C'est une petite révolution dans la bataille pour ou contre les organismes génétiquement modifiés (OGM). Les vingt-huit Etats membres de l'Union européenne (UE) ont donné leur feu vert, jeudi 12 juin, lors d'un conseil des ministres de l'environnement au Luxembourg, à une législation offrant toute latitude aux Etats pour interdire des OGM sur leur territoire. L'autorisation de culture d'une semence transgénique, elle, resterait décidée au niveau européen, comme c'est le cas aujourd'hui.
Cette décision survient alors que deux camps, depuis longtemps inconciliables, bloquent toute décision : les Etats, comme la France, la Hongrie ou l'Autriche, qui souhaitent en interdire la culture pour tenir compte de l'opposition de leurs populations, et ceux qui veulent au contraire, à l'instar du Royaume-Uni et de l'Espagne, la promouvoir.
En réformant un processus d'autorisation depuis plusieurs années dans l'impasse, la nouvelle législation devrait également faciliter la culture des semences transgéniques sur un Vieux Continent hostile aux biotechnologies.
UNE PROCÉDURE TRÈS FRAGILE JURIDIQUEMENT
Auparavant, la procédure d'autorisation des OGM ne satisfaisait personne et le feuilleton du blocage durait depuis une quinzaine d'années. La Commission autorisait les OGM après avis de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), mais se retrouvait systématiquement confrontée à l'hostilité des Etats anti-OGM lors des conseils européens et ne parvenait pas à obtenir de majorité qualifiée lors des votes.
De leur côté, les Etats ne pouvaient interdire les cultures transgéniques qu'en prenant sur leur territoire des clauses de sauvegarde pour des motifs environnementaux et sanitaires. Une procédure très fragile juridiquement.
Pour sortir de cette impasse, le Conseil européen espère faciliter les autorisations des semences transgéniques au sein de l'Union en accordant aux Etats réfractaires un socle juridique plus solide leur permettant de bannir les OGM sur leur territoire. Ils pourront invoquer des considérations socio-économiques, éthiques ou d'ordre public, et non plus exclusivement scientifiques.
UN SEUL OGM EST ACTUELLEMENT CULTIVÉ EN EUROPE
« C'est une étape majeure pour les Etats qui réclamaient avec insistance d'avoir le dernier mot sur les cultures d'OGM », selon Tonio Borg, le commissaire à la santé chargé du dossier.
Conséquence des années de blocage : un seul OGM est actuellement cultivé en Europe, le maïs MON810 du groupe américain Monsanto. Cette semence, plantée presque exclusivement en Espagne et au Portugal, fait l'objet d'un moratoire dans huit pays, tandis que la France a voté une loi en mai pour interdire sa culture. Trois autres semences transgéniques ont été autorisées mais abandonnées par les entreprises qui les commercialisaient, faute de débouchés : le maïs Bt176 de Syngenta, le maïs T25 de Bayer et la pomme de terre Amflora de BASF. Treize dossiers d'OGM attendent une autorisation européenne de culture, selon Inf'OGM.
En 2010, la Commission a fait des propositions pour simplifier ces démarches, avec le soutien du Parlement en 2011. Mais, depuis, les discussions sont restées au point mort, en raison notamment de l'opposition de la France, de l'Allemagne et du Royaume-Uni. Les deux premières, plutôt hostiles aux OGM, se méfiaient d'une loi susceptible d'affaiblir la cohésion du marché unique et de la politique agricole commune. Londres, au contraire favorable aux semences transgéniques, voyait de son côté d'un mauvais oeil toute entrave à leur culture ou à leur libre commerce.
LA NOUVELLE LÉGISLATION MÉCONTENTE LES ANTI-OGM
Les discussions ont repris lorsque la Commission, sous la pression d'un arrêt de la Cour de justice de l'UE, a proposé aux Etats d'autoriser la culture d'un nouveau maïs transgénique (le TC1507 de Pioneer) en novembre 2013. Malgré l'opposition de dix-neuf Etats, la Commission pouvait imposer l'OGM en vertu des règles communautaires, ce qu'elle s'est gardée de faire à ce jour. Les deux camps ont alors décidé de transiger pour sortir de l'impasse.
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Pourquoi la France s'est-elle finalement ralliée à la proposition du Conseil ? « Ce texte offre à la France une nouvelle sécurité juridique pour interdire les semences sur le territoire, alors qu'elle avait épuisé tous les recours », explique-t-on au ministère de l'écologie. Le Conseil d'Etat avait en effet annulé à deux reprises – en 2011 et 2013 – l'interdiction française de culture du MON810, pointant une absence de fondement scientifique.
Mais la nouvelle législation européenne mécontente les anti-OGM, qui craignent qu'elle n'ouvre une brèche favorable aux semenciers. Pour Mute Schimpf, chargée de la campagne « alimentation » des Amis de la Terre Europe, le texte donne trop de poids aux entreprises de biotechnologies dans le processus de décision. « Il serait naïf de penser que les semenciers vont accepter l'interdiction des Etats réfractaires sans contrepartie », assure-t-elle.
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« UN VÉRITABLE MARCHÉ DE DUPES »
« Accepter la possibilité d'interdire des OGM sur des bases aussi fragiles serait un véritable marché de dupes et la porte ouverte à la contamination de l'agriculture européenne », dénonce de son côté l'eurodéputée Corinne Lepage, rapporteuse du texte adopté par le Parlement en 2011.
Le compromis entre les Etats ne met pas un terme à la controverse, puisque la législation doit encore être soumise au Parlement européen pour une adoption définitive d'ici au début 2015.
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