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Inégalités à la française : en finir avec l'hypocrisie

Par Augustin Landier (professeur à HEC), David Thesmar (professeur au MIT)

Publié le 12 juin 2014 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

La percée du FN aux dernières élections a rendu apparente la fracture économique qui divise aujourd'hui la France. Plutôt qu'un vote identitaire ou sécuritaire, il faut surtout y voir le cri d'alarme d'une grosse minorité de la population qui se trouve bannie de la vie économique par nos propres institutions. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer la très forte corrélation des résultats du FN par département avec le taux de chômage local : celui-ci explique à lui seul 41 % des variations du vote FN, alors que l'exposition à l'immigration mesurée par le taux d'enfants naissant de parents immigrés n'explique quasiment rien. Un sondage récent confirme ce diagnostic : le vote FN est très corrélé à l'absence de diplôme : 37 % chez les non-bacheliers contre 11 % chez les Bac +3. Il est très élevé chez les ouvriers et employés (43 % et 38 %), mais reste faible chez les cadres supérieurs (9 %).

Car, dans notre pays généreux et solidaire, il y a aujourd'hui deux France, aux destins divergents : celle qui a plutôt bien résisté à la crise, et celle qui décroche depuis de nombreuses années et subit seule le poids de la crise. Pour une partie de la France, celle des diplômés du supérieur, la crise n'a pas été un choc véritable : leur taux de chômage est resté quasiment constant, autour de 5 %, tandis que celui des non-bacheliers monte inexorablement depuis 2008, pour se situer aujourd'hui au-dessus de 17 %.

Le discours anti-élite et anti-système qui monte dans cette fraction de la population n'est pas dû à l'aveuglement, ni à un coup de sang passager. Au contraire, il y a bien de la part des partis traditionnels un refus de voir en face la réalité du monde du travail et la véritable impasse économique où se trouvent embarqués les travailleurs peu qualifiés. La crise n'est pas simplement un mauvais moment à passer : il ne faut pas s'attendre, une fois la croissance revenue à son rythme de croisière, à voir le chômage refluer et avec lui l'anxiété des populations les plus vulnérables. C'est en ce sens qu'il faut écouter le vote FN attentivement et reconnaître la part de lucidité qui le motive : le constat d'un changement structurel qui nécessite la remise en chantier de notre régulation du travail.

A l'origine de ce changement, il y a le basculement de notre économie dans l'ère post-industrielle. Les emplois d'ouvriers et de certains employés sont de plus en plus automatisés et remplacés par des robots et des algorithmes. Les jobs de substitution auxquels ont accès ces catégories sont essentiellement dans les services à la personne. Ces emplois existent potentiellement en grand nombre, mais ne sont pas rentables étant donné le niveau actuel du SMIC.

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L'idée d'atténuer les inégalités par un SMIC élevé est l'héritage des Trente Glorieuses : l'Etat déléguait à la grande entreprise industrielle le soin de redistribuer les revenus. Via le salaire minimum, capitalistes et travailleurs qualifiés partageaient leurs revenus avec les ouvriers. Aujourd'hui encore, l'industrie paie les salariés non-qualifiés, à âge et expérience donnés, environ 10 % de plus que les services. Mais, dans la société post-industrielle, la redistribution ne peut plus se faire au sein de l'entreprise, car les travailleurs non-qualifiés ne travaillent plus dans les mêmes locaux que les travailleurs qualifiés, qui, eux, monopolisent le capital.

La redistribution reste possible, mais c'est maintenant à l'Etat de l'assumer, par exemple à travers un transfert public qui viendrait compléter les bas salaires, et non à travers un SMIC élevé. Il doit réaliser que sa mission principale est de réintégrer les peu qualifiés dans le monde du travail, en combinant gel durable du SMIC et renforcement du RSA.

Augustin Landier et David Thesmar

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