Cancer : comment va la vie, deux ans après le diagnostic ?

Cancer : comment va la vie, deux ans après le diagnostic ?

    Il y a eu ce jour noir où le monde bascule, quand on apprend que la petite boule dans le décolleté, le grain de beauté qui s'est agrandi ou la toux qui persistait depuis des mois, ce n'était pas rien, mais ce que l'on redoutait par dessus tout : un cancer. Puis il y a eu le long et pénible engrenage des traitements : chirurgie souvent, radiothérapie et parfois chimiothérapie. Cette phase aigüe passée, à quoi ressemble la vie avec/après un cancer deux ans après ?

    Parce que cela touche aujourd'hui 3 millions de personnes en France qui ont un cancer ou en ont guéri, l'institut national du cancer (INCA) a mené, avec l'INSERM notamment, une vaste étude, baptisée Vican II (à télécharger ici en PDF), pour mesurer bien des aspects de cette maladie dont certains avaient été évalués une première fois en 2004, sous l'égide du ministère de la santé. L'idée de ce grand panorama figurait au plan cancer II : « Parce que la lutte contre le cancer a évolué, grâce aux importants progrès de la recherche et des thérapies, menant à des améliorations significatives de la survie, on peut se poser la question de la qualité et de la continuité de la vie, qui avait moins de sens auparavant. On espère d'ailleurs bientôt lancer une étude similaire sur la vie cinq ans après », souligne Anne Burstin, directrice générale de l'INCA.

    4349 personnes, dont le cancer avait été diagnostiqué en 2010 ont ainsi été longuement questionnées entre janvier 2012 et juin 2013, pour aboutir à un impressionnant état des lieux de plus de 400 pages, dévoilés ce mardi à l'occasion d'un colloque à Paris.

    L'annonce : moins brutale ?

    « Nommer la maladie est crucial parce qu'il s'agit de la première étape d'une relation thérapeutique au long cours » rappellent les auteurs du rapport. Ne plus jamais apprendre son cancer entre deux portes était une revendication forte des états généraux des malades organisés par la Ligue en 1998, au terme desquels Jacques Chirac avait promis un premier plan cancer. Ce dernier (2003-2009) avait intégré les recommandations nationales publiées en 2005, formalisant les conditions d'annonce pour l'améliorer. Près de dix ans après, alors que le dispositif d'annonce, expérimenté dans le plan cancer 1 a été généralisé lors du suivant (2009-2013), 89,2 % des personnes interrogées se sont bien entendu confirmer le diagnostic lors d'une vraie consultation, en face à face. Dans 8 cas sur dix, c'était avec un médecin hospitalier ou de ville. 48 % ont eu droit à une « vraie » consultation d'annonce où on leur présentait aussi le choix des traitement (avec proposition d'essais thérapeutiques pour 7,3%) et calendrier des soins à venir. Une minorité encore en revanche s'est vue proposer dès cet instant ce que l'on appelle les soins de support (psy, infirmière, assistante sociale). 13,4% des malades ont tout de même encore appris le verdict si bouleversant au labo d'analyses ou au centre de radiologie, et 1,6 %... par courrier. Malgré ces progrès, comme il y a dix ans, près de 18 % des personnes jugent que l'annonce a été trop brutale. « Les professionnels ont pris conscience de l'importance de ce moment. Si l'on a beaucoup formé le personnel hospitalier sur le sujet, il faut sans doute renforcer la formation des professionnels de santé de ville, radiologues et généralistes » commente Anne Burstin, à l'INCA.

    Délais de prise en charge : toujours des inégalités

    Les chances de survie et la qualité de vie après dépendent beaucoup de la précocité du diagnostic, surtout si l'on a consulté au départ parce que l'on ressentait des symptômes inquiétants, signes que le cancer est déjà plus avancé. Pour un cancer du sein, relève l'étude, le délai d'accès à la biopsie, après détection d'une image suspecte est en moyenne d'une semaine. A quoi il faut ajouter un mois de délai moyen pour accéder à la chirurgie, la radiothérapie intervenant-toujours en moyenne- 8 semaines après. Les intervalles sont globalement plus court lorsque l'on est pris en charge dans un centre de lutte contre le cancer, qui par définition concentre toutes les étapes. Ils se révèlent en revanche toujours inégaux selon les régions : le délai moyen d'accès au diagnostic est plus long dans le sud ouest, alors que le temps d'accès à la seule chirurgie se révèle plus court dans le sud du pays qu'au nord de la Loire. Pour un cancer du poumon la prise en charge sera aussi plus lente dans l'Est et pour les plus de 70 ans. Que ce soit pour le sein ou le poumon, les personnes les plus défavorisées sont toujours plus pénalisées.

    Relation avec les soignants : c'est mieux !

    Cela s'est en tous cas nettement amélioré depuis 2004. L'antique posture médecin patient avec l'un qui sait tout et l'autre pas, qui avait encore cours il y a quarante ans n'est en tous cas majoritairement plus d'actualité. D'autant plus que les malades aujourd'hui disposent d'autres sources de renseignements : 7/10 de ceux qui ont été interrogés dans l'étude (surtout les femmes, les malades issues de catégories aisées et diplômés) indiquent avoir cherché de l'info hors du cabinet médical ou de l'hôpital : près de la moitié sur internet et/ou en même temps auprès de proches ou d'autres victimes du cancer. La majorité dit pourtant ne pas voir les soignants comme un mur, loin de là : près de 60 % des patients estiment avoir été associés au choix de leur traitement. Un tiers seulement juge avec le recul des deux ans que l'équipe médicale n'avait peut être pas toujours assez de temps pour répondre à leurs questions et un tiers que les informations qu'on leur donnait étaient soit trop compliquées soit qu'ils ne savaient pas eux même comment poser leurs questions.

    Séquelles et douleur : peut mieux faire

    Une fatigue majeure et persistante, de l'anxiété longtemps, et des douleurs, beaucoup... Survivre au cancer c'est découvrir que la vie d'après n'est plus la même, à cause des séquelles physiques, dues au mal et aux traitements. Les malades interrogés le mesurent douloureusement. Etonnamment, alors que le cancer du sein est de mieux en mieux traité, avec des thérapies ciblées plus efficaces, la proportion de femmes qui jugent, deux ans après le diagnostic, vivre avec une qualité de vie physique dégradée est plus importante qu'en 2004 (55,8% contre 45,9%). Souffrir, fait évidemment partie de ce qui plombe la vie : deux personnes sur trois dit ressentir des douleurs physiques, et une sur quatre les qualifie de fortes. 76,1% des personnes interrogées ont d'ailleurs consulté un médecin pour cela peu avant l'enquête (un petit 14% seulement dans un centre spécialisé de lutte contre la douleur). Le recours aux médicaments (antalgiques) est pourtant loin d'être massif : 60,3% seulement disent y avoir eu recours. Pour la directrice générale de l'INCA, Anne Burstin cela démontre que « les soins de support (NDLR tous les soins qui ne sont pas le traitement anticancéreux proprement dit)-et le traitement de la douleur en fait partie- ont incontestablement besoin de progresser. Pendant des années, la priorité a été de soigner et tant pis pour les séquelles. La question se pose en revanche désormais, d'autant plus que les progrès thérapeutiques s'affirment, que la survie progresse et que l'on s'éloigne de la prise en charge aigue. »

    Cancéreux, « lépreux du XXIe siècle » ?

    C'est un ressenti auquel on ne s'attend pas, chacun de nous connaissant un malade dans son entourage, amical, familial ou professionnel. 95% des Français estiment d'ailleurs que personne n'est à l'abri. Et pourtant ! Les malades sentent parfois peser lourdement les regards et disent se sentir évités parce qu'ils souffrent de cette maladie et pas seulement dans le monde du travail, où l'étude confirme que c'est encore trop souvent un sujet de malaise. La campagne menée par l'INCA en 2011 pour changer ces regards, avec ce slogan « je suis une personne pas un cancer » n'y a pas encore suffi. Au terme de l'étude, comme lors de la précédente enquête en 2004, près de 9 % des personnes vivent leur maladie dans les yeux des autres comme si elles étaient « des lépreux du XXIe siècle», et disent ressentir une stigmatisation, de la part de leur entourage, familial, amical, socialâ?¦ Une douleur qui s'ajoute aux autres, et que rapportent plus fréquemment les femmes et les malades déjà socialement désavantagés. « Je pense que nous avons même sous estimé cette question » confie Patrick Peretti-Watel, qui a participé à l'enquête. P

    our ce sociologue de l'INSERM, même si l'on a globalement fait des progrès contre le tabou, en parlant plus et en ne nommant généralement plus le cancer par des périphrases pudiques (longue et douloureuse maladie), la stigmatisation reste sans doute tenace, parce qu'elle s'ancre dans une forte peur symbolique, plus que concrète, contrairement au Sida. « Pour les malades du VIH, alors même qu'on ne les reconnaît pas dans la rue, contrairement à un malade du cancer qui porte parfois des traces physiques-parce qu'il a perdu ses cheveux, un sein ou ne peut plus que chuchoter-, il y avait la peur très concrète de la transmission. Mais en même temps pour le VIH, on l'associait à un comportement à risque, dont on peut se dire « je n'en suis pas, je peux y échapper ». Le cancer, lui, n'est pas contagieux, mais dangereux, associé à l'idée de douleur et de mort. Et ce qui gêne en fin de compte, analyse-t-il, c'est que rien ne différencie le malade de nous : c'est notre âge, notre milieu socialâ?¦ » Une campagne seule n'y pourra rien changer estime le sociologue, qui observe que les expressions usant du mot comme une métaphore péjorative, « comparant l'assistanat ou la drogue au cancer de la société » ont la vie dure...

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