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Eurovision : la victoire de Conchita Wurst vue d'Autriche

Qualifiée de conservatrice, l'Autriche se trouve propulsée à l'avant-garde des changements sociétaux, avec la victoire d'une drag queen à l'Eurovision.

Par  (Vienne, correspondante)

Publié le 11 mai 2014 à 17h46, modifié le 12 mai 2014 à 11h37

Temps de Lecture 5 min.

Conchita Wurst, le 7 mai 2014, à Copenhague.

Dire que Conchita Wurst, avec ses faux-cils charbonneux et sa barbe postiche qui lui mange le visage, a décoiffé l'Autriche, est un euphémisme : la victoire de cette diva travestie au concours de l'Eurovision, samedi 10 mai à Copenhague – à la veille d'un référendum à haut risque en Ukraine –, est une divine surprise pour un pays réputé, souvent à tort, pour son conservatisme, qui se retrouve ainsi propulsé à l'avant-garde des changements de société.

Moulée dans une robe-fourreau lamé or, l'étonnante « femme à barbe » autrichienne a gagné en chantant Rise like a phoenix (« Comme un phénix renaissant »), véritable manifeste pour le droit à être sexuellement « différent ». Et si le vote lui a été nettement plus favorable dans la partie ouest du continent, ou dans les pays baltes, les téléspectateurs russes de l'Eurovision, appelés comme tous les autres à se prononcer par SMS, l'ont quand même classée troisième : un signe que les oppositions entre Europe « progressiste » et Europe « conservatrice » ne sont pas aussi tranchées.

« MESSAGE DE TOLÉRANCE »

Comme la lauréate elle-même, qui a appelé de ses vœux « la paix », les médias autrichiens et la classe politique ont vite établi un lien entre la finale de l'Eurovision et les tensions actuelles autour de l'Ukraine. « Un message de tolérance à Poutine », titrait dimanche la version en ligne du populaire tabloïd Kronen Zeitung, en allusion aux lois homophobes adoptées par Moscou. Le président de la République, Heinz Fischer, proche du parti  social-démocrate SPÖ, qui gouverne l'Autriche avec les conservateurs, souligne que le succès de Conchita Wurst n'est « pas seulement une victoire pour l'Autriche, mais avant tout pour la diversité et la tolérance en Europe ».

Lire aussi : Eurovision : « C'est la fin de l'Europe ! », explique-t-on à la télé russe

Les Verts, dont la tête de liste aux élections européennes, Ulrike Lunacek, est une militante de longue date des droits des homosexuels et transsexuels (LGBT), avaient affiché sur leur site Internet un soutien enthousiaste à celle qui est devenue, sous les projecteurs de l'Eurovision, une star emblématique de cette cause. Le vice-chancelier Michael Spindelegger, chef du parti chrétien-démocrate ÖVP et très proche de l'Eglise catholique, a quant à lui été plus nuancé : « L'Autriche est fière et se réjouit avec Thomas Neuwirth », dit-il dans un communiqué, où il cite ostensiblement l'identité de la star selon l'état-civil – une manière de dire que l'on ne peut pas changer de genre à son gré.

DÉSAPPROBATION DU FPÖ, LE PARTI DE LA LIBERTÉ

Le seul à avoir marqué sa désapprobation a été le candidat aux européennes du Parti de la liberté (FPÖ, extrême droite), Harald Vilimsky. Son chef, Heinz-Christian Strache, avait déjà critiqué comme antidémocratique le choix de la radiotélévision publique autrichienne, l'ORF, de soutenir Conchita Wurst dès l'automne 2013, sans procéder, comme c'est l'usage, à une sélection lors d'auditions publiques : avec un tel champion, l'Autriche risque de se « ridiculiser », avait prédit Strache.

Lors d'un entretien en direct sur un plateau de l'ORF, dimanche matin, M. Vilimsky a clamé sa préférence pour le chanteur de charme Udo Jürgens – jusqu'alors le seul Autrichien à avoir remporté le concours de l'Eurovision, en 1966 – « car au moins il chante en allemand », et non en anglais. Il est peu probable que M. Jürgens, qui a toujours pris ses distances avec l'extrême droite et le passé nazi, soit ravi de cet hommage appuyé.

Mais il est vrai que le triomphe de Conchita Wurst (un mot qui se prononce « Wurscht » en Autriche, et signifie dans le langage courant aussi bien « saucisse » que « indifférence »), doit beaucoup à l'ORF, dont le directeur général, Alexander Wrabetz, appartient au SPÖ. Derrière le conte de fée de Thomas Neuwirth, né en 1988 à Gmunden, une petite ville de Haute-Autriche, il y a une longue bataille pour faire respecter les droits de ceux qui ne se reconnaissent pas dans le modèle hétérosexuel dominant – celui que Vladimir Poutine s'efforce d'incarner en multipliant ses apparitions en « mâle alpha », la dernière en date sous l'harnachement hyper-viril d'un joueur de hockey sur glace.

CONCHITA WURST A PU COMPTER SUR LA COMPRÉHENSION DE SES PARENTS

C'est d'abord le parcours d'un garçon qui s'identifiait, enfant, à la petite sirène d'Andersen revue par Walt Disney – avec sa voix mélodieuse, ses longs cheveux et son désir irrépressible d'être une autre –, une histoire jalonnée d'humiliations, dans un milieu provincial encore profondément marqué par le catholicisme, mais où « Conchita Wurst » a pu compter sur la compréhension de ses parents : tous deux en costume folklorique de leur région, ils posent, sur une photo, aux côtés de leur progéniture, plus connue pour ses tenues de scène glamour.

Celle-ci s'était déjà classée seconde lors de la sélection, par le public, du candidat qui a représenté l'Autriche à l'Eurovision 2012. Depuis les années 1990, le pays s'est beaucoup émancipé au plan des mœurs. Tandis que des vedettes de cinéma et de télévision n'hésitaient plus à assumer leur homosexualité, le Land de Vienne, gouverné sans interruption par la gauche depuis la deuxième guerre mondiale, a souvent joué un rôle précurseur, en légalisant les unions entre gays ou lesbiennes, puis en autorisant l'adoption simple pour les couples homosexuels, avant d'être imité par d'autres Länder, dont Salzbourg ou la Styrie.

UNE AUTRICHE QUI A BIEN CHANGÉ

C'est aussi à Vienne qu'a lieu en mai, depuis deux décennies, l'ébouriffant Life Ball au profit des malades du sida, qui draine vers la place de l'Hôtel de ville – et dans ses salons d'apparat –, les « drag queens » venues du monde entier dans leurs plus beaux atours. Cette exubérance baroque s'oppose à l'ordre moral imposé aux portes de la capitale par le Land de Basse-Autriche, un bastion du parti conservateur, où une affaire de chants religieux pour la première communion, répétés pendant les cours de musique à l'école publique au mépris des règles de laïcité, vient de défrayer la chronique.

Mais sur ces questions de société, des fissures apparaissent au cœur même de l'ÖVP, que M. Spindelegger a du mal à maîtriser. Fervent catholique, le ministre de l'agriculture Andrä Rupprechter, un pur produit du Tyrol, a surpris tout le monde en révélant, il y a quelques mois, qu'il n'était nullement opposé au mariage pour les couples homosexuels. Il a été rejoint depuis par un autre dirigeant du parti conservateur. Avec ou sans Conchita Wurst, l'Autriche a bien changé depuis l'époque de Sissi.

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