Appelons ça la fin de sa tournée d'adieu. Voilà dix-neuf mois que Philip Roth a annoncé qu'il avait arrêté d'écrire. Il n'a cessé de confirmer sa décision, révélée en octobre 2012 à l'hebdomadaire Les Inrockuptibles lors de la sortie française de Némésis (Gallimard), son dernier roman : « J'ai décidé que j'en avais fini avec la fiction. (…) J'ai [voué] ma vie au roman : je l'ai étudié, je l'ai enseigné, je l'ai écrit et je l'ai lu. A l'exclusion de presque tout le reste. C'est assez ! Je n'éprouve plus ce fanatisme à écrire que j'ai éprouvé toute ma vie. L'idée d'affronter encore une fois l'écriture m'est impossible. »
Lire le blog Philip Roth arrête d'écrire (de la fiction), de Pierre Assouline
« ABSOLUMENT ULTIME APPARITION PUBLIQUE »
Il l'a certifié dans des entretiens, répété maintes fois… L'écrivain, âgé de 81 ans, a accepté de s'exprimer sur le sujet – et sur les autres – pour la dernière fois devant des caméras de télévision, dans un documentaire dont la première partie a été diffusée mardi 20 mai par la BBC, dans le programme « Imagine ». Après l'arrêt de l'écriture, place à la retraite médiatique. Il l'a juré à son interlocuteur, Alan Yentob : « Ceci est ma dernière apparition télévisée. Mon ultime, absolument ultime, apparition publique. »
« J'AI EU LA GLOIRE SEXUELLE »
L'occasion de revenir en longueur sur sa carrière, les quelque 31 livres que compte son œuvre, le prodigieux effet que produisit la publication d'ouvrages tels Goodbye, Columbus (1959) ou Portnoy et son complexe (1969). Evoquant cette époque, Philip Roth dit : « J'ai eu la gloire littéraire. J'ai eu la gloire sexuelle, et j'ai même eu une réputation de fou. J'ai reçu des centaines de lettres, cent par semaine, certaines accompagnées de photos de filles en bikini. J'ai eu nombre d'occasions de ruiner ma vie. »
Il a eu l'intelligence de s'en abstenir, de s'obstiner à écrire, dans des veines admirablement différentes, jusqu'à son grand âge, connaissant une nouvelle jeunesse créative à partir des années 1990 (Le Théâtre de Sabbath, Pastorale américaine, J'ai épousé un communiste, jusqu'à Indignation et Nemesis…). Pour s'y consacrer, il a quitté New York et s'est installé dans le Connecticut, s'estimant « perturbé » par sa trop grande « visibilité » médiatique, et s'appliquant une discipline de fer, faite de travail (debout, pour ménager son dos), de nage et de marche dans la forêt. Comme un avant-goût de la retraite.
LA SUITE DIFFUSÉE SUR LA BBC MARDI 27 MAI
Le silence n'est pas tout à fait pour aujourd'hui. La suite du documentaire sera diffusée sur la BBC, mardi 27 mai. Celui qui disait, en 2004, ne « pas pouvoir concevoir une vie sans l'écriture », et n'a pas écrit une ligne de fiction depuis 2009, évoquera à nouveau les raisons de sa décision, selon le quotidien britannique The Guardian : « J'ai eu peur de n'avoir rien à faire. J'ai été terrorisé même, mais je savais que continuer n'aurait pas de sens. Je n'allais pas faire mieux. Alors pourquoi tendre vers moins bien ? Du coup, je me suis attelé à cette tâche importante : ne rien faire. J'ai passé du très bon temps ces trois ou quatre dernières années. »
Lors d'entretiens antérieurs, il avait révélé avoir mis cette période à profit pour relire l'ensemble de son œuvre. Le verdict était le même que celui auquel il parvient à la fin de ses entretiens avec Alan Yentob, et il est emprunté au grand boxeur américain Joe Louis (1914-1981) : « J'ai fait du mieux que j'ai pu avec ce que j'avais. »
UNE BIOGRAPHIE « DEVRAIT ÊTRE PRÊTE EN 2022 »
Ni remords ni regrets. Celui que rasait la perspective de jouer les éternels vieux sages, d'être constamment sollicité pour parler de ses anciens livres, de l'état de l'Amérique ou de celui de la littérature mondiale, va continuer de travailler avec Blake Bailey, le biographe des auteurs John Cheever (1912-1982) et Richard Yates (1926-1992), et désormais le sien : il s'est engagé à lui donner accès à toute sa correspondance et à l'ensemble de ses archives. Mais aussi à intervenir auprès de ses proches pour qu'ils coopèrent. La biographie « devrait être prête en 2022 ». « Je vais faire de mon mieux et rester en vie jusqu'en 2020. » En silence.
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