D'après le Wall Street Journal, la justice américaine demande près de 10 milliards de dollars à la banque française BNP Paribas pour avoir conclu des transactions en dollars avec des pays sous embargo américain entre 2002 et 2009. Un montant astronomique qui représente presque deux fois son dernier bénéfice net annuel, alors que les amendes pour violation d'embargo n'avaient jamais encore atteint ces niveaux, et que ces transactions sont légales pour la législation française. Les explications de Kami Haeri, avocat d'affaires chez August & Debouzy.

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Pourquoi la justice américaine a-t-elle son mot à dire sur les transactions de BNP Paribas?

Cela peut paraître étonnant qu'elle sanctionne les opérations effectuées à l'étranger par une entité étrangère. Cela lui est pourtant possible depuis le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) de 1977, une loi d'application extraterritoriale qui lui donne un droit de regard sur toute transaction réalisée en dollars, sous prétexte que ces transactions sont compensées chaque jour à New York. La doctrine américaine en matière de régulation du commerce international se base sur ce texte, il n'y a jamais eu de changement. Mais depuis le milieu des années 2000, la politique de sanctions s'est accentuée. Les entreprises étrangères s'y plient, car elles ont besoin de l'accès au marché américain.

Etes-vous surpris du montant de l'amende?

C'est une sanction astronomique et rarissime, même dans un contexte d'augmentation systémique du montant des amendes infligées aux banques. Il faut bien comprendre que dans l'esprit américain, il s'agit de donner le plus de publicité possible aux amendes éventuelles pour faire exemple, ceci quelque soit le motif: corruption, blanchiment, ou violation d'embargo. Mais c'est beaucoup d'argent, même pour la BNP. Une telle amende péserait sur sa trésorerie, sur son image, et mordrait forcément sur les dividendes versés aux actionnaires.

Mais il faut prendre garde aux deux autres volets des sanctions: la menace d'un retrait, même temporaire, de la licence bancaire aux Etats-Unis, qu'il faut éviter à tous prix pour une banque importante comme BNP Paribas. Et surtout celle d'un programme de monitoring qui pourrait être imposé à la banque, avec nomination d'un contrôleur qui aurait un droit de regard sur sa stratégie. C'est ce qui est arrivé à Siemens, condamnée à 800 millions de dollars d'amende pour corruption en 2008 et soumise à un contrôleur interne choisi par la justice américaine. Cela pose un vrai problème politique de souveraineté des entreprises. Tous ces risques sont à prendre en compte dans les négociations.

D'où provient un montant aussi élevé?

Les sanctions sont calculées par l'OFAC (Office of Foreign Assets Control) en fonction du nombre de transactions en cause, la durée pendant laquelle elles ont eu lieu, et enfin le pays en cause. L'Iran est un des pays les plus chers, avec des sanctions de l'ordre de 1 million de dollars par transaction. Cela explique peut-être en partie l'importance de la somme. Mais le Department of Justice américain a aussi son mot à dire, et d'après ce que je crois comprendre, l'un des reproches fait à Paribas est que les transactions ont duré plus longtemps qu'elles n'auraient dû. Si BNP Paribas plaide coupable, cela pourra faire baisser l'importance de l'amende.

Les autres banques européennes sont-elles en danger?

Les Américains ont réussi à faire de leurs textes des outils de politique internationale et économique. Dans le cas de la BNP Paribas, je relève que cette très forte sanction est annoncée alors que l'embargo contre l'Iran va probablement être levé, et que les entreprises américaines commencent à y remettre les pieds. Boeing vient d'être autorisé par l'administration américaine à y vendre des pièces détachées.

Le choc de cette annonce de sanction va peut être amener d'autres banques européennes à aller d'elles-même vers le régulateur américain, pour négocier des arrangements. Les Etats-Unis cherchent à devenir le régulateur mondial, ce qui ne va pas sans un débat juridique. Les juridictions françaises n'acceptent pas forcément le principe d'extraterritorialité des lois américaines. Mais avec ces sanctions spectaculaires, et leur médiatisation, les entreprises françaises ont plus peur du régulateur américain que du français. Après tout, nous n'avons un procureur national financier que depuis février dernier.

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