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Le retour en France de Jérôme Kerviel, Goliath médiatique

Après avoir défié la justice, l'ex-trader de la Société générale a repris sa marche depuis l'Italie pour revenir en France, où il doit purger une peine de trois ans de prison ferme.

Publié le 18 mai 2014 à 19h07, modifié le 29 juillet 2014 à 08h20 Temps de Lecture 4 min.

L'ancien trader de la Société générale Jérôme Kerviel, près de la frontière française, le 18 mai.

Se souvient-on encore de l'affaire Kerviel ? De l'histoire de ce trader emporté dans une spirale folle qui l'amène à prendre sur le marché près de 50 milliards d'engagements sans contrepartie en janvier 2008 ? Qui établit plus de 900 opérations fictives, fabrique des mails à en-tête falsifiés de la Deutsche Bank ou de JP Morgan et invente de toutes pièces un donneur d'ordre quand les premières alertes se déclenchent sur ses opérations ?

C'est cet homme-là qui, au terme d'une instruction de neuf mois menée par l'un des juges les plus expérimentés du pôle financier, Renaud Van Ruymbeke, a été renvoyé devant le tribunal pour abus de confiance, faux et usage de faux et introduction de données informatiques frauduleuses.

Qui, après quatre semaines de procès où il a pu exposer ses arguments dans un débat public et contradictoire, avec pour sa défense le cabinet de droit pénal des affaires le plus puissant de la place de Paris, celui de feu Olivier Metzner, a été déclaré coupable et condamné à trois ans de prison.

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Qui a fait appel du jugement, a changé d'avocat, s'est à nouveau expliqué publiquement et contradictoirement, et a vu sa condamnation confirmée par la cour d'appel de Paris. C'était il y a presque deux ans jour pour jour, en juin 2012.

SUPERPRODUCTION LIVRÉE CLÉS EN MAIN

Mais s'aventurer à rappeler les raisons pour lesquelles un tribunal puis une cour l'ont condamné, c'est être aussitôt rangé du côté de ceux qui, bien qu'ayant plongé pendant des mois et des semaines dans la complexité du dossier, ne se sont pas rendu compte qu'ils étaient dupés, manipulés, instrumentalisés par la Société générale.

Et que pèse tout cela face à l'image d'un Jérôme Kerviel bronzé et barbu, marchant sac au dos sur les routes, en apôtre autoproclamé de la lutte contre la dérive des marchés financiers ?

Comment les trois cents pages de motivation austères, complexes, rendues par le tribunal puis par la cour d'appel pourraient-elles rivaliser avec cette superproduction hollywoodienne livrée clés en main aux chaînes d'information dans laquelle un ex-méchant trader, parvenu à échapper aux griffes d'une superpuissance banquière, vient chercher sa rédemption à Rome avant de se livrer, tel saint Sébastien, aux flèches d'un pouvoir politique et judiciaire totalement soumis aux exigences occultes de l'argent ?

LE VATICAN MANIPULÉ

On ne peut pas lutter contre un tel Goliath médiatique. Et Jérôme Kerviel l'a compris très vite. Depuis le début de l'affaire qui porte son nom, il sait que, plus on s'approche du fond du dossier, plus on prend la peine de comprendre, plus sa défense est périlleuse. Il lui faut donc se défendre là où il ne peut pas être contredit. Dans ce domaine, il se révèle tout aussi habile que lorsqu'il masquait ses opérations comptables.

La photo d'une poignée de main lors d'une audience générale qui accueillait quarante mille personnes un mercredi au Vatican et où Jérôme Kerviel est parvenu à se glisser au premier rang et à faire immortaliser la scène devient, via son comité de soutien très actif sur le Web, une « rencontre » avec le pape François.

L'information est aussitôt relayée sans être vérifiée et fait les gros titres. Le correctif apporté par les services du Vatican, dépassés par l'ampleur de la manipulation, arrivera – il sera notamment apporté dans les colonnes du quotidien catholique La Croix mais trop tard, le coup de génie est parti.

Voilà Jérôme Kerviel, hier héros de la gauche de la gauche, qui murmure désormais aux oreilles des catholiques, touchés par ce récit de rédemption et de repentance.

Qu'une telle conversion ne se fasse pas dans l'intimité d'une conscience mais s'expose en direct aux caméras de télévision ne semble guère susciter la méfiance. On suit le calvaire pédestre de l'ex-trader jusqu'à la frontière où, annonce-t-il, il va se présenter pour purger sa peine en parfait repenti.

Lire aussi : Le paradoxe Kerviel

« PARFAITE CONNAISSANCE DES ROUAGES »

Mais, une fois cette belle histoire installée, le voilà qui s'attarde, écrit au président de la République, lui demandant de le rencontrer « au plus tôt afin de lui exposer l'ensemble des dysfonctionnements graves » qui ont marqué son parcours judiciaire, et attend sa réponse.

La réponse vient, polie mais ferme. Il attend encore. Demande « l'immunité » pour des « témoins » menacés qui voudraient parler en sa faveur.

Après s'être prévalu de la bénédiction du pape, Jérôme Kerviel tenterait-il de glisser ses pas dans ceux d'Edward Snowden, l'ancien employé de la CIA et de la NSA, qui a révélé les détails des programmes de surveillance de masse aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne ?

Le trader qui, comme le relevait l'avocat général Dominique Gaillardot devant la cour d'appel, « tapait d'une main des explications fausses, fabriquait des faux mails en réponse aux questions qui lui étaient posées, et continuait de l'autre à prendre des positions à risque » grâce à « une parfaite connaissance des rouages, qui lui permet d'adapter son discours en permanence », est-il si différent de celui qui, aujourd'hui, joue si bien du clavier médiatique ?

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