« J'ai agi en mon âme et conscience : je fais confiance à la cour parce que mon destin est entre ses mains. » C'est par ces mots que Sylvie Andrieux, figure du PS marseillais, a conclu son procès en appel pour détournement de fonds publics, mardi 10 juin.
La cour d'appel d'Aix-en-Provence donnera le 23 septembre sa décision sur le sort de la députée (ex-PS) de la 3e circonscription des Bouches-du-Rhône, qui couvre les quartiers paupérisés du nord de Marseille. La décision de la justice pourrait entraîner, à terme, une élection législative partielle sur un territoire où la mairie de secteur a été remportée, en mars, par le candidat Front national.
Outre trois ans de prison dont deux avec sursis et une amende de 100 000 euros, l'avocat général Jules Pinelli a requis, vendredi 6 juin, la confirmation de la peine d'inéligibilité de cinq ans prononcée par le tribunal correctionnel de Marseille le 22 mai 2013.
« SI TU VEUX UN SCOOTER, TU N'AS QU'À MONTER UNE ASSOCIATION »
Aucun enrichissement personnel n'est reproché à la parlementaire. Mais elle est accusée, lorsqu'elle était vice-présidente (PS) du conseil régional Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) en charge de la politique de la ville, d'avoir fermé les yeux et encouragé le versement de subventions à des associations fictives, des coquilles vides créées au seul but d'escroquer la Région.
Entre 2005 et 2008, un total de 716 000 euros a ainsi été « flambé » par les deux principaux bénéficiaires de la fraude, le responsable d'une association de commerçants d' une cité et un caïd plusieurs fois condamné. « Comment ça se fait que presque un million d'euros parte ainsi en fumée ? » s'est étonnée la présidente de la cour, Monique Zerbib. Un des prévenus a rapporté que, « dans les quartiers, il se disait que si tu veux un scooter, une voiture, de l'argent, tu n'as qu'à monter une association ».
« LES VANNES OUVERTES EN GRAND DANS UN BUT ÉLECTORALISTE »
Rolland Balalas, à l'époque des faits assistant parlementaire de Sylvie Andrieux, également secrétaire général du groupe PS au conseil régional, a confirmé les visées électoralistes de ces versements à des « leaders d'opinion ». « Les vannes sont ouvertes en grand dans un but électoraliste. Mme Andrieux se foutait de savoir si ce qu'on finançait était bon ou pas à partir du moment où ça augmente sa popularité. »
Sur les six millions d'euros destinés à la politique régionale de la ville, 75% des fonds étaient alloués à des dossiers portés par la députée, a rapporté un cadre de la Région. L'avocat général a dénoncé « un système dont les clés étaient détenues par Mme Andrieux. Vous les avez remises à des envahisseurs qui sont entrés dans le temple et l'ont pillé. En contrepartie de ce pillage organisé et autorisé, a ajouté M. Pinelli, il faut occuper le terrain, le labourer et en récolter le produit en termes de bénéfice électoral. »
Mme Andrieux conteste avoir eu vent des très nombreuses alertes lancées plusieurs années avant qu'un signalement Tracfin, en juin 2007, ne provoque une enquête judiciaire. « Je n'avais pas de délégation pour mettre mon nez dans l'administration », s'est défendue l'élue, qui assure n'avoir joué aucun rôle dans l'attribution des subventions.
« PROCÈS EN SORCELLERIE »
« Les crédits de la politique régionale de la ville ont été monopolisés par Sylvie Andrieux », lit-on cependant dans une note datant de 2002, écrite par un fonctionnaire du service aménagement du territoire. « Elle a mis en place un dispositif pour s'occuper elle-même de la consommation de ce budget. » Les avis défavorables portés par l'administration sur des dossiers incomplets ou louches étaient contournés au moment du vote. Lorsque, en 2007, une contractuelle prévient d'anomalies dans les dossiers, l'élue la chapitre rudement : « Vous n'y connaissez rien. C'est moi qui suis sur le terrain. »
En première instance, Sylvie Andrieux avait plaidé avec véhémence la thèse du complot. En appel, faisant profil bas, elle parle de mensonges et assure qu'elle respectait la cloison entre le politique et l'administration. Evoquant une absence totale de pouvoirs – elle s'était comparée à la reine d'Angleterre – la députée assure « n'être rien », décider de « pas grand-chose » et n'avoir joué qu'un rôle de « facteur » pour des associations de sa circonscription. Elle est parfois à la peine pour expliquer le contenu de son action. « Qu'est-ce que la politique de la ville ?, s'impatiente la présidente. Ce sont des charrettes de billets qu'on déverse dans les quartiers et on se sert ? »
Déplorant que la prévenue n'ait pas brisé « l'armure dans laquelle elle est enserrée », l'avocat général a laissé entendre que ses réquisitions auraient été plus clémentes en présence de l'aveu d'une faiblesse, d'un aveuglement politique. « Vous ne l'avez pas fait car vous avez le culte de la force, de l'action, du combat. Pourquoi ce déni devant la force des réalités ? Vous vous mentez à vous-même en ne reconnaissant pas ce qu'il faudrait reconnaître. [Si la prévenue s'y était soumise], ça aurait donné un caractère plus humain à ce dossier. »
Ses défenseurs, Me Gaëtan Di Marino et Grégoire Ladouari ont plaidé la relaxe, invoquant « un procès en sorcellerie ». Ils ont présenté l'élue comme la victime d'une trahison de son assistant parlementaire, comme un fusible dans une institution n'ignorant rien des défaillances des systèmes de contrôle. Les plaidoiries se sont ainsi transformées en réquisitoire contre Michel Vauzelle, président (PS) de la région PACA qui « se justifie de son incurie, de la méconnaissance de tout ce qui se passe dans son institution en disant que [Sylvie Andrieux] était la seule au courant ».
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