"Ma fille n'a pas voulu être prisonnière, c'est pour ça qu'elle est morte" : au procès du féminicide de Chahinez Daoud, la douleur de la famille de la victime

Au quatrième jour du procès de Mounir Boutaa, accusé d'avoir assassiné sa femme en 2021, la famille de la victime a témoigné devant la cour, jeudi.
Article rédigé par Clara Lainé
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4min
Kamel et Djohar Daoud assistent au procès du féminicide de leur fille, tuée en 2021 par son mari. Mounir Boutaa est jugé devant la cour d'assises de la Gironde jusqu'au 28 mars 2025. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)
Kamel et Djohar Daoud assistent au procès du féminicide de leur fille, tuée en 2021 par son mari. Mounir Boutaa est jugé devant la cour d'assises de la Gironde jusqu'au 28 mars 2025. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

Il a posé des mots sur sa douleur et sa colère. Au quatrième jour du procès de Mounir Boutaa, jeudi 27 mars, Kamel Daoud s'est avancé devant la cour d'assises de la Gironde pour évoquer l'insoutenable. La souffrance d'un père dont la fille a été brûlée vive, en 2021, par un homme qui "pensait que les femmes ne sont que des jouets". Face à la cour, il a refusé l'aide de l'interprète, préférant s'exprimer dans un français approximatif, mais chargé d'émotion.

Depuis le début du procès, il restait dissimulé derrière ses lunettes de soleil. Mais lorsqu'il s'exprime à la barre, en ce début d'après-midi, il ne les porte plus. Ses yeux rougis fixent la cour et ses larmes coulent librement. Sa voix tremble lorsqu'il évoque le poids du "et si ?" qui le hante, sa culpabilité de ne pas avoir réussi à extirper sa fille de "son bourreau".

"Il a détruit la vie de deux familles"

"Si une femme veut partir, il faut la laisser partir, elle n'est pas à toi, voilà, c'est ça que je voulais dire. Ma fille n'a pas voulu être prisonnière, c'est pour ça qu'elle est morte", poursuit-il, sans un regard vers l'accusé. Cet homme qui entendait "gérer" la vie de Chahinez Daoud jusqu'à sa façon de "s'habiller". Mounir Boutaa reste de marbre. Depuis quatre jours, il n'a pas eu un mot pour les parents de Chahinez, se complaisant dans sa posture de mari persécuté.

Kamel Daoud ravale un sanglot, sa voix se brise. Son crâne dégarni et ses cheveux blancs encadrent un visage creusé par la tristesse. Il reprend, plus lentement : "Il a détruit la vie de deux familles, celle de Chahinez et la sienne."

Il évoque alors la déposition du fils aîné de l'accusé, âgé de 21 ans, né d'une première union, entendu la veille devant le tribunal. "J'ai été très touché", souffle-t-il. Mercredi, le jeune homme avait présenté ses condoléances à la famille de la victime et ajouté que, si son père sortait un jour de prison, "même dans vingt-cinq ans", il ne lui présenterait jamais ses trois enfants. "J'espère que ces mots, il les entend bien." Il avait aussi évoqué celle qui, malgré tout, l'avait accueilli les bras ouverts, lorsqu'elle avait emménagé en France avec Mounir Boutaa, en 2016. "Chahinez Daoud m'a toujours traité comme un roi (…) comme son fils. Ça, on ne pourra pas lui enlever." 

"Chahinez, une sœur merveilleuse"

Quatre ans après les faits, de nombreuses voix se succèdent à la barre et font résonner le vécu de la victime. Parmi elles, celle de l'une de ses sœurs, qui a raconté jeudi devant les magistrats la "torture" que lui a infligée Mounir Boutaa, bien avant le jour du drame. "Elle s'enfermait dans la chambre avec les enfants, lui continuait de l'insulter, en la traitant de pute, en présence des enfants." Un silence lourd règne dans la salle, pleine à craquer, lorsque la quadragénaire poursuit. "C'était lui qui décidait de tout : 'Tu as le droit de faire ceci, cela… Je t'autorise à parler à telle personne.'"

Elle habitait en Algérie à l'époque des faits, mais passait des heures au téléphone avec la victime tous les jours, quand son mari ne lui "confisquait" pas son portable. "A chaque fois qu'il se disputait avec elle, il avait un couteau à la main", relate-t-elle, avant de conclure : "Ma sœur n'a pas eu une belle vie avec lui."

"Il l'a menacée de la renvoyer en Algérie dans un cercueil."

La sœur de Chahinez Daoud

à la barre

La veille, une autre sœur a évoqué le quotidien de Chahinez Daoud, avant son arrivée en France, en 2016. Elle a décrit une femme épanouie dans sa carrière d'éducatrice de crèche, respectée et aimée. "Tous les Algériens pleurent Chahinez". Vêtue d'un long manteau gris et d'un voile noir, elle se souvient d'"une reine, une sœur merveilleuse, pleine de courage." Puis, des photos ont défilé sur l'écran. "C'est le jour de son mariage avec l'assassin", a-t-elle commenté, la voix débordant de dégoût. Devant un autre cliché, son visage s'est illuminé : "Regardez les sourires des enfants ! C'est le dernier anniversaire que Chahinez a passé en Algérie, le 3 mars 2020." Elle fêtait ses 30 ans.

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