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Violées, lapidées, martyrisées... - Parce qu'elles sont femmes...

Incarcérée depuis février avec son fi ls, Martin, 20 mois, Meriam a donné naissance à Maya le 27 mai, dans cette prison pour femmes, à Omdurman, près de Khartoum. On lui reproche notamment son mariage à un chrétien, Daniel Wani, en décembre 2011
Incarcérée depuis février avec son fi ls, Martin, 20 mois, Meriam a donné naissance à Maya le 27 mai, dans cette prison pour femmes, à Omdurman, près de Khartoum. On lui reproche notamment son mariage à un chrétien, Daniel Wani, en décembre 2011 © DR
Par Karen Isère , Mis à jour le

Au nom de la tradition,  chaque  jour des femmes vivent l’enfer. Voici trois histoires déchirantes

La région est connue pour la beauté de ses oiseaux. Mais, à l’aube du mercredi 28 mai, les geais bleus d’un manguier se sont envolés sous les cris d’horreur d’une foule de villageois. Aux branches se balancent deux corps. Des cousines, de 14 et 15 ans, pendues après avoir été violées. A plusieurs reprises, précisera l’autopsie. La scène se passe aux abords d’une bourgade indienne très pauvre, Katra Shahadatganj, près de Badaun, dans l’Uttar Pradesh. Sur la terre du yoga et des mantras, ici fut écrit le « Mahabharata », un texte sacré de l’hindouisme. Les victimes, elles, appartiennent à la caste des dalits, au plus bas échelon de la société. Pas de sanitaires chez elles, ni d’électricité dans les rues. La veille, elles ont attendu le crépuscule pour aller satisfaire leurs besoins dans un champ, à l’écart des regards.

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Les petites ne sont pas revenues. Un voisin les a vues se faire harceler par des hommes. Un des pères se précipite au commissariat le plus proche, à 45 kilomètres : « D’entrée de jeu, les policiers m’ont demandé à quelle caste j’appartenais. Quand je leur ai répondu, ils m’ont lancé des bordées d’injures. Je les ai suppliés à genoux de venir à notre secours, mais ils riaient et me disaient de rentrer chez moi. » Depuis le drame, l’une des mères passe des heures à feuilleter les cahiers de sa petite dernière : « Elle rêvait d’aller à l’université, comme certains garçons du village. Je lui avais promis que ce serait possible. »

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Mercredi 28 mai, dans le nord de l’Inde, des villageois découvrent les corps de deux adolescentes de 14 ans et 15 ans, violées puis pendues à un manguier.
Mercredi 28 mai, dans le nord de l’Inde, des villageois découvrent les corps de deux adolescentes de 14 ans et 15 ans, violées puis pendues à un manguier. © DR

Les gamines sont tombées dans un piège mortel. Et très répandu. La moitié des Indiens ne disposent pas d’installations sanitaires, ce qui met particulièrement les femmes en danger car elles sont obligées de s’isoler dehors, la nuit. Leurs prédateurs le savent. Et les suivent. De ce problème, le nouveau Premier ministre a même fait un slogan : « Construire des toilettes d’abord, des temples plus tard ». Longtemps tabous, les viols font depuis quelque temps l’ouverture des journaux télévisés. Cette fois, c’est une onde de choc qui parcourt le pays. A New Delhi, hommes et femmes manifestent, exigeant des mesures. Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies, publie un communiqué dénonçant ce crime. Aujourd’hui inculpés, les rieurs du commissariat trouvent la vie moins drôle. Quant aux auteurs présumés du forfait, ils sont sous les verrous. Ils risquent la peine de mort, comme l’a réclamée Rahul Gandhi, vice-président du Congrès, qui s’est rendu le 31 mai auprès des familles des victimes. Bientôt, la mousson s’abattra sur leur village. Une pluie de larmes sur cette plaine qui mène au marbre blanc du Taj Mahal, le mausolée qu’un empereur érigea pour l’amour de son épouse disparue.

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Côté pakistanais de la frontière, une autre vague d’indignation se soulève. Mardi 27 mai, dans la douce Lahore, connue pour ses palais et ses jardins de Shalimar, Farzana ­Parveen, 25 ans, enceinte de trois mois, a été mise à mort en plein jour, sous le regard des passants. A coups de briques. Par une quinzaine de proches, dont ses frères et son père. Celui-ci « ne regrette rien », comme il dit : « Je l’ai tuée parce qu’elle a insulté toute notre famille en épousant un homme sans notre accord. » Farzana s’était mariée le 7 janvier dernier avec ­Muhammad Iqbal, 45 ans. Un scandale, puisque son clan l’avait promise à un cousin. Et d’accuser son époux de l’avoir enlevée… C’est pour innocenter son mari que la jeune femme se rend, le jour du drame, à la Haute Cour de Lahore. Et c’est aux portes de ce palais de justice qu’elle est massacrée.

Mardi 27 mai, à Lahore, au Pakistan, des policiers protègent le corps de Farzana Parveen, enceinte de trois mois. Sa famille vient de la tuer à coups de briques pour s’être mariée sans son accord.
Mardi 27 mai, à Lahore, au Pakistan, des policiers protègent le corps de Farzana Parveen, enceinte de trois mois. Sa famille vient de la tuer à coups de briques pour s’être mariée sans son accord. © Mohammad TAHIR/REUTERS

Un crime d’« honneur ». Un de plus. Le Pakistan en compte près de 900 pour la seule année 2013 ; une estimation basse car ces forfaits sont le plus souvent maquillés en accidents. Quand ils éclatent au grand jour, ils bénéficient en général d’une « tolérance » aux coutumes tribales : le meurtrier paie une coquette somme, le « prix du sang », aux proches de la victime, et tout est arrangé. Dans le fond, ça ne concerne que des arriérés dans de lointaines campagnes… Mais, cette fois, impossible de fermer les yeux. Pas en plein cœur de la capitale du Pendjab aux élégants cafés climatisés. Sur les sites des journaux locaux, les internautes fulminent : comment ces malades ont-ils pu ? Pourquoi les passants ne sont-ils pas intervenus ? « C’est une insulte à l’humanité et à l’islam, dit Khalid. Nous sommes le seul pays où l’argent permet de tuer sans conséquences. Notre nation paraît dépourvue de valeurs morales. » Sur les réseaux sociaux, le buzz fait le tour du monde. Le partenaire américain fustige ; l’ancienne puissance coloniale anglaise se dit « horrifiée ». Sommé d’agir, le Premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, s’époumone sur le thème « Que fait la police ? ». Le père de Farzana est écroué. Quant à Muhammad Iqbal, le mari, il n’a pas craint de révéler un autre crime : lui-même a tué sa précédente femme, pour pouvoir épouser Farzana, justement. ­Impuni, car il a payé le « prix du sang » à son ancienne belle-­famille. A Islamabad, les manifestants ne décolèrent pas. Et s’inquiètent. Ils craignent que la pression retombe au fil des jours et que les barbares, une fois de plus, trouvent de sympathiques petits arrangements avec la justice.

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Au Pakistan, pour la seule année 2013, on a compté près de 900 crimes d’« honneur » 

Si les Pakistanais peuvent clamer leur colère, les Soudanais, eux, doivent la ravaler depuis des décennies. Dans cette dictature assise sur des mines d’or et du pétrole, le mot « justice » n’est qu’une plaisanterie. Sinistre. Depuis le 17 février dernier, Meriam Yehya Ibrahim croupit à la prison fédérale d’Omdurman en compagnie de son fils, Martin, 20 mois. Le 27 mai, elle y a accouché d’une petite Maya. Les geôliers ne lui avaient même pas ôté ses chaînes. Elle dispose de deux ans pour allaiter sa fille. Après quoi, elle ira pendre au bout d’une corde. Son crime ? Avoir épousé l’homme de sa vie, Daniel Wani, un chrétien. Comme elle. Mais les autorités prétendent qu’elle est musulmane et qu’elle a renié sa religion. Le Code pénal de 1991 interdit l’apostasie. Cependant, depuis 2005, la Constitution autorise tous les droits en matière de croyance. Y compris d’en changer.

Le 15 mai, à la cour Halat Kuku de Khartoum-Nord, le juge demande une ultime fois à Meriam de « revenir » à l’islam, la religion de son père. Or celui-ci est mort quand elle avait 6 ans, et elle a été élevée par une mère orthodoxe, originaire d’Ethiopie. En 2010, la jeune laborantine a rencontré Daniel Wani, un biologiste qui travaille dans une ONG, à son église de Khartoum. Ils s’y sont mariés en décembre 2011 et vivaient depuis dans un quartier cossu de la capitale. Telle une Blandine dans l’arène aux lions d’un César, Meriam sait ce qu’elle risque mais ne flanche pas. A ses bourreaux, elle répond calmement : « Je suis chrétienne et n’ai jamais été une apostate. » Le couperet tombe : la peine de mort, assortie d’une centaine de coups de fouet pour « adultère », car son mariage avec un chrétien n’est pas reconnu. Quant à Martin, il est aussi considéré comme musulman. Par « héritage ». Pas question qu’il rejoigne son père, il restera en prison avec sa mère.

Dans la salle du tribunal, Daniel, handicapé de naissance, assiste au jugement depuis sa chaise roulante. A l’énoncé du verdict, il fond en larmes. Pas l’accusée. A l’extérieur, une cinquantaine de sympathisants agitent des panneaux réclamant sa libération. Des héros, eux aussi : à l’automne dernier, la police a tiré sur des manifestants, en tuant 300, puis a raflé quelque 800 personnes soupçonnées de critiquer le régime. « La persécution de Meriam est typique de cette dérive », explique l’opposant Ajed Serid, de l’association pour les droits civils Sudan Change Now, aujourd’hui réfugié à Londres. « Le gouvernement, dit-il, détourne la religion et instrumentalise les différences ethniques pour se maintenir au pouvoir. » Pour masquer, notamment, sa corruption : dans ce domaine, Transparency International classe le Soudan 174e sur 177 pays. Difficile de faire pire. Omar Al-Bachir, au pouvoir depuis le coup d’Etat de 1989, est le seul président en exercice sous mandat d’arrêt international pour crimes de guerre et génocide.
Le sort de Meriam suscite très vite l’indignation du monde entier. D’autant que son mari, qui a vécu quelques années aux Etats-Unis, possède aussi la citoyenneté américaine. Plusieurs pétitions font le plein de signatures, lancées par Amnesty International, Change.org et le Collectif urgence Darfour. Samedi 31 mai, le sous-secrétaire du ministère des Affaires étrangères annonce une proche libération, aussitôt démentie par le porte-parole du même ministère. Pour Ajed Serid et les avocats de la condamnée, c’est une manœuvre de diversion afin de faire retomber la pression internationale : tant que Meriam n’aura pas recouvré la liberté, il ne faudra rien lâcher.

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