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Économie

Pourquoi l'ancienne patronne de Yahoo France se lance en politique

INTERVIEW. Isabelle Bordry, qui a dirigé la filiale française de Yahoo! pendant 4 ans, se présente comme tête de liste Ile-de-France aux Européennes, pour Nous Citoyens. Elle explique cette reconversion.
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Isabelle Bordry
Isabelle Bordry, ancienne DG de Yahoo! France, est tête de liste Ile-de-France aux Européennes 2014 pour Nous Citoyens.
(c) Olivier Ezratty

Diplômée d'un DEUG de sciences économiques à Assas, et d'un magistère de gestion à Paris Dauphine, Isabelle Bordry, 44 ans, a été DG France de Yahoo! de 2001 à 2004, avant d'être directrice des opérations au niveau Europe pour cette grande entreprise. Par la suite, elle a co-fondé un groupe d'e-commerce et travaille depuis un an et demi sur un projet d'objets connectés. Suite à la création du mouvement Nous Citoyens en octobre 2013 par Denis Payre, elle a décidé de se lancer en politique. Elle se présente comme tête de liste Ile-de-France aux élections européennes du 25 mai.

Comment avez-vous décidé de vous lancer en politique? Qui a fait le premier pas: Denis Payre ou vous?

Les deux se sont faits en même temps. Il y a un an, lorsque j'ai discuté avec Denis, le sujet était vraiment un constat catastrophique sur la situation de la France: une incapacité des politiques à prendre des décisions pour faire en sorte que l'emploi et le pouvoir d'achat repartent, un discours pendant les présidentielles qui avait traité de tout sauf des sujets de fonds, les inquiétudes des Français, et enfin le décalage entre sphère politique et citoyenne.

Quand on est chef d'entreprise on participe déjà à la vie de la société en créant des emplois, en augmentant la richesse mais là nous avons vraiment décidé de prendre les choses en main. Il n'y a pas de fatalité à ce que la France s'appauvrisse. François Fillon était l'invité de Jean-Jacques Bourdin le 7 mai et il énumérait les réformes à faire (le temps de travail, arrêter de faire payer aux entreprises les cotisations sociales...), mais en cinq ans il ne les a pas mises en place! Il y a tout un tas de solutions connues qui permettraient de relancer l'emploi, mais elles ne sont pas appliquées.

Si elles sont connues, pourquoi ne sont-elles pas mises en place?

Les politiques sont en décalage avec la réalité. Ils ont des grands principes, mais ils sont pris par le jeu de la réélection. Nous, notre carrière est déjà faite. Je fais de la politique comme une mission. Si je ne suis pas élue, ce n'est pas grave! Mais si je suis élue, je m'engage à ne faire que cela. Harlem Désir ou Rachida Dati ont quatre emplois à temps pleins mais n'en exercent qu'un. On n’a jamais vu en entreprise des personnes toucher quatre salaires pour un seul emploi! D’un côté il y a une baisse du pouvoir d'achat et de l’autre il y a des personnes qui cumulent les rémunérations. Cela amplifie la méfiance entre les citoyens et les politiques qui sont séparés par un plafond de verre.

Il y a une responsabilité des politiques dans cette crise de confiance: ils ne passent pas assez le relais. Si vous regardez les autres têtes de liste Ile-de-France pour les Européennes, Alain Lamassoure est député européen depuis 25 ans. Marielle de Sarnez est également en politique depuis très longtemps. Conserver des élus pendant un quart de siècle, alors que le désamour des Français est criant, ce n’est pas correct. Aujourd'hui, le constat c’est que l'Europe est incomprise, qu'il n'y a pas la proximité attendue entre les élus et les citoyens, qu'il y a un désamour des Français, mais avec toujours une partie de la population qui voit l'intérêt de l'Europe. 56% des Français considèrent ainsi que la France est plus forte économiquement en restant au sein de l'UE et de la zone euro, selon un sondage BVA. Nous souhaitons être le plus représentatif possible de la société civile: dans ma liste il y a un préfet honoraire, une sage-femme, des avocats, un architecte, des personnes qui s'impliquent dans la vie associative, etc.

Vous dites que les politiques sont en décalage avec la réalité: que pensez-vous de l'idée émise par Entreprise et Progrès de proposer des stages en entreprise aux députés?

L'idée est bonne mais elle prouve que les députés ne connaissent pas l'entreprise. 36% d'entre eux sont fonctionnaires alors que ces derniers ne constituent que 20% de la société française. Je trouve triste qu'on soit obligés de leur donner des cours, il faudrait plus de chefs d'entreprises parmi les députés.

Mais pourquoi n'y a-t-il pas davantage de chefs d'entreprises en politique? Avez-vous rencontré beaucoup de freins quand vous avez souhaité commencé une carrière politique?

Oui. Pour être honnête, j’ai fait plusieurs tentatives pour intégrer le monde politique avant de rejoindre Nous Citoyens. Quand j'ai quitté Yahoo! en 2005, j'ai essayé, et les cabinets ministériels m'ont répondu que parce que je venais du privé, je n'avais pas le sens de l'intérêt général. La fonction publique surreprésentée en politique voit de façon suspicieuse la capacité des agents économiques à s'intéresser à l'intérêt général. Et ça, c'est grave. Je pense qu'un chef d'entreprise ou un salarié peuvent tout à fait avoir un sens de l'intérêt général.

Quelles sont les réformes économiques que vous prônez pour la France?

Dans les grands principes, premièrement, il s'agit de redonner de la flexibilité afin que le chef d'entreprise ne tremble pas quand il signe un contrat de travail. Sur les salaires de 1 à 1,4 fois le smic, il faut diminuer les charges sociales et notamment pour le smic, que le salaire brut soit égal au net. Cela devrait permettre d'embaucher entre 800.000 et 1 million de personnes.

Deuxième chose, une meilleure représentativité syndicale. Nous pensons que lorsqu'il y a des dialogues sociaux avec des personnes qui représentent 8% des salariés, on court à la catastrophe. La cotisation des membres représente moins de 5% des revenus des syndicats, donc ils ne sont pas du tout tenus d'avoir plus de membres, et donc le système ne fonctionne pas. On se retrouve face à des absurdités comme le dossier Sephora où des salariés veulent travailler la nuit, et des syndicats non représentatifs font blocage. Nous sommes pour le dialogue social, mais avec des personnes qui représentent les salariés.

Enfin, la formation. Pôle emploi ne joue pas son rôle, c'est un guichet d'enregistrement. Ses salariés sont incapables de guider les chômeurs car ils sont coupés du monde économique. J’ai été chef d'entreprise pendant 15 ans, je n'ai jamais eu de lien avec Pôle Emploi alors que je leur transmettais mes offres d'emplois. Nous voulons donc faire en sorte que Pôle Emploi tisse des liens avec le milieu économique et qu'il y ait une vraie politique de formation menée en concertation avec les entreprises. Nous sommes dans un monde en évolution permanente, il faut arriver à proposer des formations adéquates. 32 milliards d'euros sont investis dans la formation professionnelle chaque année, ce n'est pas normal qu'on n’arrive pas à former les chômeurs qui le souhaitent.

Comment peut-on convaincre les Français de l'intérêt de l'Europe et du vote aux élections européennes, à un moment où les discours souverainistes qui prônent la sortie de l'euro prennent de l'ampleur?

Ce qu’il faut que les Français comprennent, c’est qu’on ne peut pas devenir un leader international sur un marché de 65 millions de personnes comme la France. On peut le devenir sur un marché de 500 millions de personnes comme l'Europe. Il faut aller voter parce que l’Europe est fondamentale pour que la France arrête sa décroissance et garde sa puissance. L'euro est une monnaie refuge qui a permis de traverser les crises. Nous deviendrions pauvres si nous passions au franc. Nous ne pourrions payer que les produits totalement fabriqués en France, et il n'y en a pas beaucoup. Ceux qui disent l'inverse ont tort.

 

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