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Cantines bio : mais pourquoi on n’y arrive pas ?

Le bio dans les cantines, en paroles, tous les élus sont pour. Mais en pratique, l’arrivée de carottes et pommes de terre biologiques dans les assiettes se fait attendre. Dans la Sarthe, la coopérative Bio d’ici peine à lier producteurs et restauration collective, au point qu’elle risque de mettre la clef sous la porte. Décryptage.


-  Rennes, correspondance

Depuis un an, Jean-Yves Aubry consacre sa retraite à la gestion de la coopérative Bio d’ici. Il fait la liaison entre seize maraîchers bio du département et la restauration collective : lycées, collèges, écoles mais aussi maisons de retraite.

La coopérative regroupe aujourd’hui trente-neuf clients répartis sur treize communes de l’agglomération du Mans. Mais à peine a-t-elle soufflé sa première bougie qu’elle pourrait disparaître faute de soutien financier et de commandes suffisantes. Jean-Yves Aubry dénonce un double discours politique : « Les pouvoirs publics veulent du bio, tout le monde dit que le bio c’est génial, mais quand il faut y aller, il n’y a plus personne. »

Une preuve ? Lors d’une réunion organisée début avril durant laquelle la coopérative voulait demander leur soutien à quinze collectivités, seules deux étaient représentées. Parmi les absents, le Conseil général. « Il ne met pas d’argent sur la table, ni le personnel suffisant dans les cantines ».

- Les producteurs de la coopérative. Jean-Yves Aubry, deuxième en partant de la gauche -

Une attaque que réfute Emmanuelle Lafont-Leclercq en charge des questions agricoles au département : « Nous nous occupons de la sensibilisation des chefs cuisiniers et des consommateurs mais notre objectif est clairement d’amener des produits locaux dans la restauration collective, pas forcément du bio. »

Pourtant les objectifs du gouvernement sont clairs. Le plan « Ambition bio 2017 » veut doubler les surfaces agricoles cultivées selon les méthodes biologiques d’ici trois ans, et fixe comme objectif 20 % de produits bio dans la restauration collective, sur la base du volontariat.

En Sarthe, les collectivités préfèrent parler de produits locaux, que de produits bio. « Bio d’ici » n’est donc pas une priorité pour le département, d’autant plus qu’Emmanuelle Lafont-Leclercq pointe du doigt le manque de professionnalisme de la coopérative.

« Ils travaillent de manière, disons, artisanale. Ils réclament des subventions mais nous n’avons pas vocation à financer une structure commerciale déficitaire, d’autant plus qu’en 2013, il y a eu des problèmes d’approvisionnement. »

Certaines livraisons ont été annulées car les maraîchers n’ont pas pu produire assez de carottes. Des imprévus inacceptables pour une cuisine centrale dont la priorité est de présenter chaque jour une assiette pleine à des centaines de personnes.

« Le bio n’est pas qu’un mot sur un bon de commande »

Ces ratés, Jean-Yves Aubry, gérant de Bio d’ici les assume : « Nous ne sommes qu’au lancement de notre activité, la filière bio et locale n’existe pas. Il y a tout à créer et ça prend du temps. C’est pour cela que nous avons besoin du soutien des collectivités. »

Ce soutien peut se traduire par des aides financières mais d’abord par des commandes. Après tout, les collectivités locales sont les premières clientes de la restauration collective. La région s’occupe des lycées, le département des collèges, les communes des écoles. Un fort potentiel - mais « les commandes concernent de très petits volumes, quelques kilos, explique Jean-Yves Aubry, en moyenne c’est 65 € par semaine par cantine, elles pourraient faire plus. »

Jonathan Bosteau fait partie du Groupement des agriculteurs biologiques de la Sarthe. Il s’occupe de la restauration collective. Pour lui, « le bio n’est pas qu’un mot sur un bon de commande. Pour amener du bio dans les cantines, il faut tout repenser », en particulier, l’organisation des cuisines.

Les chefs cuisiniers sont habitués à recevoir des légumes déjà épluchés, un gain de temps pour pouvoir servir cinq entrées en portion individuelle. Repenser l’organisation d’une cuisine pourrait se traduire par deux entrées en libre-service, de quoi dégager du temps pour éplucher les pommes de terre bio.

Les maraîchers aussi doivent s’organiser. « Ils doivent pouvoir garantir aux chefs cuisiniers qu’ils livreront leur légumes en temps et en heure, qu’il n’y aura pas d’imprévus, explique Jonathan Bosteau. Pour y arriver, il faut prévoir les récoltes à l’avance. »

Un faux départ

Cela n’a pas été fait. Paul Létard s’occupe des questions environnementales à la mairie d’Allonnes, une commune très impliquée dans « Bio d’ici », à tel point qu’elle a des parts sociales dans la coopérative.

« A l’origine, on devait planifier les récoltes sur l’année pour pouvoir répondre aux exigences de la restauration collective ; dans les faits, la coopérative ne fait que la livraison. Il faut aujourd’hui relancer la machine. »

Mais le bio ne se résume pas à de la logistique, il est aussi question de développement territorial car la Sarthe n’est pas un département où le bio est roi. Il compte deux cents fermes labellisées, couvrant 3 % de la surface agricole, moins que la moyenne nationale de 4 %, très loin du département voisin, la Loire-Atlantique qui atteint les 6 %.

« Les collectivités n’ont jamais soutenu les maraîchers qui voulaient s’installer, déplore Jonathan Bosteau, et aujourd’hui elles veulent qu’ils fournissent la restauration collective. Ça ne peut pas se faire du jour au lendemain. »

Pour structurer la filière bio en Sarthe, il est nécessaire que l’offre et la demande coïncident, « ce qui n’est pas le cas », pour Benoit Lemeur, chargé de mission auprès du ministère de l’Agriculture sur cette question de l’approvisionnement.

« Par exemple il n’y a pas de réunions entre les techniciens des cantines et ceux liés aux maraîchers, du coup, ils ne comprennent pas les contraintes des uns et des autres, ce qui explique des ratés. »

Pour lui, la solution ne réside pas dans un chèque en blanc de la part des collectivités mais dans un carnet de commandes clair. « Les collectivités doivent dire "nous voulons telle quantité de bio pour l’année 2014-2015" et les producteurs se regrouper entre eux pour répondre à la demande. »

Communes, département et région doivent donc mener la danse et la mairie la plus apte à en devenir le chef d’orchestre est celle du Mans, ville de plus de 140 000 habitants qui n’entretient aucun lien avec Bio d’ici.

De quoi agacer Jean-Yves Aubry, gérant de la coopérative : « Le Mans débloque un million d’euros pour le stade de foot qui ne sert à rien, mais deux mille euros pour des pommes bio ça ne rentre pas dans leur budget. » A quoi le vice-président du Mans métropole, Samuel Guy, répond qu’il s’agit plus d’une question d’organisation que d’argent.

Il rappelle que Bio d’ici n’était pas en capacité de répondre au dernier appel d’offres, car il s’agissait d’un gros contrat : dix mille repas à fournir par jour avec des contraintes très fortes, probablement trop pour la toute jeune coopérative.

Néanmoins, la métropole s’est fixé des objectifs : 30 % de produits locaux, voire bio, dans la restauration collective d’ici 2020. Aujourd’hui on oscille entre 7 et 10 %. Les aliments bio devrait à l’avenir prendre plus de place ; Samuel Guy assure que « la collectivité s’engage à favoriser l’accès à « Bio d’ici » aux marchés publics afin de lui assurer des débouchés et un chiffre d’affaire. »

Une nouvelle réunion entre la coopérative, les treize communes partenaires, Le Mans métropole, le département et la région est prévue le 14 mai. Cette réunion devrait sceller le destin de la coopérative. Si elle ne trouve pas 30 000 €, elle mettra la clef sous la porte.

Pour obtenir ce soutien financier, Bio d’ici devra probablement faire des compromis et s’associer aux agriculteurs conventionnels, c’est tout du moins ce qu’explique Samuel Guy. Il souhaite inciter la coopérative à « travailler en partenariat avec les autres producteurs bio ou de qualité locaux. »

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