Chroniques

La folle économie du climat

Paul Krugman

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Par Paul Krugman

Aux yeux de la droite, de sombres desseins sont partout – par exemple Georges Will affirme que la seule raison pour laquelle les progressistes préfèrent le train, c’est qu’ils veulent "diminuer l’individualisme des Américains afin de les rendre plus serviles envers la collectivité".

Il va donc sans dire que l’Obamacare, basée sur des idées développées à l’origine par la Heritage Foundation, est un modèle marxiste – eh bien oui, demander aux gens de souscrire une assurance, c’est presque la même chose que de les envoyer au goulag.

Et attendez que l’Agence de Protection de l’Environnement annonce les règles afin de ralentir le changement climatique.

Jusqu’à présent, la folie climatique de la droite s’est surtout concentrée sur des attaques contre la science. Et quel spectacle : aujourd’hui, presque tous ceux qui sont encartés chez les conservateurs soutiennent l’idée que le changement climatique n’est qu’une vaste supercherie, que les milliers d’articles de recherche qui démontrent un réchauffement de la planète – 97% de la littérature sur le sujet – sont le produit d’un immense complot international. Mais alors que l’administration Obama semble sur le point de vraiment agir en fonction de cette littérature, la folle économie du climat fait son chemin de son côté.

L’on peut déjà avoir un avant-goût de ce qui se prépare grâce aux opinions divergentes face à une décision récente de la Cour Suprême en rapport avec la pollution des centrales électriques. La majorité des juges de la Cour Suprême se sont mis d’accord sur le fait que l’Agence de Protection de l’Environnement (APE) a le droit de réguler le smog (ndlt : ce mélange de smoke – fumée - et de fog – brouillard – causé par la pollution) généré par les centrales de charbon, qui dérive à travers les états. Mais le juge Antonin Scalia ne s’est pas contenté d’être en désaccord ; il a suggéré que la règlementation proposée par l’APE – qui associerait la taille des réductions requises de smog au coût – reflétait le concept marxiste de "chacun selon ses possibilités". Prendre le coût en considération, c’est marxiste ? Qui l’eut cru ?

Et l’on ne peut que trop bien imaginer ce qui va se passer lorsque l’APE, mise à flots par cette règlementation sur le smog, va passer à une régulation des émissions de gaz à effet de serre.

Qu’est-ce que j’entends par une folle économie climatique ?

Tout d’abord, tout effort de limiter la pollution est vu comme de la tyrannie. La pollution n’a pas toujours été un véritable problème partisan : les économistes de l’administration George W. Bush ont écrit des hymnes au contrôle de la pollution "basé sur les marchés", et en 2008 John McCain a fait des propositions en vue de limiter et de mettre en place un système de quotas sur les émissions de gaz à effet de serre lors de sa campagne présidentielle. Mais lorsque les démocrates de la Chambre ont bel et bien voté pour une loi sur les quotas en 2009, on les a attaqués et traités, comme vous vous en doutez, de marxistes.

Et les républicains d’aujourd’hui s’opposent en force aux réglementations même les plus évidemment nécessaires, comme le projet de réduire la pollution qui tue la Baie de Chesapeake.

Deuxièmement, nous allons assister à des affirmations selon lesquelles tout effort de limiter nos émissions aura ce que le Sénateur Marco Rubio présente déjà comme un "impact dévastateur sur notre économie".

Pourquoi est-ce fou ? Normalement, les conservateurs glorifient la magie des marchés et l’adaptabilité du secteur privé, qui est censément capable de transcender avec facilité toute contrainte posée par, disons, l’offre limitée des ressources naturelles. Mais dès que quelqu’un propose d’ajouter quelques limites pour refléter des problèmes liés à l’environnement – telles qu’un quota sur les émissions de carbone – ces grandes entreprises capables de tout perdent apparemment toute aptitude à gérer le changement.

Ceci dit, les règles que l’APE va certainement imposer ne donneront pas autant de souplesse au secteur privé que ce qu’il aurait eu en acceptant des quotas relatifs à leur poids économique ou des taxes sur les émissions de carbone. Mais les républicains ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes : leur opposition digne d’une tactique de la terre brûlée à toute mesure verte n’a laissé d’autre choix à la Maison Blanche que celui de les inscrire à leur liste de choses urgentes à faire.

De plus, il apparaît que concentrer une politique verte sur les centrales à charbon n’est pas une mauvaise idée initiale. Ces centrales ne sont pas les seules à émettre des gaz à effet de serre, mais le problème vient largement d’elles – et la meilleure estimation que nous avons du chemin à entreprendre suggère que le fait de réduire les émissions de ces centrales serait déjà une bonne partie de la solution.

Qu’en est-il de l’argument qu’une action unilatérale des États-Unis ne peut pas fonctionner puisque c’est la Chine le véritable problème ? Il est vrai que nous ne sommes plus le numéro un en termes de gaz à effet de serre – mais nous sommes toujours un solide numéro deux. De plus, l’action américaine sur le climat est un premier pas nécessaire pour aller vers un accord international plus général, qui inclura forcément des sanctions contre les pays qui refusent d’y prendre part.

Ainsi, l’orage attendu à propos de la nouvelle règlementation de ces centrales électriques ne sera pas un véritable débat – tout comme il n’existe pas de véritable débat à propos de la climatologie. Nos ondes vont plutôt être remplies de théories du complot, et de folles affirmations à propos des coûts, et elles devront toutes être ignorées. Les mesures sur le climat pourraient enfin mener quelque part ; ne laissons pas une folle économie du climat se mettre en travers de la route.

Paul Krugman

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