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Billet de blog 15 juin 2014

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Littérature

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A la mort subite

En 1987, Jerome Charyn crée le personnage de Sidney Holden. Le tueur professionnel au passé trouble revient quatre ans plus tard dans un nouveau roman avant de disparaître jusqu’à ce nouvel épisode, A la mort subite, du nom de la célèbre brasserie bruxelloise, « idéal comme nom, tu ne trouves pas ? »

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Illustration 1

En 1987, Jerome Charyn crée le personnage de Sidney Holden. Le tueur professionnel au passé trouble revient quatre ans plus tard dans un nouveau roman avant de disparaître jusqu’à ce nouvel épisode, A la mort subite, du nom de la célèbre brasserie bruxelloise, « idéal comme nom, tu ne trouves pas ? »

Illustration 2

Sidney Holden est un personnage en quête d’identité : il apparaît dans Paradise Man (Frog dans la traduction française), à New York, homme de main de la société internationale de fourrure Aladdin, aux activités borderline. L’homme au Beretta 380 est né en France — ce qui lui vaut son surnom de «Frog» —, près d’Avignon, il est orphelin. Tout juste sait-il que sa mère est française et son père, américain, un tueur à la solde d’un magnat. La vie d’Holden est un secret, son activité de tueur un paradoxal héritage familial et le roman noir de Jerome Charyn mêle intrigue policière et quête identitaire. Cette double aventure se poursuit dans Elseneur, au titre shakespearien, Frog est aussi un Hamlet : ce nouvel opus voit le tueur affronter aussi bien ceux qui veulent détruire l’empire du roi de la pègre Howard Phipps que ses propres souvenirs et les ombres de son passé.

A la mort subite relance l’intrigue : « Il n’avait brisé le gosier de personne depuis des années ». Ce « il » dès la première phrase est un clin d’œil aux lecteurs fidèles de l’écrivain. Ce « il » est Holden, ce que confirme la phrase suivante pour les autres — auxquels le premier chapitre rappelle les éléments principaux de l’histoire. De toute façon, tout a changé : la femme aimée est morte et l’ex-tueur, en « retraite anticipée », a tout vendu, il a quitté New York pour la France où il est né, « la patrie de sa mère, une mère dont il ne se souvenait même plus ». Holden est englué dans une sorte de vide routinier à Paris jusqu’au moment où son compte est à sec : la pension des Fourrures Aladdin ne tombe plus sur son compte. C’est là qu’il reçoit une lettre d’un inconnu, accompagnée d’une liasse d’euros et d’un billet de train, lui demandant de se rendre à Bruxelles, à l’Hôtel Métropole. La chambre qui lui a été réservée était celle de son père…

Illustration 3

La trame du récit sera double : revenir sur les traces de son père, reprendre son travail de flingueur, à l’invitation du vieux Jonathan Raab. Holden parcourt Bruxelles et revisite son passé : tout ce qu’il pensait savoir sur son père comme sur sa mère va s’avérer faux. De l’hôtel Métropole à la Grand-Place, des galeries au béguinage secret où loge Raab, c’est une ville souterraine, lourde de secrets enfouis qu’arpente un fils… avec comme point nodal, ce « café qui ressemblait à un théâtre » au nom lourd de sens, A la mort subite, nom d’une gueuze qui ne sera pas qu’une bière… mais une « Môme » et une tueuse, Louiza Boorgarden.

Illustration 4
© Michel Castermans

Le roman noir se fait palimpseste, quête de traces d’un passé à jamais perdu. Mais Holden veut comprendre et le récit suit sa traque, dans une ville dense et lourde dont chaque rue, chaque recoin peut révéler un secret, dont chaque nom est un récit potentiel, Taverne du Passage, rue de la Montagne aux Herbes Potagères, A la mort subite, La Tour Noire... « Ce fut la chevauchée de sa vie » : Bruxelles est l’espace du fantasme et du fantastique, comme lorsque Sidney Holden la traverse « sous terre de station en station » dans un tramway « cuivre et gris à la fois qui ressemblait à un scarabée blindé », écho de son propre « cafard ». Ce génie du lieu est doublement célébré par la prose de Charyn et les photographies de Michel Castermans : elles ne sont pas là pour illustrer le récit, elles le doublent, le prolongent, chambres secrètes et passages dérobés, comme les galeries de la ville sont trouées de souvenirs et éclipses du sens.

  • Jerome Charyn, À la mort subite (At the Sudden Death Café), photographies de Michel Castermans, traduit de l'anglais (États-Unis) par Marc Chénetier, Le Castor Astral, « Escales des lettres », 96 p., 12 €
  • Frog (Paradise Man) est disponible en Folio ou au Livre de Poche ; Elseneur (Elsinore) en Folio, tous deux traduits par Marc Chénetier.

Merci au Castor Astral pour les photographies de Michel Castermans accompagnant cet article.

Illustration 5