Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?
Offrir Le Monde

Les plages grecques d’Elafonissos, petit paradis mis en vente par l’Etat

Le gouvernement grec privatise pour rembourser sa dette et s’apprête à modifier la loi littoral.

Par  (Athènes, correspondance)

Publié le 13 juin 2014 à 14h11, modifié le 15 juin 2014 à 08h27

Temps de Lecture 5 min.

Une plage en Grèce, le 30 mai.

Ce matin de juin, sur le port grec d'Elafonissos, une petite île au sud du Péloponnèse, règne une agitation inhabituelle. Dans un joyeux chaos, une dizaine de familles – tous âges confondus – embarquent sur quelques caïques colorés, ces bateaux de pêche traditionnels encore utilisés dans les îles grecques. Direction, les merveilleuses plages jumelles de Simos et Sarakinikos, situées à 5 kilomètres au sud de l'île.

Des kilomètres de sable fin, de dunes, de forêt et des eaux turquoise si claires qu'elles donnent au site un faux air de Caraïbes. Un petit trésor exotique jalousement préservé par les 1 500 habitants de l'île, qui mènent aujourd'hui une guerre ouverte au projet de vente de « leurs » plages décidé par le gouvernement grec.

Une demi-heure de traversée, et les bateaux arrivent, à grands renforts de sirènes et de fumigènes, dans la baie de Simos. Premier à débarquer, Stavros Deliyiannis, conseiller scientifique de la mairie, entreprend d'expliquer aux centaines de touristes présents les raisons de cette manifestation venant troubler leur baignade.

« HÉRÉSIE », DÉMARCHE « OBSCÈNE », « GROSSE ERREUR » 

Newsletter
« Chaleur humaine »
Comment faire face au défi climatique ? Chaque semaine, nos meilleurs articles sur le sujet
S’inscrire

« Toute la zone est classée Natura2000, le réseau européen de sites naturels reconnus pour leur grande valeur patrimoniale du fait de la faune et la flore exceptionnelles qu'ils contiennent », précise ainsi le jeune homme. « L'Etat veut vendre ce paradis pour construire des hôtels. » Une « hérésie », une démarche « obscène », une « grosse erreur », commentent la plupart des touristes interrogés, qui, tous, affirment avoir choisi cette île justement pour ses plages naturelles.

« C'est ce qui fait notre différence, et donc notre succès », confirme le maire, Panayiotis Psaromatis. « Si, demain, de gros complexes hôteliers ou des villas privatives se multiplient sur ces plages que nous avons choisi de garder le plus vierge possible, alors ces touristes partiront. »

En août, au plus fort de la saison touristique, la population explose, passant de 1 500 à 6 000 personnes. Mis à part un camping pouvant héberger jusqu'à 1 500 personnes, implanté sur la plage de Sarakinikos, le gros des structures d'accueil – les vingt-cinq hôtels, la cinquantaine de chambres d'hôtes ainsi que les tavernes et magasins de souvenirs – se concentre de l'autre côté de l'île, au port. « C'est le choix de développement que nous avons collectivement adopté pour préserver notre plage, et aujourd'hui, au nom du remboursement de la dette grecque, on nous imposerait de vendre notre trésor ? », résume le maire, pourtant proche des conservateurs au pouvoir.

LE TAIPED N'A PAS RÉPONDU À NOS DEMANDES D'ENTRETIEN

Le 14 novembre 2013, la décision 2283/2013, publiée au Journal officiel grec, a transféré la propriété de ces plages au Taiped, le fonds grec chargé de vendre et valoriser les biens publics grecs dans le cadre du large plan de privatisation exigé par les créanciers de la Grèce pour faire entrer de l'argent dans les caisses de l'Etat, et participer ainsi au remboursement des 240 milliards d'euros de prêts alloués au pays depuis 2011.

Le catalogue du Taiped, consultable sur Internet, propose clairement à la vente, photos alléchantes à l'appui, 175 000 mètres carrés de terrain sur le site de Simos sous le numéro de lot ABK 382. Projets de développement suggérés : construction d'hôtels ou de villas privatives. Sans qu'aucune étude environnementale ou même d'impact économique n'ait été réalisée, ou en tout cas rendue publique.

Le Taiped n'a pas répondu à nos demandes d'entretien, mais a déclaré, dans un communiqué, qu'il n'avancerait pas sans prendre en compte les objections locales des habitants d'Elafonissos. « Le Taiped ne nous a aucunement rassurés. Il ne nous a jamais consultés, n'a pas répondu à la lettre officielle que je leur ai envoyée et n'a pas retiré le lot de son catalogue, alors pourquoi devrions-nous le croire ? », s'inquiète Panayiotis Psaromatis. « Je ne suis pas contre les privatisations dans l'absolu, mais certainement pas des plages, où qu'elles se trouvent en Grèce », ajoute-t-il.

15 000 KILOMÈTRES DE CÔTES RELATIVEMENT PEU EXPLOITÉES

Près d'une centaine d'autres terrains – aux abords des plus belles plages du pays – sont en effet tombés dans le giron du Taiped en novembre 2013. Il s'agit des îles de Naxos, Rhodes, Leucade, Limnos ou de la Crète.

La Grèce compte près de 15 000 kilomètres de côtes encore relativement peu exploitées, au regard de ce qui a pu se produire sur la Costa Brava espagnole, par exemple. Et le gouvernement grec, soucieux de relancer l'activité économique après sept ans de récession, entend bien mettre à profit ce potentiel.

Car le tourisme, qui représente près de 17 % du PIB, est une activité en pleine croissance en Grèce. Si 2013 fut une année record avec près de 20 millions de visiteurs, 2014 s'annonce encore meilleure, et les professionnels du secteur s'attendent à dépasser les 21 millions de touristes. « L'objectif, pour le gouvernement, est désormais d'arriver à lever les restrictions qui encadrent légalement l'exploitation des terrains côtiers qu'il a mis en vente par le biais du Taiped afin de multiplier l'offre touristique rapidement », explique Georges Chasiotis, responsable des affaires juridiques au sein de l'association pour la protection de l'environnement WWF.

FACILITER LES CONSTRUCTIONS SUR LES PLAGES

En avril, le ministère grec de l'économie a en effet présenté un projet de loi modifiant de manière substantielle la loi littoral. Dans sa forme actuelle, ce projet supprime toutes les restrictions existantes sur la superficie maximale des concessions de plage comme des bars, des parasols et des chaises longues, tout en levant le droit de libre accès à la côte pour le public.

Les mesures proposées visent également à faciliter des constructions permanentes sur les plages à des fins commerciales, tout en permettant aux entreprises de payer des amendes pour légaliser des constructions non autorisées. « Concrètement, cette loi entraîne la privatisation des plages », affirme M. Chasiotis. « Il va devenir plus simple pour un investisseur de construire un hôtel ou des villas avec un espace privatif allant jusqu'à 10 mètres de la mer, alors que la loi actuelle l'oblige à respecter une distance minimale de 50 mètres. Peut-on encore parler de libre accès à la plage lorsqu'il restera seulement une bande de 10 mètres pour poser sa serviette devant de gigantesques infrastructures hôtelières ? », s'interroge cet ardent défenseur du principe du libre accès aux plages, inscrit dans la Constitution grecque.

Devant le tollé soulevé par son projet de loi – un mouvement de pétitions est notamment très actif sur Internet –, le gouvernement l'a temporairement gelé. Mais, au ministère de l'économie, on affirme que cette loi sera bien présentée devant le Parlement, sans en préciser la date.

A Elafonissos, Nikos, l'électricien du village, au regard aussi limpide que les eaux de Simos, résume joliment l'engagement de son village : « Le développement doit avoir des limites : on ne peut pas tout bétonner. Le crabe doit pouvoir sortir de l'eau. Ainsi que la tortue. Et moi, je dois pouvoir me baigner sans payer. On doit partager et respecter cette nature dont nous ne sommes que des locataires temporaires. »

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.