
Google a plié. La firme de Mountain View n'a pas eu d'autre choix que de se conformer à la décision de justice européenne sur le droit à l'oubli : elle propose, depuis jeudi 29 mai, un formulaire en ligne qui permet aux internautes européens de demander la suppression de résultats de recherche, associés à leur nom et qu'ils ne souhaitent voir apparaître.
Le formulaire de Google est disponible ici
La Cour de justice des communautés européennes (CJCE) avait rendu, le 13 mai, un avis favorable au fait que des particuliers demandent au moteur de recherche, qui concentre 90 % des requêtes sur Internet en Europe, l'effacement d'informations pouvant contenir leurs données personnelles et jugées « inappropriées, hors de propos ou qui n'apparaissent plus pertinentes ».
« JUGEMENTS DIFFICILES »
Concrètement, l'internaute doit mentionner dans le formulaire les liens concernés et expliquer en quoi ils sont offensants. « L'arrêt exige de Google de porter des jugements difficiles sur le droit d'un individu à l'oubli et le droit à l'information du public », écrit Google dans le communiqué publié jeudi.
« Nous sommes en train de mettre sur pied un comité consultatif d'experts pour se pencher sur ces questions. » Selon le Financial Times de vendredi 30 mai, ce comité sera dirigé par Eric Schmidt, président de Google, et comprendra des universitaires, des spécialistes européens de la régulation des données ainsi que le patron de Wikipédia, l'encyclopédie participative en ligne.
Le conflit sur les données privées, exacerbé par le scandale des écoutes de la NSA, qui a mis au jour un vaste système de surveillance des conversations téléphoniques et de l'activité numérique non seulement aux Etats-Unis, mais aussi dans de nombreux pays étrangers, est donc peut-être en train de trouver une issue, au moins sur ce point.
Larry Page, PDG de Google, interrogé par le Financial Times, a regretté que la firme n'ait pas été « plus associée au débat en Europe », mais a admis que Google essayait maintenant de penser « d'un point de vue plus européen ». Il estime toutefois que ces nouvelles règles pénaliseront les start-up et l'innovation et offriront des moyens supplémentaires aux régimes autoritaires pour censurer le Web.
PUBLIQUE OU PRIVÉE ?
Un avis partagé par l'association Index on Censorship, qui avait prévenu au moment de la décision de la CJCE que l'arrêt « ouvre la porte à quiconque désirant blanchir son histoire personnelle ». Toute la nuance réside donc dans le fait de qualifier une information de publique, auquel cas elle ne doit pas être censurée, ou non, et dans ce cas son retrait peut être exigé. Qui tranchera ? Et selon quelles règles ?
Dans un entretien au Monde, la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, Isabelle Falque-Pierrotin, soulignait que « les plaintes relatives au droit à l'oubli (…) représentent un tiers des plaintes ». « Il y a également une population fragile (…), ce sont les mineurs », ajoutait-elle, qui doivent, à son avis, être les premiers bénéficiaires du droit à l'oubli.
Les demandes de retrait risquent d'exploser chez Google, du fait de la mise en ligne du formulaire. Si elles doivent être motivées par les internautes, elles requièrent par conséquent des employés pour les analyser et les traiter. Cette démarche devra se faire avec les agences nationales de protection des données informatiques, qui relaient déjà les demandes de déréférencement auprès des moteurs de recherche.
En outre, à l'heure du partage et du « like », une information peut être relayée sur plusieurs réseaux, dans des forums, sur des blogs, et former une nébuleuse épaisse et difficile à éradiquer : la tâche, pour Google, s'annonce donc ardue.
Le groupe peut être néanmoins – provisoirement – rassuré : la décision ne touche en rien la collecte des données personnelles, hautement stratégique pour l'entreprise et qui représente un autre point de crispation, et pas des moindres, entre Américains et Européens.
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