
JUSTICE - On l'appelle réforme pénale. Officiellement le texte qui va mettre l'Assemblée en émoi toute la semaine est intitulé "projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines". Après des mois de débat au sein même du gouvernement, Christiane Taubira s'apprête à défendre le deuxième grand texte de son passage place Vendôme. Mais après le mariage pour tous, c'est le premier qui concerne directement le milieu judiciaire.
Elle veut "enrichir l'arsenal répressif qui est mis à la disposition des juges". "Nous sommes partis d’un constat d’échec des politiques pénales", explique la Garde des Sceaux pour justifier un projet de loi "indispensable" et répondre aux accusations de laxisme.
Taubira : «Ca fait deux ans que l'on m'accuse...par leparisien
Mais son texte est très décrié et promet des débats acharnés au Parlement. Selon la droite, la ministre de la Justice aurait pour seul objectif de "vider les prisons". Les spécialistes de la sécurité à l'UMP s'en prennent aux trois mesures phares: la suppression des peines plancher introduites par Nicolas Sarkozy, la libération sous contrainte qui permettra à des détenus de sortir plus tôt avec un contrôle judiciaire plus important et la contrainte pénale, censée devenir une nouvelle arme (hors prison) dans l'arsenal des sanctions..
"Moindre récidive quand la peine est exécutée en milieu ouvert"
En fait, ces deux camps s'opposent sur la vocation de la prison. "Ecole du crime" pour certains, riposte indispensable pour mettre les délinquants hors d'état de nuire pour d'autres, l'univers carcéral concentre tous les débats. Une phrase de Christiane Taubira résume les enjeux: "La récidive est moins forte quand la peine est exécutée en milieu ouvert", estime la ministre de la Justice. Pour étayer son propos, elle avance des chiffres: "Entre 2001 et 2012, la population carcérale a augmenté de 35% contre 7% pour la population française et le taux de récidive est passé de 4,9% à 12,1%", déclare-t-elle.
"Le caractère criminogène de la prison est bien réel. Moi qui suis avocate, j'ai pu le voir à de nombreuses reprises avec mes propres clients. Pour un petit nombre cela peut provoquer un choc mais pour beaucoup cela augmente le risque de récidive", avance Colette Capdevielle, députée socialiste membre de la commission des Lois. "Les analyses statistiques sont formelles : l'emprisonnement ferme produit des taux de récidive plus élevés que les peines sans prison; il en est de même des incarcérations longues comparées à de plus courtes. La France ne fait pas exception", expose aussi, dans Le Monde, Didier Fassin (Professeur à l'Institute for Advanced Study (Princeton) et à l'Ecole des hautes études en sciences sociales.
Il est en effet une population de détenus pour laquelle, la situation serait plus grave: "C'est précisément pour les personnes condamnées à de courtes peines que l'on constate les effets les plus délétères de la prison et un taux de récidive plus important", analyse pour le HuffPost Aline Daillère, responsable des programmes Lieux privatifs de liberté en France. Les plus militants avancent l'idée que Mehdi Nemmouche, le suspect dans l'affaire de la tuerie de Bruxelles, aurait pu échapper à son embrigadement idéologique s'il n'avait pas sombré dans une spirale récidiviste.
Plus sûrement, c'est pour ceux dont la première condamnation pourrait conduire à la case prison que la gouvernement mise sur la contrainte pénale.
"Les sanctions en milieu ouvert ne concerneront que des délinquants pour lesquels la prison ne servira à rien. Le conducteur qui renverse une personne, ne vaut-il mieux pas l’envoyer travailler dans un hôpital consacré à la rééducation des accidentés de la route?", se demande le sénateur UMP Jean-René Lecerf, un des rares partisans du texte dans l'opposition.
"La prison n'est pas un lieu magique"
L'autre angle d'attaque du gouvernement est l'impréparation des détenus à leur sortie. "Il y a en France chaque année 90.000 sorties de prison, dont 72.000 détenus. 80% sortent sans aucun suivi, un chiffre qui monte à 98% pour les 28.000 détenus dont la peine était inférieure à six mois. Une étude a montré que la réitération (réincarcération à cinq ans) concerne 58% des détenus et seulement 38% des détenus en libération conditionnelle. D'où notre volonté de réduire le nombre de sorties sèches", avance Dominique Raimbourg, rapporteur du texte.
Pour y remédier, le concept de "libération sous contrainte" a été développé. "C'est une sorte d'échange sortie anticipée contre suivi serré", image Dominique Raimbourg, évoquant la possibilité de placer l'ex-détenu sur écoute pour le suivre à la trace. "La prison ne doit pas être vue comme le lieu magique qui va permettre de dissoudre le délinquant. Elle doit être un élément du parcours, celui qui marque un coup d'arrêt mais aussi celui de la préparation de l'après", conclut-il.
Encore faudrait-il que les moyens humains et matériels soient mis au service de cette politique et que les détenus aient un vrai suivi pendant leur période de détention. Ce qui n'est pas le cas, dénonce la droite qui juge dérisoires les augmentations d'effectifs des conseillers d'insertion et de probation.
"Quand ils sont dedans, ils ne sont pas dehors"
Mais les opposants les plus vindicatifs s'opposent à la philosophie de la réforme. Elle est vue comme laxiste voire un encouragement à la délinquance. "C'est une provocation républicaine qui va jeter du sel sur les plaies déjà à vif de notre démocratie. Quant au poncif humaniste qui laisse tendre que la prison est l'école du crime, je pourrais l'accepter s'il ne venait pas d'une gauche qui n'accepte pas le principe que la récidive est d'abord le fait du récidiviste", tacle l'ancien magistrat Philippe Bilger qui ne fait pas mystère de son opposition à Christiane Taubira, notamment dans son dernier livre Contre la justice laxiste (ed. l'Archipel).
Le problème ne serait donc pas la peine mais l'auteur des faits. "C’est évident que certains petits délinquants ressortent aguerris et endurcis de leur passage en prison. Mais c’est oublier, les échecs précédents qui les ont conduit à l’incarcération. Les courtes peines de prison sont généralement prononcées après une succession de peines en milieu ouvert qui ont échoué (sursis simple, travail d’intérêt général, suris avec mise à l'épreuve. C’est au terme de ces échecs successifs, qui n’ont pas empêché la récidive ou la réitération, que les magistrats prononcent des courtes peines d’emprisonnement", rapporte Alexandre Giuglaris, du très droitier Institut pour la Justice.
Pour les partisans du tout-carcéral, l'incarcération est la bonne solution. "Le seul message efficace pour éviter la récidive, c'est la prison ferme, avance le député UMP Eric Ciotti. Même si elle doit être le dernier recours, la prison a l'énorme qualité de protéger la société des délinquants. Comme me le disait un ancien grand policier: 'Quand ils sont dedans, ils ne sont pas dehors'".
"Ce qu’il faut, c’est que l’on cesse d’inventer des dispositifs pour contourner la prison, faute de places. La prison est avant tout une peine. Et la première fonction d’une peine est de sanctionner la transgression des lois. Si la prison n’est évidemment pas l’unique réponse, elle est et demeure une peine utile et nécessaire, notamment pour protéger la société des individus les plus dangereux", avance aussi Alexandre Giuglaris.
Surpopulation et manque de places
Et quand ils admettent que la surpopulation carcérale est un problème, il n'en font pas la même lecture que la majorité. "Oui, certaines destinées pénitentiaires sont dégradées par des conditions de détention déplorables. Mais la surpopulation n'est pas le fait de magistrats qui incarcèrent beaucoup. C'est parce que l'on refuse l'idée qu'il n'y a pas assez de places de prison. Il n'y a aucune honte pour une démocratie à vouloir se défendre", veut croire Philippe Bilger.
Aujourd'hui, le taux d'incarcération en France est d'environ une centaine de détenus pour 100.000 habitants. Un taux qui est nettement supérieur à celui de l'Allemagne et des scandinaves mais bien inférieur à ce qu'il est en Angleterre et en Espagne où le taux avoisine les 150.
"Si l’on veut à la fois mettre à exécution les peines prononcées et fermer les établissements insalubres et indignes que compte notre pays, il faut construire de 20.000 à 30.000 places supplémentaires. Pour rappel, à population équivalente, le Royaume-Uni compte plus de 96.000 places de prison contre 57.000 en France", estime Alexandre Giuglaris.
Dans son projet, Christiane Taubira prévoit bien un programme de construction de nouvelles places d'ici à 2017. Mais seulement 6500.