Le 4 avril 2025, l’Assemblée de la Conférence des évêques de France a voté un dispositif d’accompagnement des personnes majeures victimes d’abus sexuels. L’épiscopat privilégie l’accompagnement des personnes en vue d’une plainte devant les juridictions civiles ou ecclésiastiques sans proposer de distinction selon les divers contextes et modalités d’agressions. La lecture du document laisse une impression d’amateurisme.
On espérait que les évêques suivraient le motu proprio Vos estis lux mundi donné par le pape François en 2019, qui impose aux évêques d’offrir aux personnes vulnérables victimes d’abus sexuels un accompagnement humain, spirituel, voire médico-psychologique.
L’on doute qu’ils soient allés aussi loin. Le motu proprio, qui n’est même pas mentionné, définit une « personne vulnérable » comme « toute personne se trouvant dans un état (…) de privation de liberté personnelle qui, de fait, limite, même occasionnellement, sa capacité de compréhension ou de volonté, ou en tout cas de résistance à l’offense ». Or, la plupart des abus sexuels commis par des clercs sur des personnes majeures résultent d’un abus spirituel, notamment dans le cadre de la confession ou d’un accompagnement spirituel piétinant les canons et autres règles prudentielles.
À ce titre, la Cour européenne des droits de l’homme a intégré ce fait dans l’appréciation du consentement d’une victime agressée dans un contexte religieux : la dépendance psychologique a été retenue dans le cas d’une agression d’un clerc sur une femme dont il était directeur spirituel, directeur de mémoire et confesseur (Z. c. Rép. Tchèque, 20 juin 2024).
Les victimes majeures, en majorité sous l’emprise de leur agresseur au moment de faits, relèvent assurément de la catégorie des personnes vulnérables. Il n’y a malheureusement pas d’engagement des évêques à prendre en charge leurs frais médico-psychologiques.
Les enjeux culturels des abus
De plus, en résumant le sujet à la responsabilité individuelle de l’agresseur, l’épiscopat écarte les enjeux culturels que portent les abus commis par des clercs. Le fait que les agresseurs utilisent leur statut et le discours religieux pour commettre les abus devrait interpeller : ces situations n’ont rien à voir avec le cas délicat mais ni exceptionnel ni toujours abusif de la rupture amoureuse entre un clerc et une personne laïque, qui relève cas échéant de la discipline ecclésiastique.
Or, à l’heure où les conclusions du groupe de travail n° 2 sur la confession et l’accompagnement spirituel ont à peine été mises en œuvre, l’on ne perçoit pas de réelle volonté des évêques de prendre en main ce sujet. On peut donc prédire sans grand risque que les abus sexuels continueront aussi longtemps que l’Église ne s’engagera pas plus activement dans la prévention.
En outre, en déniant toute responsabilité institutionnelle dans les abus, les évêques devront assumer la mise en cause de leur responsabilité personnelle, en raison de leur manque de vigilance dans la surveillance du clerc agresseur ou des défaillances de traitement des alertes, peu important leurs bons sentiments.
Des cellules d’écoute décevantes
Les victimes seront d’autant plus incitées à agir en ce sens que les cellules d’écoute promises par l’épiscopat atteindront difficilement le niveau de compétence nécessaire, faute d’effectifs, de ressources, de formations de qualité et d’une rémunération décente. Comme l’a relevé l’audit national rendu en décembre 2023, les cellules d’écoute en place peinent à donner satisfaction. L’on voit mal comment il pourrait en aller autrement concernant ces nouvelles structures.
Si, comme l’écrivait Benoît XVI, « la justice est la première voie de la charité », l’on espère que ces nouvelles structures mettront la justice au cœur de leur activité notamment en donnant l’information due aux victimes en matière de procédures canoniques et en les mettant en relation avec des avocats ecclésiastiques compétents.
Enfin, l’épiscopat prévoit la mise en place d’une médiation en cas d’échec de l’accompagnement. Cette proposition témoigne d’une totale incompréhension du mécanisme des abus : va-t-on revenir à la récitation du Notre Père main dans la main, comme dans le film de François Ozon, Grâce à Dieu ?
Une médiation entre la victime et l’évêque
La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales interdit ces pratiques. La recommandation n° 27 de la Ciase déconseille de placer la victime d’abus et l’agresseur en médiation. En effet, selon la Ciase : « Le cadre de la médiation, effectuée au sein des structures ecclésiales, la position du médiateur, invariablement associé au diocèse (auquel) appartient l’auteur des violences, ou encore les difficultés psychiques et matérielles que rencontre la victime, contribuent à placer l’agresseur en position dominante » ! Au-delà de cela, c’est penser qu’il y a une négociation possible entre l’agresseur et la victime alors qu’au contraire la victime attend que justice soit rendue.
Il n’est pas plus pertinent d’organiser une médiation entre la victime et l’évêque, du fait de son pouvoir symbolique, et à plus forte raison s’il a une part de responsabilité dans les faits, en raison de ses abstentions, ou de son incompétence en matière de prévention.
La Conférence des évêques de France aurait pu élargir et pérenniser le champ de compétences de l’Inirr afin d’offrir aux victimes d’agresseurs décédés une procédure de réparation et d’indemnisation soumise à l’aval de chaque évêque concerné. Il est donc profondément dommage de constater que l’épiscopat est friand de rencontres avec les personnes victimes, mais s’avère encore et toujours incapable d’offrir une réponse adaptée à leurs besoins.
Hélène de Mugriet, chercheuse
Catherine Boulanger, enseignante
Étienne Menard, enseignant-chercheur
Christophe Jadeau, statisticien
Jean Dumant-Lizcko, juriste
Mahaut Hermann, essayiste
Matthieu Poupart, essayiste
Vincent Debrabant, commercial
Mélanie Debrabant, médecin
Bastien Uranga, informaticien
Sabine de Foucaud, consultante
Olivier Debize
Brigitte Navail
Pour le collectif Les Voix libérées :
Christian Gueritauld
Nicolas Perreau
Pour le collectif Réparez ! - Victimes de Saint-Jean :
Gabriel Laguarigue, prêtre
Verena Mitsui
Des avocats de personnes victimes :
Aymeric de Bézenac
Nadia Debbache
Solveig Fraisse
Sibylle de Survilliers
Pierre Vignon, prêtre
Natalia Trouiller, accompagnatrice de victimes
Lorraine Angeneau, psychologue PhD, experte en matière de psychotrauma, ex-membre de l’Inirr
Jean-Luc Souveton, victime d’abus