Philippe Saint-André : «Supprimons la phase finale du Top 14»

Philippe Saint-André : «Supprimons la phase finale du Top 14»

    Avant de s'envoler hier soir pour trois tests en Australie (les 7, 14 et 21 juin) mais encore privé des Toulonnais et des Castrais qui s'affrontent samedi en finale du Top 14, Philippe Saint-André, 47 ans, s'est livré en toute franchise. A quinze mois de la Coupe du monde, le sélectionneur porte un regard sans concession sur la situation du rugby tricolore.

    Certains s'interrogent sur l'utilité d'une tournée en juin...

    Philippe Saint-André. Ã?a me fait marrer... Les calendriers internationaux sont faits quinze ans à l'avance ! Nous, on n'a que notre vision française. On est un peu comme dans notre économie : on pense qu'on est les rois du monde. On se croit des révolutionnaires, mais on a une révolution de retard !

    Cela vous inquiète-t-il que les clubs pourvoyeurs d'internationaux français comme Toulouse ou Clermont, voire le Stade Français, se retrouvent en difficulté ?

    J'en ai parlé pendant deux ans, alors, je ne vais plus le dire. Maintenant, la Coupe du monde approche. Mais on sait que la structure du rugby français n'est pas compatible avec le rugby international. C'est d'une logique implacable. Le rugby international, pour les Gallois, les Anglais, les Néo-Zélandais, les Australiens, c'est entre 25 et 28 matchs par saison. C'est normal que nos joueurs aient du mal à disputer 40 matchs au même niveau parce que c'est un sport de combat. On ne demande pas à un boxeur de faire 50 combats par an.

    La spirale semble infernale...

    Oui ! Et, surtout, pourquoi les joueurs se fatiguent-ils ? Nous sommes un sport où il faut de l'appétit physique et mental. Mais, pour ça, il faut une grosse préparation à l'intersaison. Or, tous nos internationaux vont partir en vacances fin juin mais, à leur retour, sous dix jours, ils feront un match amical parce que c'est vendu à BeIN Sports et que les internationaux doivent être sur le terrain... J'ai entraîné en Angleterre : les internationaux anglais n'avaient pas le droit de jouer un match de championnat avant début septembre et avaient cinq semaines de développement physique. Voilà la réalité. Nous, il faut attendre des graves blessures comme celles de Pascal Papé, Thierry Dusautoir ou Vincent Clerc pour qu'ils puissent se régénérer.

    Finalement, les joueurs ne sont jamais vraiment en forme pour l'équipe de France ?

    La situation s'est détériorée depuis trois ou quatre ans. Avant, Clermont ou Toulouse finissaient avec 10 ou 12 points d'avance à la fin de la phase régulière du Top 14 ; donc, ils faisaient tourner. Nous, étonnamment, les deux plus mauvais matchs du Six Nations que nous avons faits, c'est contre Galles et en Ecosse où il y avait eu un doublon avant et où l'on avait perdu plein de joueurs.

    Pensez-vous que cela mène le rugby français dans le mur ?

    Est-ce que l'équipe de France restera une priorité du rugby français ou pas ? Il faut savoir : est-ce qu'on veut un Championnat de France ou un championnat qui se joue en France ?

    Vous avez essayé de faire bouger les choses...

    Je voulais que ce soit une prise de conscience. Mais je ne suis pas une pleureuse. Je n'ai jamais été une pleureuse. Voilà. On part en Australie avec enthousiasme et on a dans le viseur la Coupe du monde où l'on va tout faire pour être champions du monde, parce qu'on aura vraiment eu deux mois de préparation.

    Dans ce combat, on n'a pas trop entendu la voix de votre président Pierre Camou. Vous soutient-il ?

    Le président essaie de tout faire. Il a mis en place une commission qui a fait une convention Fédé-Ligue. Après, voilà...

    Qui doit décider des changements ?

    Je n'en sais rien. Moi, je suis sélectionneur de l'équipe de France et je ne veux me concentrer que sur cette Coupe du monde. Parce que je pense qu'on a créé une nouvelle génération de joueurs : les Dulin, Huget, Fofana, Machenaud, Flanquart, Vahaamahina, Plisson, Slimani... Plus les anciens. Je suis sûr qu'on est capables de faire une grande grande Coupe du monde.

    Existe-t-il des solutions ?

    Bien sûr qu'il y a des solutions. Ne faisons plus de doublon, disputons un Top 12 ou un Top 14 et supprimons la phase finale. Celui qui est le plus régulier est champion. Mais après, les gens disent : oui, mais notre culture, ce sont les demi-finales et la finale au Stade de France. Alors, faisons une Coupe de France, pendant les tests de novembre et le Six Nations !

    Sauf que la Ligue nationale ne voudra pas se priver du business des phases finales...

    Oui, mais c'est ça ! Quand on se place d'un point de vue financier, on veut tout : le beurre, l'argent du beurre et le c... de la crémière.

    Pourquoi avez-vous tenu ce discours jusqu'à maintenant ?

    On était dans une période charnière. Je n'ai pas fait ça pour Saint-André et les quatre ans de mon mandat. J'ai fait ça pour ouvrir l'esprit sur le fait que le rugby a changé. Ce n'est plus pareil que lorsque je jouais en 1991-1995. Et je préfère qu'on tape sur moi que sur les joueurs.