Débarquement : opération Fortitude ou comment les Alliés ont berné les nazis

À l'aube du Débarquement, les stratèges militaires alliés vont multiplier les opérations de désinformation de manière à semer le doute dans le camp nazi.

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L'armée américaine a fait croire aux nazis un faux débarquement.
L'armée américaine a fait croire aux nazis un faux débarquement. © AFP

Temps de lecture : 6 min

C'est lors de la conférence de Téhéran, du 28 novembre au 2 décembre 1943, que les trois grands se réunissent afin d'aborder le sort d'une guerre qui semble bien engagée pour les Alliés. L'Allemagne reste néanmoins bien présente sur le Vieux Continent, et notamment en France, secteur qui va rapidement cristalliser toutes les attentions. En effet, les côtes françaises représentent un objectif stratégique de premier ordre que les Alliés vont s'empresser d'exploiter face à une Allemagne qui vient de subir une énorme désillusion sur le front russe. Afin de maximiser ses chances dans cette conquête du IIIe Reich, le SHAEF - l'état-major suprême de la force expéditionnaire alliée - décide de monter l'opération Bodyguard, dont le principal objectif est de dissimuler l'incursion de leurs troupes par le sud - opération Dragoon - et par le nord - opération Overlord. Pour ce faire, les stratèges militaires alliés vont multiplier les opérations de désinformation de manière à semer le doute dans le camp nazi.

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Fortitude South

En avril 1941, Winston Churchill fonde la London Controlling Section (LCS), dont la mission essentielle réside dans la prise en charge des opérations clandestines et de désinformation. Commandée par le colonel Bevan, la LCS va chapeauter la mise en place de Bodyguard, opération qui se subdivise en trois sous-opérations, dont Fortitude South fait partie. L'objectif majeur de cette sous-opération réside dans la capacité des Alliés à conforter les Allemands dans l'idée d'un débarquement dans le Pas-de-Calais. Et, pour entretenir l'illusion d'une attaque décisive dans le Pas-de-Calais, les Alliés ne vont pas manquer d'ingéniosité dans la région de Douvres. L'un des éléments les plus invraisemblables de cette stratégie s'apparente à la création du premier groupe d'armée américain - le FUSAG - constitué de onze divisions fantômes. Cette armée est composée de chars et de batteries d'artillerie en caoutchouc, de fausses infrastructures, de plus de 200 faux navires, d'un faux terminal pétrolier ou encore de cinquante escadrilles de faux Spitfire et P-51 Mustang. Pour crédibiliser cette tromperie, les alliés donnent vie à ce gigantesque canular en simulant les bruits d'une activité portuaire, en installant de faux cantonnements militaires mais aussi en adaptant les éclairages dans cette zone. Pour couronner le tout, l'état-major décide de positionner le commandant de la 3e armée américaine à la tête du FUSAG, le respecté - et redouté - gênera Patton.

L'opération Fortitude South doit rester secrète et berner les Allemands jusqu'au tout dernier moment. Afin de répondre à cette confidentialité, Américains et Britanniques imaginent un important système de trafic radio susceptible de simuler de fausses communications. Par le biais d'un ingénieux procédé, les Alliés sont maintenant en mesure d'imiter l'activité de cette gigantesque armée factice par l'intermédiaire d'un système capable de décupler l'activité d'un émetteur. Ce dispositif nécessite le préenregistrement de milliers de télégrammes traitant de la vie quotidienne des unités. La mise en place d'une telle ingénierie a mobilisé plus de mille personnes, hommes, femmes, retraités, anciens militaires. Le FUSAG n'est pas un dispositif isolé et s'avère intimement lié à l'activité des agents doubles qui vient corroborer la légende de la puissante et inquiétante armée fantôme.

Le rôle décisif des agents doubles

Le Reich n'est jamais parvenu à faire plier la Grande-Bretagne malgré les amas de bombes déversées par les flottilles de Heinkel He 111. Outre cet important dispositif aérien déployé par le pachydermique Hermann Göring, l'Abwehr mobilise un important dispositif d'espionnage en Angleterre. Toutefois, le MI5 - chargé de la sécurité intérieure du pays - démantèle une grande partie de ce réseau clandestin et parvient à retourner la majorité des espions allemands. Le renseignement britannique s'ouvre ainsi les portes de la cellule de renseignement allemande en communiquant à sa guise des informations sur l'organisation d'un débarquement fictif. Cependant, et malgré les subterfuges alliés, les services de renseignement allemands doutent à plusieurs reprises de la probabilité de voir leur ennemi débarquer dans le Pas-de-Calais. À ce titre, l'utilité des agents doubles s'avère déterminante puisqu'elle permet, entre autres, de dissiper les doutes des membres des services allemands en appuyant de faux renseignements.

On retient notamment l'activité du ressortissant espagnol Joan Pujol Garcia. Dès l'année 1940, il voit ses services refusés par les Britanniques puis décide de proposer ses talents à l'Abwehr, qui s'enthousiasme de son engagement. Ses antécédents franquistes plaident en sa faveur et l'intéressé va rapidement tisser et orchestrer d'une main de maître l'élaboration d'un réseau d'espionnage imaginaire outre-Manche sans même se rendre sur place. En effet, Pujol - nom de code Arabal - établit ses quartiers à Lisbonne, où il dissèque les quotidiens anglo-saxons et rédige des rapports extrêmement précis aux Allemands. Sa plume imagine tout un réseau complexe et cohérent d'agents fictifs qui ne manque pas d'attirer l'attention du côté britannique. Le MI5 va finalement s'approprier ses précieux services. Ce manipulateur hors pair se voit attribuer le sobriquet de Garbo - en référence à l'actrice suédoise Greta Garbo - et devient rapidement un maillon essentiel du plan Fortitude. Les Allemands ont une confiance aveugle en Arabal et son réseau de 24 agents opérant dans le secteur des unités fantômes du FUSAG. La supercherie est totale et permet aux Alliés d'élaborer le scénario qu'ils souhaitent présenter aux Allemands. Il en résulte notamment l'obstination d'Hitler à vouloir maintenir un important dispositif militaire en présage d'un débarquement dans le Pas-de-Calais annoncé par une source fiable, en la personne de Joan Pujol Garcia.

Même le renard se fait ruser

À ces opérations de déception viennent s'ajouter l'intensification des bombardements sur le Pas-de-Calais - qui coûtent la vie à 600 civils -, les fuites diplomatiques et la destruction des radars de Normandie et du Pas-de-Calais par le Fighter Command peu de temps avant le Jour J. Du côté allemand, il existe des certitudes, et notamment celle d'Adolf Hitler. Le Führer reste convaincu que la Grande-Bretagne s'apprête à mobiliser près d'une centaine de divisions et persiste à croire que le débarquement en Normandie fait office de tromperie.

Les manoeuvres d'intoxication menées par les Alliées en direction des services de renseignement nazis s'avèrent très pointilleuses puisqu'elles donnent le tournis à la 15e armée du generalfeldmarschall von Rundstedt en condamnant cette puissante armada à maintenir ses troupes dans le Pas-de-Calais dans l'attente d'une attaque incertaine. Cette erreur stratégique offre aux Alliés une occasion rêvée pour consolider la tête de pont en Normandie. La supériorité des systèmes météo alliés les informe d'une accalmie propice au lancement de la phase opérationnelle d'Overlord. L'occasion n'est pas certaine de se présenter de sitôt et aboutit au débarquement du 6 juin 1944. Moins bien équipés sur le plan météorologique, les Allemands n'anticipent pas cette accalmie et manquent de vigilance. En témoigne l'absence d'Erwin Rommel, parti fêter l'anniversaire de sa femme alors que le mur de l'Atlantique s'apprête à vivre l'apocalypse.


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Commentaires (8)

  • Gremelli

    Tout a fait vrai. Je pense a ces malheureux résistants qui sont morts sous la torture afin de préserver le lieu du débarquement supposé nord de la France. Des réseaux entiers ont été sacrifiés ce qui laisse encore bien des amertumes dans ces régions du Nord de l'Europe.
    C'était le lourd tribu a payer pour abattre Hitler. Il serait également temps que nos responsables politiques conviennent également que l'orientation du péril a changé. Qu'il faudra frapper très fort et rapidement avant d'être pris dans un engrenage sans fin qui commence a se manifester par des attentats contre les hommes et leurs biens !

  • frost

    Il se peut que dans quelques générations l'on puisse lire enfin une vraie version de notre histoire … Vous avez raison, il n'y a pas que le cas de "fortitude" mais voilà, il faut entretenir les légendes batties autour de certains faits, tant de nos héros n'ont pas révélées toutes les facettes de leur personnage.
    Il y a 70 ans que toute la (les) politique (s) de nos nations vivent sur la mémoire de cette tragédie qui au départ n'a pu arriver que parce que nos dirigeants furent incapables de voir arriver La Chose.
    Seront-ils seulement capables de voir venir la prochaine catastrophe qui attend ce monde qui se cannibalise.

  • Odalie

    Et oui, pour préparer ce D day il a fallu des sacrifices humains : c'était la guerre et les agents connaissaient les risques qu'ils prenaient : et prennent toujours, en Afganistan par exemple.
    Et oui, les nazis se sont fait avoir !