Géosciences

Une toundra ancienne sous les glaces du Groenland

Un sol préservé a été découvert sous trois kilomètres de glace au centre du Groenland. Il est resté exposé à l’air libre pendant plusieurs centaines de milliers d’années, avant qu’une calotte de glace ne le recouvre, il y a quelque 2,7 millions d’années.

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En 1993, cinq ans après avoir débuté, le forage GISP2 (Greenland Ice Sheet Project) de la calotte glaciaire groenlandaise centrale s’achève par le contact avec le socle granitique. Or les 15 derniers mètres de la carotte de 3053 mètres ainsi obtenue révèlent des sédiments riches en matière organique. Autour de Paul Bierman, de l’Université du Vermont aux États-Unis, une équipe américaine vient de les faire parler. Ces sédiments montrent qu’avant la formation de la calotte centrale groenlandaise, il y a quelque 2,7 millions d’années, une toundra a occupé le centre du Groenland pendant au moins 200 000 ans.

Il y aurait de la glace au Groenland depuis 38 millions d’années au moins, mais c’est au début du Pléistocène (ère qui s’étend d’environ 2,6 millions d’années à 12 000 ans avant le présent) que la calotte glaciaire groenlandaise s’est formée. Elle a persisté durant la trentaine de cycles glaciaire-interglaciaire qui ont suivi. Or les géologues considèrent que tous les glaciers arasent le sol sur lequel ils reposent, ce qui fait disparaître les paysages qu’ils recouvrent. En outre, l’étude des dépôts de sédiments marins autour du Groenland et de l’Amérique du Nord suggère que depuis le début du Pléistocène, la succession des débâcles glaciaires a entraîné sur ces terres l’arasement d’une couche de sol de 100 mètres d’épaisseur…

Pas partout, a prouvé l’équipe de P. Bierman en étudiant la concentration en béryllium 10 dans les 15 derniers mètres de carotte. Cet isotope radioactif du béryllium (noyau atomique composé de quatre protons et six neutrons) est en effet cosmogénique, c’est-à-dire créé sous l’effet des rayons cosmiques incidents sur Terre. La couche de sédiments la plus riche en béryllium 10, que les chercheurs identifient au paléosol, en contient 3,8 x 108 atomes par gramme. Or une loi empirique, établie à partir de nombreuses mesures dans les sols arctiques, relie cette densité en masse à la densité en surface. Les chercheurs en ont déduit que le paléosol contient 6,7 x 1010 atomes de béryllium 10 par centimètre carré. Comme on estime que 3,5 x 105 atomes de cet isotope sont créés par centimètre carré et par an au centre du Groenland, on en déduit que la durée d’exposition de ce sol aux rayons cosmiques a été d’au moins 190 000 ans.

Mais il est probable qu’en autant de temps, le sol se soit érodé, au moins un peu… En outre, les 2,7 millions d’années de la calotte glaciaire correspondent à deux demi-vies du béryllium 10, de sorte qu’au début du Pléistocène, le nombre d’atomes de cet isotope dans le sol du centre du Groenland était quatre fois supérieur. Pour ces deux raisons, les géologues concluent qu’une toundra a existé au centre du Groenland pendant une durée de 200 000 ans à un million d’années, avant le début du Pléistocène, et que le climat groenlandais a été subarctique plutôt qu’arctique pendant cette période.

Le cas étudié prouve par ailleurs qu’il est possible qu’un glacier laisse quasi intact le sol qu’il recouvre pendant des millions d’années. Deux conditions sont nécessaires pour cela selon les chercheurs : d’une part qu’il ne se déplace pas ; d’autre part que sa glace soit à température négative jusqu’à sa base (de sorte qu’aucune eau ne circule sous la glace). D’après les forages déjà réalisés, environ 30 pour cent de la surface englacée du Groenland seraient dans cette situation. Les géologues veulent maintenant essayer de découvrir des paléosols intacts en Antarctique, où les calottes dépassent souvent quatre kilomètres d’épaisseur…

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François Savatier

François Savatier est rédacteur à Pour la Science. Il est l’auteur de Dernières nouvelles de Sapiens (Flammarion, 2021).

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Références

Paul Bierman, et al., Preservation of a Preglacial Landscape Under the Center of the Greenland Ice Sheet, Science, vol. 344, N° 6182, pp. 402-405, 2014.

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