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Entreprise

Obama n'aurait jamais laissé Alstom racheter General Electric

Les Etats-Unis, comme le Royaume-Uni, protègent leurs fleurons industriels via un arsenal juridique très efficace. La France, elle, est une passoire.
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Barack Obama et François Hollande
Barack Obama et François Hollande à Washington lors de la visite d'Etat du Président français en février 2014.
Andrew Harrer/CNP/AdMedia/SIPA

Un véritable festival. Depuis samedi, le gouvernement fait feu de tout bois pour retarder le processus de vente de la branche énergie d’Alstom. Après avoir exigé par la voix d’Arnaud Montebourg plus de temps pour étudier les options stratégiques du groupe, soulignant qu’"Alstom vit notamment de la commande publique et du soutien de l'État à l'exportation", après les coups de menton de François Hollande recevant les patrons de General Electric, Siemens ou Bouygues, le gouvernement a saisi ce matin l’AMF pour "s'assurer de la transparence du processus de mise en vente de la branche énergie du groupe industriel Alstom".

Cette gesticulation masque mal le fait que l’Etat, qui n’est plus actionnaire d’Alstom qu’à hauteur de moins de 1% via la Caisse des dépôts, n’a guère de levier juridique pour émettre son veto face à l’opération. Certes, la France peut s’appuyer sur un décret du 30 décembre 2005 listant onze secteurs stratégiques (cryptologie, armement, jeux d’argent... ) dans lesquels un rachat d’entreprise nécessite une autorisation de Bercy. Mais ce décret, qui avait provoqué les foudres de Bruxelles, se résume à une liste très ciblée sur les entreprises et technologies de défense.

Les entreprises encore protégées

Dans les faits, le processus est piloté par la direction générale du Trésor, qui en délègue l'instruction aux organismes d’Etat, le plus souvent la Direction générale de l’armement (DGA). Environ un tiers des dossiers donne lieu à une autorisation sans réserve, deux tiers à une autorisation sous condition, et seulement 1% à un refus. La vente du fondeur spécialisé Manoir Industries au groupe chinois Taihai fin 2012 a ainsi été conditionnée au maintien sous actionnariat européen de l'usine d'Outreau, qui fabrique des pièces stratégiques dites "cœurs de voies".

Les entreprises et technologies de défense apparaissent comme les seules véritablement protégées. La DGA suit régulièrement 1.500 PME, dont 600 au titre de compétences "critiques" et 300 au titre de compétences "stratégiques", le cœur du réacteur technologique français. La Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) dispose d'une division spécifique, baptisée "sous-direction K", en charge de la protection des fleurons français. Les PME de la défense sont aussi accompagnées par les 1.100 agents de la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD).

Incroyable, le nucléaire est sans protection

Pas suffisant pour protéger des pans entiers de l’industrie française. "On reste encore trop gentils par rapport aux Anglo-Saxons, assurait en 2013 à Challenges un haut responsable de l’intelligence économique. Il faudrait muscler encore le décret en l'ouvrant à d'autres secteurs, comme l’énergie". Le nucléaire, par exemple, ne figure pas dans les onze secteurs visés par le décret. Une solution, avancée par certains observateurs, serait d’avoir une interprétation plus extensive des secteurs évoqués par le décret : le caractère dual (civil et militaire) de nombreuses technologies dans l’énergie (turbines…) autoriserait l’Etat à intervenir.

Même le Royaume-Uni, pourtant très ouvert aux investissements étrangers, dispose d’armes redoutables pour protéger ses fleurons. L’Enterprise Act de 2002 dispose que le ministre de l’industrie peut édicter par voie d'ordonnances les considérations d’intérêt public pouvant motiver son intervention sur une transaction. La menace de "veto" sur le projet de rachat de l’énergéticien Centrica par Gazprom avait ainsi suffi à décourager les ardeurs russes en 2006.

Les Américains ont tout compris

Mais les maîtres en matière de protection des intérêts nationaux sont évidemment les Etats-Unis, ultra-protectionnistes sur leurs technologies-clés. Washington s’est doté dès 1988 d’une législation protectrice des centres de décision stratégiques avec l’adoption de l'amendement dit "Exon-Florio", à l’origine destiné à contrer la montée en puissance des géants japonais. Le principe ? Cette législation donne aujourd'hui à Barack Obama, le pouvoir de bloquer l’acquisition d'une société américaine par des intérêts étrangers au nom de la sécurité nationale. Dans les faits, ce pouvoir est transféré à une commission spécialisée, la redoutable commission sur les investissements étrangers aux Etats-Unis (CFIUS).

Cette législation a encore été renforcée en 1992, avec un pouvoir de blocage étendu à des transactions ayant un effet potentiel sur "le leadership technologique américain dans des domaines affectant la sécurité nationale". Un intitulé suffisamment vague pour ouvrir la voie à de multiples interprétations. Un rapport du Sénat publié en 2007 détaillait quelques exemples de blocage de transactions qui n’ont de fait, qu’un fort lointain rapport avec la sécurité nationale : un fournisseur d’accès internet du Colorado convoité par le japonais NTT ; un opérateur de ports convoité par le groupe émirien DP World ; ou la société pétrolière Unocal, convoité par un groupe chinois.

Et même quand un groupe étranger parvient à ses fins, comme le français Safran, qui s’est offert de 2009 à 2011 trois cadors de la sécurité américaine (Printrak, GE Homeland Protection, L-1), les conditions de gouvernance sont drastiques : sur certaines activités sensibles, comme les permis de conduire sécurisés, le groupe doit se soumettre au système de "proxy": la gestion des métiers jugés sensibles par les autorités américaines doit être déléguée à des administrateurs choisis sur une liste de profils validés par le gouvernement américain, quasiment indéboulonnables par l’actionnaire français.

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