Une soif d’eau toujours plus difficile à étancher pour ces géants de la tech. Une enquête menée conjointement par SourceMaterial, un collectif d'investigation sur le changement climatique, et le média britannique The Guardian a révélé qu'Amazon, Microsoft et Google exploitent des data centers, mais continuent également d'en construire de nouveaux, dans certaines régions du monde déjà frappées par la sécheresse. Bien que ces données soient très souvent confidentielles, SourceMaterial a compilé toute une série d’informations afin de déterminer les emplacements exacts de ces centres de données. Au total, 632 data centers appartenant à ces trois géants de la tech, déjà en activité ou en construction, ont été recensés.

Les données du collectif montrent également que, pour répondre au développement de l’IA générative, leur nombre devrait augmenter de 78 % dans le monde, avec notamment des constructions prévues sur les cinq continents. Sauf que ces entreprises ne se contentent pas de construire dans des régions où la ressource en eau est encore abondante. En 2023, Microsoft a avoué que 42% de l’eau que l'entreprise utilise pour refroidir ses datacenters provenait de "zones en situation de stress hydrique". Situation identique pour Google qui a indiqué que 15% de sa consommation d’eau provenait de zones en "forte pénurie d’eau". Seul Amazon n’a pas répondu aux sollicitations des journalistes.
Un accaparement de la ressource
Selon la fondatrice de l’ONG Ethical Tech Society, Lorena Jaume-Palasi, "ce n’est pas une coïncidence s'ils construisent dans des zones sèches, car les data centers doivent être implantés à l’intérieur des terres, où une faible humidité réduit le risque de corrosion des métaux". Elle ajoute que "l’eau de mer provoque également la corrosion si elle est utilisée pour le refroidissement". En Europe, c'est l'Espagne qui attire les plus gros projets de data centers. En 2024, Microsoft a annoncé un investissement de 2,2 milliards d'euros en Aragon, dans le nord du pays. Quelques semaines plus tard, c'était au tour d'Amazon d'injecter 15 milliards d'euros dans la région pour, lui aussi, développer ses centres de données. Ce géant a pour projet la construction de trois nouveaux data centers d’Amazon pour renforcer les trois premiers déjà existants.
A elles seules, ces six infrastructures sont autorisées à utiliser près de 755 720 mètres cubes d’eau par an, soit près de 200 piscines olympiques ou l’équivalent de l’irrigation de plus de 200 hectares de champs de maïs, l'une des principales cultures de la région. Mais ces chiffres semblent sous-estimés. Pour Aaron Wemhoff, spécialiste de l'efficacité énergétique à l’Université Villanova en Pennsylvanie, "il ne prend pas en compte l’eau utilisée pour produire l’électricité qui alimentera ces nouvelles installations". Ces trois nouveaux data centers devraient d'ailleurs consommer plus d’électricité que la consommation actuelle de l’ensemble de la région. Et surtout, cela n’a pas empêché Amazon de demander en décembre 2024 au gouvernement régional une autorisation pour augmenter de 48% ses prélèvements en eau pour ces nouvelles structures.
Du côté des citoyens, cela ne passe pas. Ils accusent ce géant de la tech d’accaparer l’eau. "Ils consomment trop d’eau, ils consomment de l'énergie", a déclaré à nos confrères du Guardian Aurora Gomez, militante pour l’association "Ton nuage assèche ma rivière" ("Tu nube seca mi río"), allusion aux clouds. Cette association a récemment demandé la mise en place d’un moratoire sur la construction de tout nouveau data center en Espagne, en raison de la pénurie d’eau qui frappe le pays. Le pays est en proie aujourd’hui au risque de désertification. "La combinaison du changement climatique et du développement des data centers amène le pays au bord de l’effondrement écologique", alerte Lorena Jaume-Palasi.
Après le carbone, la compensation… en eau
Pour contrecarrer les reproches que l’on pourrait leur adresser sur l’accaparement de cette ressource vitale, certains géants de la tech ont d’ores et déjà annoncé avoir mis en place un système de compensation en eau, à l’image de celui existant déjà sur le carbone. À l’image encore d’Amazon qui a affirmé que l’entreprise sera "positive en eau" d’ici à 2030, compensant sa consommation en fournissant de l’eau aux populations et aux écosystèmes dans les zones dites en pénurie. Amazon affirme compenser actuellement 41% de sa consommation d’eau.
Mais ce procédé ne semble pas faire l'unanimité, même au cœur de l’entreprise. L’ancien responsable de la gestion durable de l’eau chez Amazon, Nathan Wangusi, a déclaré : "j’étais en profond désaccord avec ce principe (…) J’ai soulevé le problème à tous les endroits pertinents, affirmant que ce n’était pas éthique". Mais Amazon n’est pas la seule entreprise à opter pour ce principe, ses homologues Microsoft et Google aussi. Le problème pour Aaron Wemhoff est que "la compensation des émissions d'eau ne fonctionne pas de la même manière que la compensation carbone. Améliorer l'accès à l'eau dans une zone ne profite en rien à la communauté qui en a perdu l'accès, loin de là". "Le carbone est un problème mondial, l’eau est un problème plus localisé", a-t-il déclaré.
Hasard de calendrier, l’Agence internationale de l’Énergie (AIE) a annoncé, jeudi 11 avril, que la consommation en électricité des data centers devrait "plus que doubler" d’ici à 2030, soit un peu moins de 3% de la consommation totale d’électricité dans le monde, et "un peu plus que la consommation totale d’électricité du Japon aujourd’hui".