TRANSPORTS - La journée s'annonce noire sur les rails français. Près de 46% des cheminots de la SNCF ont prévenu qu'ils cesseraient le travail dès mardi soir et ce mercredi 11 juin, entraînant l'annulation d'un ou deux TGV sur trois. Sur certains réseaux, les débrayages pourraient atteindre jusqu'à 70% des personnels roulants. Signe que les syndicats sont prêts à en découdre, le préavis est reconductible.
Objectif de ce mouvement particulièrement suivi: obtenir une modification du projet de réforme ferroviaire qui doit être examiné en première lecture par l'Assemblée nationale les 17, 18 et 19 juin prochains.
"Est-ce que je regrette cette grève? Oui, cela fait plus d'un an et demi que je travaille et que je négocie avec toutes les organisations syndicales pour sauver le ferroviaire parce que la question est là, nous sommes à des niveaux de dette de plus de 40 milliards et si rien n'est fait, en 2025 nous serons à 80 milliards de dette", a menacé le secrétaire d'Etat aux Transports Frédéric Cuvillier.
Des économies d'échelle et une meilleure gestion
En quoi consiste cette réforme qui a provoqué la colère de deux des trois principaux syndicats de cheminots? Il s'agit de réunifier "la famille ferroviaire", à savoir la SNCF, chargée d'exploiter le réseau, et Réseau Ferré de France, chargé d'en assurer l'entretien. Séparées en 1997 pour des raisons comptables, ces deux entreprises doivent être finalement réunies afin de stabiliser la dette du secteur et de le préparer à l'ouverture totale à la concurrence d'ici à l'horizon 2020.
En clair, une fois le projet de loi dûment adopté, les deux sociétés se retrouveraient dès le 1er janvier 2015 dans une même organisation, avec d'un côté SNCF Mobilités qui gérerait les transports et de l'autre SNCF Réseau qui reprendrait les attributions de RFF. Le texte ne s'attaque pas directement à la spirale de l'endettement du système ferroviaire, qui s'élève à 44 milliards d'euros et augmente mécaniquement de 1,5 milliard d'euros par an. Mais SNCF et RFF pensent économiser, grâce au rapprochement de leurs structures, 1,5 milliard d'euros par an, notamment par des gains de productivité, afin de stabiliser la dette.
Pour le gouvernement, la réforme doit en outre empêcher à l'avenir des dysfonctionnements comme les commandes de TER trop larges, qui imposent de raboter 1.300 quais de gare pour un coût de 50 millions d'euros.
Des doutes sur les statuts
Problème: aux yeux des syndicats contestataires, soutenus sur ce point par le Front de Gauche, le projet de loi ne règle en rien l'endettement structurel qui fragilise le secteur ferroviaire français. Et il ne va pas suffisamment loin dans l'intégration des deux grandes sociétés ferroviaires que sont SNCF et RFF.
Le spectre de l'ouverture à la concurrence d'ici à la fin de la décennie crispe un peu plus encore les syndicats qui redoutent les conséquences sociales de l'arrivée sur un marché délicat de rivaux industriels européens souvent plus compétitifs. La question des statuts des différents personnels est également sur la table et source de tensions.
S'ensuivent toute une série de revendications, depuis "la réhumanisation des gares et des trains", la "modification radicale de la politique menée à Fret SNCF", la "mutualisation des moyens humains et matériels au service de toutes les activités" jusqu'aux "conditions sociales de vie et de travail de haut niveau".
Règlements de compte syndicaux
Ce qui fait dire au DRH de la SNCF, François Nogué, que la réforme pourrait être victime d'une surenchère de la part des syndicats les plus virulents. Celui-ci a notamment évoqué "des sujets internes à la vie de l'entreprise, qui n'ont que peu de rapport avec la réforme ferroviaire".
A leur demande, la CGT-Cheminots, SUD-Rail et l'Unsa doivent être reçus ce jeudi 12 juin par Frédéric Cuvillier pour discuter du projet de loi et tenter de trouver une sortie de crise. L'Unsa n'a en revanche pas appelé ses adhérents à faire grève ce 11 juin afin de privilégier "un dialogue constructif" jusqu'à la rencontre avec le secrétaire d'Etat aux Transports.
La CFDT, quatrième syndicat, a également refusé de s'associer à la grève. Elle dénonce une "mise en scène visant à faire croire que ce rapport de force programmé serait à l'origine des avancées sociales déjà négociées par la CFDT".
Le syndicat affirme avoir choisi "de privilégier la négociation au rapport de force tant l'enjeu de la réussite de réforme ferroviaire est crucial". "Cette réforme est essentielle pour enrayer le déclin et engager le développement du transport ferroviaire attendu par l'ensemble des nos concitoyens et des entreprises", précise-t-elle.