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Foot : le fair-play financier est-il conforme au droit européen?

Le PSG ne pourra plus dépenser à fonds perdus pour assouvir ses ambitions sportives. Mis en place en 2011 par l'UEFA, ce dispositif visant à améliorer la santé financière des clubs et à assurer l'équité sportive fait débat.
par Sasha Mitchell
publié le 19 mai 2014 à 10h49

Connue depuis quelques jours la sanction est officiellement tombée vendredi soir. Après plusieurs semaines de négociations, l'Union européenne des associations de football (UEFA) a puni le Paris-Saint-Germain pour non respect du fair-play financier, cette règle imaginée par Michel Platini pour mettre un terme à la course à l'armement financier. Mis au piquet, le club de la capitale ne pourra aligner que 21 joueurs en Ligue des champions – contre 25 pour ses concurrents — la saison prochaine et devra limiter sa masse salariale aux 230 millions d'euros actuels. Une amende de 60 millions d'euros, dont 20 fermes, est également prévue, ainsi que la restriction du déficit à 30 millions d'euros à la fin de la saison 2014-2015. Ailleurs en Europe, huit autres clubs dont Manchester City, le Zenith Saint-Petersbourg ou encore Galatasaray, ont été épinglés pour la même raison. A terme, les clubs de foot européens seront contraints par le règlement de ne dépenser que ce qu'ils gagnent. Déficit zéro – ou presque —, en somme. «Notre ambition de devenir l'une des marques globales de sport parmi les meilleures et les plus performantes n'est pas remise en cause par ces mesures», a réagi le président du PSG, Nasser al-Khelaïfi, reconnaissant cependant qu'elles constituaient «un réel handicap». Il les accepte néanmoins. Alors que certains estiment que les clubs sanctionnés pourraient être fondés à contester devant la justice européenne les principes du fair-play financier, dérogatoires au droit communément appliquée aux entreprises.

Ainsi, l'année dernière, l'avocat belge Jean-Louis Dupont a déposé une plainte devant la Commission européenne et le tribunal de première instance de Bruxelles au motif que le fair-play financier est contraire au droit européen. «Il crée les restrictions de concurrence suivantes : limitation des investissements, figement de la structure de concurrence existante, diminution du nombre de transferts, de leurs montants et du nombre de joueurs sous contrat par club, pression déflationniste sur le niveau de salaire des joueurs» déclarait-il le 5 mai au Parisien. Déjà à l'origine de l'arrêt Bosman de 1995 libéralisant le marché des transferts, l'avocat remet le couvert dans le monde du ballon rond.

«Si on limite les investissements, on limite la concurrence»

«Le fair-play financier est contestable et attaquable», confirme Michel Ponsard, juriste spécialisé en droit de la concurrence. Au vu de l'article 101 du traité de Lisbonne relatif aux pratiques restrictives et aux arrangements anticoncurrentiels, le mécanisme pourrait même très bien être considéré comme illégal. Imposer une limite au déficit, par exemple, revient à empêcher les clubs d'investir. «Si on limite les investissements, on limite de fait la concurrence» constate Michel Ponsard. Dans les sanctions, il est également prévu de restreindre l'accès au marché des joueurs −et donc des travailleurs−, comme ce sera le cas pour Paris cet été. Une mesure bel et bien anticoncurrentielle du point de vue strictement économique.

Objection. L'UEFA demeure une instance sportive, domaine dans lequel l'Union européenne est souvent plus conciliante, avec une étude au cas par cas. Même si les effets du fair-play financier sont a priori anticoncurrentiels, le but affiché est de rétablir une certaine équité dans les compétitions continentales de football. Un objectif tout à fait louable puisque promu dans l'article 165 du traité de fonctionnement de l'union européenne (TFUE). «Nous pourrions très bien imaginer que l'UEFA plaide en faveur du caractère spécifique du sport, d'une marge d'autonomie accrue laissée aux instances sportives pour édicter leurs propres règles et d'une interprétation des lois différente que pour les industries "normales", écrit Stephen Weatherill, professeur à l'université d'Oxford. Ce qui serait stratégiquement intelligent mais intellectuellement faible, au vu des sommes en jeux dans le football contemporain.» «On ne peut pas prétendre être purement dans le domaine du sport, renchérit Michel Ponsard. Avec les joueurs par exemple, il y a des effets économiques considérables, comme les retombées liées aux ventes de maillots.»

L’efficacité en question

Et puis au fond, le dispositif permettra-t-il réellement d'atténuer l'hégémonie des ogres européens? Pas si sûr. «Le règlement, en rendant impossible l'investissement, empêche l'émergence de nouvelles ambitions et fige la disposition actuelle. Demain, l'arrivée de nouveaux PSG ou Manchester City sur le marché semble difficile à imaginer», poursuit le juriste parisien. S'il s'attaque au problème du déficit, le fair-play financier ignore −opportunément?− la question de la dette. Abyssale pour certains clubs, comme le Real de Madrid. Vu sous cet angle, le dispositif stabiliserait les inégalités, au lieu de les réduire.

Depuis quelques mois, le président de l’UEFA Michel Platini le répète : la Commission européenne soutient le principe du fair-play financier. Dans cette affaire, c’est pourtant la Cour européenne de justice qui aura peut-être le dernier mot. Philippe Diallo, directeur général de l’Union des clubs professionnels français, rappelait récemment lors d’une conférence organisée par l’Iris sur la régulation du sport, que ladite cour n’était pas hermétique à la spécificité du sport au nom de laquelle elle admettait certaines dérogations au droit commun des entreprises, comme les périodes de transfert (alors qu’une société «classique» peut recruter quand elle veut) ou le principe de l’indemnité de formation…

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