"97% de l'Académie de médecine a voté quasi unanimement pour dire que nous pensons plutôt que le SARS-CoV-2 est issu d'une erreur de laboratoire et qu'il faut en tirer des leçons pour prendre des précautions à l'avenir", révèle le Pr Jean-François Delfraissy dans une conférence de presse de l'Académie de Médecine le 2 avril 2025. "C'est vrai qu'en tant que virologue, je ne vois pas beaucoup d'arguments en faveur de l'émergence naturelle du virus SARS-CoV-2", ajoute la Pr Christine Rouzioux, virologue à l'hôpital Necker (Paris). Dans un nouveau rapport que ces experts co-signent avec d'autres, l'Académie de Médecine s'appuie sur le bilan des éléments connus sur les origines du virus du Covid-19 pour recommander une forte amélioration en matière de surveillance de l'émergence des zoonoses, et surtout d'une plus grande sécurité des manipulations biologiques en laboratoire.
Plus d'arguments en faveur de l'erreur de laboratoire
En 2019, le laboratoire de Wuhan travaillait justement sur les coronavirus, souligne ce nouveau rapport. Autre élément étonnant, les premières séquences du SARS-CoV-2 obtenues au début de l'épidémie en Chine étaient très homogènes. "Un virus ARN mute très rapidement, c'est donc un virus qui avait très peu circulé", commente Christine Rouzioux. Le Pr Patrick Berche, microbiologiste, abonde. "Une fois en circulation, ce virus explose de mutations, mais quand on le découvre il n'y a pourtant aucun signe d'adaptation à un hôte intermédiaire !".
En outre, le virus possède dans son matériel génétique la séquence d'un site de clivage d'une protéine nommée furine. "Cette particularité facilite la coupure entre S1 et S2 et augmente fortement l'affinité de la protéine Spike du virus pour les cellules humaines et donc son infectiosité", explique Christine Rouzioux. Enfin, Patrick Berche pointe l'étrangeté de l'épidémiologie de la pandémie. "Les animaux du marché de Wuhan sont acheminés depuis d'autres endroits, pourtant il n'y a eu aucun foyer animal ou humain au point de départ de ces convois. Tout se passe comme si tout était magiquement apparu à Wuhan."
Une réalité qui ne cadre pas avec les précédentes épidémies comme le MERS (cousin du SARS-CoV-2) en 2013, qui avait déclenché plusieurs foyers distincts. A l'inverse, peu d'arguments étaient la possibilité d'une émergence naturelle du virus, tant le SARS-CoV-2 n'a jamais été trouvé dans un hôte intermédiaire et qu'aucun virus ancestral n'a pu être identifié, ajoutent les scientifiques.
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Mieux sécuriser la recherche à risque
Reste à en tirer des leçons, et c'est là le véritable objectif du rapport de l'Académie de Médecine, qui n'a pas pour ambition de trancher la question des origines du Covid-19, qui ne trouvera peut-être jamais de réponse définitive. "Les travaux en cours à Wuhan se faisaient en laboratoire BSL2, donc insuffisant en termes de bioprotection du personnel et de l'environnement", pointe Christine Rouzioux. Les laboratoires BSL2 prévoient l'utilisation de hottes à flux laminaire (avec un flux d'air diminuant le risque de contamination).
Mais la manipulation de virus dangereux de ce type nécessiterait plus un BSL3, prévoyant le port de masque, blouse, gants et une élimination des déchets plus stricte. Il faut donc développer "une culture du risque et des responsabilités" chez les chercheurs, soutiennent les scientifiques de l'Académie de Médecine. "Les risques sont sous-estimés par un certain nombre de chercheurs", diagnostique Christine Rouzioux.
Elle appelle de concert avec ses confrères à la mise en place de comités d'éthique ayant le pouvoir de stopper les expérimentations à tout moment jusqu'à la publication si la dangerosité est jugée trop élevée, comme le fait l'Institut Pasteur. "La question n'est pas de bloquer des recherches mais d'accepter que certaines sont trop à risque pour être développées", insistent-ils. Enfin, ils proposent la mise en place d'une "boîte noire biologique" qui, comme dans l'aviation, permettraient de mieux analyser les causes et conséquences après d'éventuels incidents.
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Une surveillance renforcée des émergences virales
Pas question cependant d'oublier la possibilité d'émergence naturelle du virus, d'autant que la survenue future d'une nouvelle pandémie ne fait pas débat parmi les scientifiques. Les recommandations de l'Académie de Médecine s'étendent donc au renforcement de la surveillance de l'émergence de virus au travers de réseaux médicaux mais aussi vétérinaires. "Il ne faut pas attendre qu'une épidémie démarre pour renforcer la surveillance de la circulation des virus. Nous voudrions que les réseaux vétérinaires et virologiques humains travaillent ensemble, renforcer les banques d'échantillons et harmoniser les bases de données", détaille Christine Rouzioux.
Dans ce contexte, le retrait des Etats-Unis de l'OMS et de leur soutien financier inquiète fortement les médecins. "La coupure des financements américains fait qu'on rentre effectivement dans une zone à risque, car l'Europe ne peut pas compenser. Nous sommes tous très inquiets", confirme Jean-François Delfraissy, immunologiste et Président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE). "Ce rapport ne va pas vers une interdiction des expériences dangereuses, qui sont parfois nécessaires ou justifiées, mais les encadrer et sensibiliser la communauté scientifique", conclut-il.
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