Prénoms d’emprunt
30 18 est le numéro de téléphone unique que peuvent composer les victimes de harcèlement scolaire mais aussi toute personne témoin d’un fait de cette nature. Il est joignable gratuitement 7 jours sur 7, de 9 à 23 heures. Il est anonyme et confidentiel. Un tchat est disponible sur le 3018.fr