Publié le 8 avril 2025

Une première en Europe. Ce mardi 8 avril, quatorze Français sinistrés et associations, dont Greenpeace, Oxfam et Notre Affaire à Tous, à l'origine de L'Affaire du siècle, lancent une action en justice inédite contre l'État. Ils l'accusent de manquer à ses obligations, notamment celle de les protéger face aux effets du changement climatique.

"Je m'appelle Racha Mousdikoudine. Je suis avant tout une sinistrée. Qu'est-ce que vivre sans eau à Mayotte aujourd'hui ? C'est passer une nuit cauchemardesque à rester suspendu au robinet en espérant que l'eau vienne, puis se réveiller le matin et devoir dire à ses enfants qu'il n'y aura pas de petit-déjeuner parce qu'il n'y a toujours pas d'eau, ni pour un café ni pour se brosser les dents. Et puis il y a cette puanteur inacceptable, inhumaine et surtout indigne d'un département français". Accompagnée d'autres sinistrés, Racha Mousdikoudine explique devant un parterre de journalistes les raisons qui la poussent aujourd'hui à témoigner et à agir.

Présidente de l'association "Mayotte a soif" et engagée dans la lutte contre le manque d'accès à l'eau potable et la gestion de la crise sur l'île, Racha Mousdikoudine est l'une des quatorze citoyennes sinistrées qui attaquent, ce mardi 8 avril, l'État français en justice pour inaction climatique. Accompagnés d'Oxfam France, de Greenpeace France et de Notre Affaire à Tous - les trois ONG à l'origine de L'Affaire du siècle - ces citoyens des quatre coins de la métropole et des Outre-mer veulent faire reconnaître la responsabilité de l'État dans l'insuffisance des politiques actuelles d'adaptation alors qu'ils subissent déjà de plein fouet le changement climatique. Ils revendiquent "leur droit à vivre dans un pays qui protège la vie, la santé, la sécurité et le bien-être de ses habitants".

Mettre l'État face à ses obligations

Sur l'estrade aux côtés de Racha Mousdikoudine se trouve Jérôme Sergent, un néo-paysan de 43 ans, installé depuis 2019 avec sa compagne dans une ferme située à Rumilly dans le Pas-de-Calais. Entre novembre 2023 et mars 2024, son exploitation a été inondée à huit reprises. "Mes terres sont restées un mois et demi sous l'eau, j'ai perdu du matériel mais également des volailles emportées par les eaux", témoigne-t-il. "À chaque fois qu'il pleut, c'est l'angoisse ! Puisque rien n'a changé, on se dit qu'on va à nouveau revivre ce cauchemar...". Et il a beau alerter les autorités, rien ne bouge. "Il est temps que l'État prenne cette affaire au sérieux et élabore un plan à court, moyen et long terme", somme Jérôme Sergent. Et pourtant, comme le note le communiqué conjoint des ONG, "l'État tarde à mettre en œuvre des solutions de protection efficaces", alors qu'il en a l'obligation. En effet, la Charte de l'environnement, la Convention européenne des droits de l'Homme ou encore la loi européenne sur le climat lui imposent d'adopter des mesures concrètes et adaptées pour protéger sa population des effets du changement climatique.

Or, la version finale du troisième plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC-3), publiée le 13 mars dernier, est en deçà des attentes des citoyens et des associations à l'origine de ce recours. "Si la France peine à adopter des mesures suffisamment ambitieuses en matière d'atténuation, elle ne définit pas non plus d'objectifs clairs pour l'adaptation et ne mobilise pas les moyens nécessaires pour atteindre ceux déjà fixés", expliquent les ONG de L'Affaire du siècle. Une déclaration qui va également dans le sens du Haut Conseil pour le climat. Dans son avis du 13 mars, il soulignait que "la France n'est pas encore prête à faire face aux impacts du changement climatique". Ajoutant que : "les actions du PNACC-3 ne garantissent […] pas la capacité à protéger les personnes et les activités économiques de l'aggravation des impacts".

La France déjà condamnée deux fois

Les plaignants ont adressé un courrier au Premier ministre et aux ministres compétents. Si aucune suite positive n'est donnée au-delà d'un délai légal de deux mois, un recours sera porté devant le Conseil d'État, la plus haute juridiction administrative française. Il visera non pas à obtenir des indemnisations personnelles pour les sinistrés requérants mais à obliger l’État à renforcer ses politiques d’adaptation face au changement climatique. C’est la première fois dans l’Union européenne que des sinistrés attaquent l’Etat en justice pour exiger une meilleure protection.

Ce recours s'inscrit dans une jurisprudence croissante en Europe et dans le monde en matière d'inaction climatique. La France a ainsi déjà été condamnée à deux reprises. En 2021, dans le cadre de L'Affaire du siècle, le gouvernement français a été condamné par le tribunal administratif de Paris pour ne pas avoir tenu ses engagements inscrits dans l'Accord de Paris, notamment sur sa trajectoire de réduction de 40% des gaz à effet de serre d'ici à 2030. L'État avait un an pour redresser sa trajectoire. Mais face au manque de réaction, les organisations de l'Affaire du Siècle avait réclamé en 2023 à l'État une astreinte financière de 1,1 milliard d'euros pour l'obliger à agir, avant d'être déboutées. Fin 2024, la cour d'appel administrative de Paris a appelé à réexaminer sur le fond leur recours. Autre affaire, cette fois-ci intentée par la ville de Grande-Synthe (Nord), particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique et à la montée du niveau de la mer, le Conseil d’État a ordonné en 2023 que le gouvernement prenne de nouvelles mesures pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre.

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