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MAROC

Exclusivité RFI: les jihadistes marocains en Syrie

Les Marocains seraient aux alentours de 1500 au sein des factions jihadistes en Syrie. Beaucoup combattent dans la brigade marocaine Harakat Sham al-Islam. D'autres dans les rangs du Front al-Nosra, branche officielle d'al-Qaïda en Syrie ou de son frère rival de l’Etat islamique en Irak et au Levant. RFI a pu s'entretenir par téléphone avec Abou Hamza, un Marocain qui combat au sein de l'EIIL depuis plus d'un an, avec ses fils.

Le groupe des jihadistes marocains de Harakat Sham al-Islam. Derrière au centre, le drapeau de HSI. A droite celui du Front al-Nosra , à gauche celui de l’EIIL. Cette photographie tirée du rapport de Romain Caillet, provient d’une vidéo diffusée par HSI.
Le groupe des jihadistes marocains de Harakat Sham al-Islam. Derrière au centre, le drapeau de HSI. A droite celui du Front al-Nosra , à gauche celui de l’EIIL. Cette photographie tirée du rapport de Romain Caillet, provient d’une vidéo diffusée par HSI. ©RFI
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Par David Thomson et Wassim Nasr

Avant de quitter le Maroc pour combattre Bachar al-Assad, Abou Hamza cuisinait le poisson dans la restauration. Son premier départ sur une terre de guerre sainte remonte à 2007, lorsqu'il tente de rejoindre l'Irak. Mais il est arrêté à la frontière syrienne et extradé au Maroc où il est directement envoyé en prison.

Abou Hamza, combattant marocain de l'EIIL en Syrie, dans la région de Lattaquié cet hiver. Aujourd'hui en Turquie il se tient éloigné des combats fratricides entre jihadistes.
Abou Hamza, combattant marocain de l'EIIL en Syrie, dans la région de Lattaquié cet hiver. Aujourd'hui en Turquie il se tient éloigné des combats fratricides entre jihadistes. ©RFI

Après quatre ans derrière les barreaux, il est libéré fin 2011 et repart six mois plus tard pour la Syrie. Abou Hamza, 46 ans, n'est pas parti seul mais avec sa femme et ses quatre fils qui combattent avec lui avec lui dans les rangs de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), même si certains sont encore adolescents. Pour lui, le jihad se conçoit en famille :

« Je suis rentré le 25 février 2013 en Syrie. J’ai souhaité vivre cette expérience en famille sous la bannière de l’État Islamique en Irak et au Levant, pour participer à sa construction et pour que l’islam soit notre voie. Les enfants sont venus avec moi sans problème parce qu'ils sont convaincus. Ils ne travaillaient pas, ils étaient tous étudiants. La maman nous a suivis. On est toujours là sains et saufs. »

Abou Hamza, a combattu avec ses fils au sein de l'EIIL dans la région de Lattaquié pendant un an.
Abou Hamza, a combattu avec ses fils au sein de l'EIIL dans la région de Lattaquié pendant un an. ©RFI

 → A (RE)LIRE: Le Maroc sévit contre les filières jihadistes

Abou Hamza combat depuis plus d'un an dans la région de Lattaquié mais actuellement, ce marocain de l'EIIL se repose loin du front, en Turquie. Sa femme, malade, y reçoit des soins. Mais ce père de famille est également en Turquie pour se tenir éloigné des heurts meurtriers entre légions jihadistes. Selon lui, des Marocains continuent d'affluer en Syrie mais beaucoup retournent au Maroc en raison de ces combats fratricides. Lui-même s'est rendu en Syrie pour y instaurer un califat islamique, mais les divisions entre l'EIIL et les autres factions l'ont dissuadé d'y retourner :

« J’ai décidé de ne pas m’en mêler en attendant que les choses deviennent plus claires. Malgré les problèmes qui se multiplient et malgré la discorde, des Marocains continuent de venir en Syrie, et moi j’y crois toujours. Il est certain que nous sommes combattus tous les jours, mais Dieu tout puissant prédestine des hommes pour défendre la foi et la religion. Malgré les combats fratricides et tout ce qui se passe aujourd’hui, cela reste une certitude pour moi. C’est notre devoir et il est certain que nous allons libérer la Syrie. Mais aujourd’hui, à cause de cette guerre fratricide et des désaccords entre les factions, beaucoup de Marocains prennent le chemin du retour vers le Maroc. Mais moi, ce n'est pas du tout mon choix, car je sais très bien ce qui se passe au Maroc, il y a beaucoup d’injustice. Actuellement on attend l’ordre de Dieu, ce sera probablement vers une autre terre de jihad. Je ne compte pas retourner en Syrie mais j'ai l'intention de rester sur la voie du jihad. Je ne suis pas encore décidé, mais ça ne sera pas la Syrie, plutôt un autre pays. »

 

■ Trois questions à...

Romain Caillet, chercheur et auteur d'un rapport sur les jihadistes marocains en Syrie

A combien s'élève le nombre de jihadistes marocains en Syrie ?

On estime le nombre de Marocains en Syrie entre 1000 et 1500 combattants. Si on ajoute à ce chiffre les bi-nationaux de la diaspora marocaine venant de Belgique, de France, de Hollande, on pourrait arriver à 2000 combattants marocains en Syrie. Si l'on compare aux expériences militantes jihadistes dans le passé, notamment des « Afghans marocains » c'est-à-dire des Marocains qui avaient participé au premier jihad afghan contre les soviétiques, même cette mobilisation qui était historiquement la plus importante, est en-deçà du phénomène auquel on assiste aujourd'hui [en Syrie].

Mais proportionnellement au nombre d'habitants, le nombre de jihadistes marocains semble tout de même en-dessous de la mobilisation des Tunisiens par exemple. En revanche, proportionnellement, le nombre de Marocains en Syrie dépasse celui des Algériens ou des Mauritaniens.

Ancien détenu de Guantanamo, mort en Syrie en avril, Ibrahim Benchekroun était le fondateur de la brigade jihadiste marocaine Harakat Sham al-Islam.
Ancien détenu de Guantanamo, mort en Syrie en avril, Ibrahim Benchekroun était le fondateur de la brigade jihadiste marocaine Harakat Sham al-Islam. ©RFI

Comment est né le groupe des Marocains en Syrie, Harakat Sham al-Islam ?

 

Ce groupe, composé à 90 % de Marocains et commandé par des Marocains, s'appelle Harakat Sham al-Islam, c'est-à-dire littéralement le « Mouvement de l'islam du Levant ». Sa formation remonte à août 2013. Ce groupe a été fondé par des anciens détenus de Guantanamo qui étaient passés par les camps d'entraînement d'al-Qaïda au début des années 2000. C'est donc un groupe qui s'inscrit dans la lignée d'al-Qaïda.

A l'époque du régime des talibans, les jihadistes qui rejoignaient les rangs d'al-Qaïda étaient regroupés par nationalité. Pourquoi se regrouper par nationalité ? D'abord pour éviter les infiltrations. Et l'autre valeur ajouté pour un groupe jihadiste, c'est de pouvoir envisager sur le long terme des actions armées dans son pays d'origine même si ce n'est pas à l'ordre du jour pour le moment. Car il y a actuellement une alliance de Harakat Sham al-Islam avec des groupes non jihadistes, ce qui leur permet d'accéder à un arsenal d'armes lourdes et également à des financements venus de pays du Golfe.

Ce groupe combat dans le nord de Lattaquié et participe depuis la fin du mois de mars à une offensive qui regroupe à la fois le Front al-Nosra, qui est la branche syrienne d'al-Qaïda, mais aussi des groupes salafistes non jihadistes qui sont liés au Front islamique et ce même Front islamique est reconnu par les Américains comme un partenaire dans la crise syrienne.

Abou Oussama al-Maghrebi, combattant marocain de l'Etat islamique en Irak et au Levant, mort dans des combats entre jihadistes en mars.
Abou Oussama al-Maghrebi, combattant marocain de l'Etat islamique en Irak et au Levant, mort dans des combats entre jihadistes en mars. ©RFI

Deux chefs militaires jihadistes marocains sont morts récemment en Syrie. Peut-on dire que chacun représentait par son parcours, la nouvelle et l'ancienne génération du jihad ?

 

Oui le premier, c'est Ibrahim Benchekroun alias Abou Ahmed al-Magrhibi ou Abou Ahmed al-Muhajir. Il était le fondateur du mouvement Harakat Sham al-Islam (HSI). Il est mort à 35 ans, le 2 avril 2014, dans le cadre de l'offensive baptisée « al Anfal » organisée par la coalition qui regroupe le Front al-Nosra, le Front islamique via une brigade salafiste, et HSI, troisième composante de cette troïka qui a mené l'offensive au nord du gouvernorat de Lattaquié.

Ibrahim Benchekroun est quelqu'un qui avait quitté le Maroc à la fin de l'été 2000 puis qui avait rejoint les talibans et intégré les camps d'entraînement d'al-Qaïda en Afghanistan. Après l'offensive américaine, il s'est réfugié au Pakistan et il a été arrêté par les services secrets pakistanais, puis livré aux Américains. Il est passé par les prisons de Baghram et de Kandahar en Afghanistan avant d'être transféré dans la fameuse prison de Guantanamo. En 2005, il est rentré au Maroc où il a fait de nouveau un séjour en prison pour des affaires de terrorisme. Donc lui c'est clairement quelqu'un dont le parcours s'inscrit dans le cursus classique des cadres moyens d'al-Qaïda.

En face, on a Abou Oussama al-Maghribi qui représente ce phénomène de la nouvelle génération. Il n'a pas véritablement de passé militant jihadiste même s'il avait participé à des manifestations islamistes au Maroc. C'est la Syrie qui va lui donner l'occasion de se forger une identité militante. Il a été parmi les premiers Marocains à rejoindre le jihad en Syrie, d'abord au sein du Front al-Nosra, puis dans l'Etat islamique en Irak et au Levant. Et sur le front, il va s'imposer comme un chef de bataillon de l'EIIL, il va mourrir dans une embuscade tendue par le Front al-Nosra, le 21 mars 2014 à l'âge de 28 ans.

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