Mathieu Valbuena, c’est une belle histoire de sport. D’hommes. De défis. De tragédie. Et au bout du compte, le talent s’exprimant toujours, un modèle de saveur de victoire. J’aime profondément ce bout d’homme, grand en chaque circonstance, génial footballeur, modeste caractère, émergeant toujours et magistralement des torrents de quolibets que la presse et ses affidés déversent sur lui.

Tout ce que j’aime dans le football, après les ballets qu’offrent les gracieux joueurs et la danse des esthètes, c’est-à-dire l’honneur, bravant le sens général, défiant les hostiles, subissant l’injustice, célébrant finalement la seule passion du jeu, comme bouclier et mansuétude, je le retrouve chez Mathieu Valbuena. Ce joueur campe un genre qui disparaît dans le football : la figure du solitaire pèlerin. Pas tant dans le type Suarez, exquis salopard, non plus Maradona maître-soliste embrassant la décadence, même pas Cantona, panache caractériel, Valbuena est unique en son genre : c’est un tragédien constant. Même couvert de lauriers, il semble destiné à rester mal-aimé. Cet outrage des censeurs acharnés qui étouffent ses succès, le rend grand, géant.Figure du solitaire pèlerin
C’est le plus grand joueur de l’équipe de France depuis la retraite de Zidane. Régulier dans l’excellence pour ici emprunter une formule de Margoton [commentateur sportif] chantant Zidane. Pourvoyeur altruiste de caviar, buteur collectionneur de pièces d’anthologie, il porte, distribue, se démultiplie, aère, libère, bref joue, sur un registre technique époustouflant et un autre physique d’une densité épatante. Dépositaire d’un tel actif, il se trouve pourtant, une coalition de gros pontes du consultanat français du football bientôt rejoints par des téléspectateurs moqueurs, pour le déshabiller de son mérite et de son génie, finissant par le mêler à la masse commune des bon joueurs, parfois même discutable, quand ce n’est l’intrus imposteur tout désigné.
Ce gamin a affronté l’inanité imbécile des centres de formation français, ces mauvaises écoles échangeant tout, jusqu’à l’élémentaire évidence, contre les muscles. Les formateurs français auront dit non à Marvin Martin, Griezmann et Valbuena. Motif ? Trop petits. A leurs places, une fournée de musculeux lamentables. Le rêve brisé, le jeune garçon se retourne vers le monde amateur. Il y découvre l’irrégularité et la solitude des matchs de seconde zone mais la passion, le jeu ; aussi, les boulots annexes pour survivre, avant que l’évidence de son talent ne conquière Libourne, d’où Marseille aura la bonne inspiration de venir le chercher. Le cauchemar commence. Le vestiaire est une prison pour lui. Des cabales régulières, allant de l’intimidation physique jusqu’aux attentats en séance d’entraînement dont se rendent coupables quelques gros bonnets du groupe, le visent. Il confie avec gratitude l’indignation du seul ange protecteur qui viendra à son secours, Ronald Zubar [défenseur de Marseille entre 2006 et 2009]. Nasri, Ribéry, Niang, Lorik Cana, Djibril Cissé, et dernièrement, les frères Ayew, constitueront la meute pour l’évincer.
L’anti-modèle
On lui tisse une légende, celle de plonger au moindre contact. Procès odieux et injuste qui a pour résultat d’installer dans l’opinion l’image presqu’indélébile d’un tricheur. Procès propagé par Pierre Ménès [l’un des piliers de Canal Plus], et l’extrême réticence des journalistes et consultants à l’encenser. Il s’endurcit, dope son jeu physique, tient plus sur ses jambes, mais comme tous les joueurs qui ont dans le dribble leur principale ressource, il subit les attaques et y gagne en endurance.
Il répondra dans le jeu. Encore et toujours. Insolent de constance dans ses performances, il donne tort à Deschamps qui le mettait sur le banc, en étant un artisan majeur du dernier titre de l’OM. Quelques mois plus tôt, comme le veut la tradition du foot, il naissait dans un antre fondateur : Anfield [en octobre 2007, l’OM a été la première équipe française à s’imposer sur le terrain de Liverpool (1-0), grâce un but de Valbuena]. Un père : Gerets [Eric Gerets, entraîneur de l’OM entre 2007 et 2009]. Un but somptueux et le bout d’homme s’affirma en posant les jalons de sa revanche prochaine contre sa condition, sa naissance et ses précoces bourreaux. Consécration ultime, depuis son arrivée en équipe de France, il se pose en maître du jeu. Incontestable et grandiose. Il y gagne l’étoffe que l’OM ne peut plus lui offrir dans le ventre mou du classement.
Sur la difficile scène internationale, il brille, fait briller. Avec le sourire, la bonhommie. Ce garçon qui a les appuis phénoménaux de Lahm, le pied aimanté de Beckham, la volonté d’un Xavi et le goût de la provocation d’Iniesta, est à un tournant de la grande légende : celle d’une gloire qui déchire le bâillon du mépris. Celle de l’éclat inextinguible même des chevronnés menteurs. Celle plus jouissive contre les brimades, les moqueries, et autres petits assassinats admis qui sont les plus grandes blessures silencieuses du temps. Il ne fait pas bon pour l’image et pour la mode d’aimer Valbuena : on tient la plus grande injustice récente du sport français : quand l’apparence surplombe et nie l’évidence du génie.
Je supporte l’équipe de France, exclusivement pour Valbuena. Bon tournoi, géant.
 

Elgass
Lire l’article original