Cécile David-Weill : les Français sont-ils trop gâtés ?

Ce qui apparaît moderne et branché à New York est galvaudé et souvent passé sous silence en France. Cécile David-Weill se gausse de notre auto-dénigrement.

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Paris. © Cyriel Martin / Le Point.fr

Temps de lecture : 4 min

Et dire qu'on affirme que les Français sont arrogants ! Pourtant, vus de Manhattan, ils sont plutôt complexés. En effet, ils auréolent New York de toutes les vertus, y compris celle de la modernité. Et ils sont tellement convaincus que les Américains sont des pionniers qu'ils saluent leur capacité d'innovation en s'émerveillant de réalisations dont ils sont pourtant parfois eux-mêmes les précurseurs.

New York est en effet bien loin de l'image d'Épinal de modernité fantasmée par les Français. Joe Biden, le vice-président américain, fit d'ailleurs récemment scandale en déclarant que, si on lui bandait les yeux jusqu'à l'aéroport LaGuardia (l'un des trois principaux aéroports de New York et qui a accueilli plus de 25 millions de passagers en 2012), il penserait en toute bonne foi se trouver dans un aéroport du tiers-monde, tandis que si on renouvelait le procédé en le conduisant à celui de Hong Kong, il serait convaincu d'être dans un aéroport américain.

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Et il est vrai que les infrastructures américaines en général, et new-yorkaises en particulier, sont loin de correspondre à l'idée que l'on se fait des équipements d'une aussi grande puissance. La plupart des routes, des ponts, des stations de métro, des canalisations, des égouts et des bâtiments publics de la ville ont au moins cinquante ans. Et si la vétusté de ces infrastructures s'avère parfois dangereuse, elle a surtout des conséquences tangibles sur la vie quotidienne. Ainsi, c'est à cause du système d'alimentation en eau de la ville que le fait d'avoir un lave-linge chez soi constitue un luxe inouï à New York, les canalisations étant trop larges pour que les immeubles aient la pression nécessaire pour en équiper leurs étages, d'où la généralisation des laveries collectives en sous-sol. Il en va de même pour les terminaux de paiement électronique trop vieux pour les cartes à puce, dont l'usage est annoncé aux États-Unis pour octobre 2015, c'est-à-dire près de vingt-cinq ans après ses débuts en France !

Un épigone de la piscine Deligny

Et puis, est-ce à force d'intérioriser notre modeste place dans le monde ? Les Français ont tendance à s'extasier devant toutes les "innovations" new-yorkaises, même celles qui s'inspirent directement de réalisations françaises. C'est le cas de la High Line, l'ancienne voie ferrée aérienne de Chelsea, qui a été transformée en parc public en 2010 sur le modèle de la promenade plantée aménagée dans le 12e arrondissement de Paris dix-sept ans plus tôt et qui emprunte le trajet d'une voie ferrée désaffectée sur 4,5 km.

Autre exemple : le projet de piscine flottante sur l'East River, qui vient d'être dévoilé à New York. Son nom ? La pluspool ("piscine plus"). Car elle devrait avoir les dimensions d'une piscine olympique et une forme de croix, dont chaque branche aurait une fonction différente, une pataugeoire pour enfants, un bassin destiné à la natation sportive, un autre aux sports aquatiques, et un lounge. Un projet ludique qui n'est pas sans rappeler notre mythique piscine Deligny, dont l'histoire commença à Paris en 1785, qui regroupait un solarium, une piscine et un bar-restaurant sur douze barges amarrées à proximité de l'Assemblée nationale et qui sombra dans la Seine en 1993.

Aussi, on ne sait pas de quoi il faut le plus se désoler, du complexe d'infériorité des Français qui les rend aussi inaptes à revendiquer leurs réalisations qu'à en tirer une légitime fierté ou de l'indéniable supériorité des Américains à tirer le meilleur parti de la réalisation des autres. Sans doute faut-il chercher du côté du mode de financement de ces projets pour comprendre ces différences. Car les projets américains, largement privés, ont besoin de communiquer et de lever des fonds pour être menés à bien.

Les Français ne savent pas "en profiter"

Ainsi, les trois jeunes designers à l'origine du projet de piscine communiquent sur sa qualité de passoire géante purifiant l'eau de la rivière pour l'alimenter. Et ils mènent une campagne de financement participatif des plus séduisantes en proposant aux visiteurs du site pluspool.org de réserver leur place au bord de la future piscine, de bénéficier du privilège d'être dans les premiers à s'y baigner, ou d'y faire graver leur nom sur un de ses carreaux. Il y a fort à parier que leurs futurs usagers n'en soient que plus impliqués lors de son ouverture et qu'ils se regroupent dans une association comme celle des amis de la High Line de New York, qui a tant fait pour son renom et sa popularité auprès des touristes comme des habitants de la ville.

Et ce, alors que la notoriété de la promenade plantée de Paris n'a pas dépassé les limites de notre capitale. Et que la municipalité a remplacé la piscine Deligny par une somptueuse nouvelle piscine flottante ouverte en 2008, la piscine Joséphine-Baker amarrée au port de la gare au pied de la bibliothèque François-Mitterrand, qui possède même un toit de verre amovible. Et si les Français étaient simplement trop gâtés pour savoir en profiter ?

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Commentaires (37)

  • Hippocrate.

    Critiquer ouvertement les quelques défauts qui existent ailleurs, en faisant abstraction des multiples lacunes qui existent depuis des années chez nous ! Pas de doute possible : nous sommes les meilleurs !

  • capmartin

    Oui, nous nous dévalorisons trop vis à vis des autres pays et surtout des USA ; Voilà une "grande" puissance dont 55 millions de ses enfants n'ont aucune sécurité sociale, New York - à part qques rues entre la 5° et la 6° ave. - sont impraticables, la criminalité en chute libre sous Giuliani et Bloomberg remonte à toute allure, l'oeil ne se repose jamais, c'est une bousculade incessante prise de frénésie. Bizarre, notre jugement d'autant que Paris est actuellement visité et apprécié par des milliers de touristes. Essayez à N. Y. De passer commande en français, personne ne le parle ; dans mon quartier, le IV° je connais bcp. De serveurs qui font leur possible pour répondre en anglais, en italien. Assez de nous déprécier.

  • darius

    Comme on dit chez nous "on lave son linge sale en famille" !

    Question c'est tout ce que vous retenez de ce repassage (pardon passage) ?

    Oui !

    Alors vous êtes vraiment au niveau de Cécile David-Weill !

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