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A Tergnier, on vote FN « pour leur faire peur là-haut »

Dans cette cité cheminote sur le déclin de l'Aisne, le Front national est arrivé en tête aux élections européennes du 25 mai, avec 40 % des suffrages.

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Publié le 04 juin 2014 à 12h05, modifié le 04 juin 2014 à 16h56

Temps de Lecture 4 min.

Gilles Thomas a voté FN aux européennes le 25 mai à Tergnier (Aisne).

Posé, le regard franc, Gilles Thomas décline son parcours politique « un peu compliqué », le coude appuyé sur sa boîte aux lettres, dans son pavillon de Quessy Cité, à Tergnier (Aisne). Communiste « prêt à jeter le pavé » dans sa jeunesse, un temps délégué du personnel CGT, cet employé dans une grande surface a voté Front national pour la première fois en 2007, après avoir rencontré des militants du parti. Ce père de trois enfants a alors le sentiment d'être enfin compris : « Le FN sait parler aux ouvriers, à ceux qui n'ont pas beaucoup de sous. Les autres partis, on a toujours l'impression qu'ils s'adressent à la classe supérieure. »

De son discours ressort un amalgame de déceptions teintées d'un sentiment d'injustice, résumé en un exemple : « Ce sont toujours les mêmes qui viennent faire leurs courses avec des bons. » Les mêmes, ce sont « les mauvais assistés qui ne veulent pas travailler et qui ont des aides. Moi, je touche 1 500 euros par mois, et on m'en enlève 300 de charges et cotisations. Et mes enfants n'ont pas de boulot. » Lui qui n'a pas gravi l'échelle sociale, constate : « Aujourd'hui, si vous n'avez pas d'argent, on ne vous considère pas. »

Le virage politique de ce quinquagénaire est loin d'être un cas isolé à Tergnier. Gilles Thomas fait partie des 41 % de votants de cette commune de 14 000 habitants qui ont glissé le bulletin du FN dans l'urne, dimanche 25 mai. Dans cette ville à gauche depuis 1983, où la majorité de la population est ouvrière, les résultats des européennes n'ont pourtant guère surpris.

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Le maire, Christian Crohem (divers gauche), a l'air grave et abattu. S'il évoque d'emblée la forte abstention (65 %), l'élu parle ensuite de son ressenti. Pour lui, ce vote est avant tout « contestataire », même s'il concède que les non-votants sont, eux aussi, dans une attitude similaire. L'ancien mélenchoniste, unique candidat aux municipales de mars, est témoin au quotidien du « désespoir » de ses administrés face au « contexte général », hausse du chômage et désindustrialisation en tête.

Une rue de Quessy Cité, le quartier où se trouvent les logements des cheminots. La ville de Tergnier dans l'Aisne a voté à 41,08 % pour le FN aux élections européennes.

La zone d'emploi de Tergnier enregistre un taux de chômage parmi les plus élevés du pays (15,4 % au quatrième trimestre 2013, selon l'Insee). Ces trente dernières années, la fonderie, la bonneterie, la sucrerie ont fermé. Mais, surtout, les emplois dans le chemin de fer se sont réduits comme peau de chagrin. Le secteur n'emploie plus que 700 salariés, contre 1 600 dans les années 1980.

A Quessy Cité, les retraités du rail ont assisté, impuissants, à un lent déclin. C'est dans cette ancienne cité cheminote rattachée à Tergnier que Marine Le Pen a recueilli le plus de suffrages (44 %), dans un département où le FN a récolté 40 % des voix.

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Dans son jardin fraîchement tondu, René Montero, 82 ans, retraité cheminot, avoue comprendre le vote frontiste « depuis peu », même s'il n'a pas « retourné sa veste » dans l'isoloir. « Ce n'est plus comme avant. On est entourés de cas sociaux », un terme qu'il dit « affectueux » pour désigner, entre autres, les familles monoparentales et les chômeurs. « Ce n'est pas étonnant qu'ils veuillent tenter autre chose », soupire-t-il sous le regard approbateur de sa femme. « Dégoûtée », celle-ci ne s'est pas déplacée dimanche. « Mais qui ne dit mot consent », souffle-t-elle, les bras serrés autour d'une pile de linge.

Chez les anciens comme chez les jeunes, le sentiment d'injustice s'est rajouté à la colère d'un passé perdu où le travail se transmettait de génération en génération, où l'Etat-providence était du côté des citoyens, où l'on avait confiance en l'avenir. A la sortie de l'école maternelle, une trentenaire raconte que son mari, qui votait Lutte ouvrière, a opté pour le parti d'extrême droite aux européennes.

« C'est un ras-le-bol général. Il y a moins d'aides, moins de remboursements. » Employée dans un centre d'appels, cette mère d'un enfant, bientôt deux, est inquiète : « Au total, nous gagnons 2 500 euros par mois. Depuis 2006, nos salaires n'ont pas bougé. Aujourd'hui, on compte tout. »

A ses côtés, une retraitée acquiesce en secouant la tête, dépitée. Ancienne agent d'entretien, la sexagénaire continue de travailler en tant qu'assistante maternelle. Avec 800 euros de pension et 500 de loyer par mois, elle n'arrivait pas à joindre les deux bouts. Si elle dit ne pas faire partie des électeurs du FN, elle estime toutefois que « cela donne une leçon au gouvernement, pour que cela bouge ».

A Tergnier, dans l'Aisne.

Changer, bouger, faire avancer les choses. Ces mots sonnent comme un refrain dans la bouche des Ternois, déçus des promesses gouvernementales non tenues, à droite comme à gauche. Mais rares sont ceux finalement qui espèrent voir le Front national diriger le pays. « C'est pour leur faire peur, là-haut, qu'on vote FN. Si ça permet de faire évoluer les choses… », avance Michel, ouvrier socialiste qui a voté pour la première fois Le Pen dimanche. « Le père, j'aurais pas pu. Mais la fille, elle s'adresse à nous. Avec Hollande, on s'est fait avoir. »

Derrière la contestation se devine l'envie de retrouver un statut, une place au sein d'une société qui ne représente plus la classe ouvrière. La rébellion ne se niche plus dans le vote rouge mais bleu marine, avec l'espoir de mettre à mal le système politique actuel.

Sans l'accepter ni le partager, le maire assure qu'il « peut comprendre » cet « appel au secours ». Face à ceux qui défilent dans son bureau, M. Crohem se sent impuissant. « Ils me disent : “Monsieur le Maire, je n'en peux plus, aidez-moi.” Je leur réponds : “Je suis désolé, si je pouvais, je le ferais, mais je n'ai rien à vous proposer.” Et quand je leur trouve des contrats de 20 heures, je leur dis : “Je ne vous donne pas du travail, je vous aide à survivre.” »

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