Agnès Varda : “J’aime l’idée qu’on ne connaîtra jamais l’autre”

Elle expose à Los Angeles, à Paris, restaure les films de Demy et les siens… A 86 ans, la cinéaste et artiste a gardé son goût des autres et sa fantaisie. Agnès Varda est l'invitée de “Télérama” cette semaine.

Publié le 17 juin 2014 à 10h09

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h15

Retrouvez l'entretien intégral dans Télérama, en kiosques mercredi 18 juin 2014.

Si Agnès Varda, 86 ans, aime l’air du temps, il le lui rend bien. Ce printemps, elle exposait aussi à Paris, à la galerie Obadia, un nouveau bouquet d’installations à base de photos, de vidéos et d’objets insolites, glanés de-ci de-là. Et après la reprise en salles de Cléo, en mars dernier, voici celle de Sans toit ni loi, Lion d’or à Venise en 1985, un million d’entrées à l’époque. En attendant, pour l’été, un florilège de ses films tournés en Californie, comme Lions love (… and lies) et Documenteur.

Sans toit ni loi, qui ressort en salles, met en scène une SDF à une époque, les années 80, où ils étaient moins nombreux. Quelle était votre intention ?
Je voulais traiter de la révolte et de ceux qui font la route. J’ai roulé et j’ai marché à travers la France, en allant voir de près les jeunes dans les asiles de nuit et dans les gares. Je me suis aperçue qu’il y avait des filles, aussi ; c’était plutôt nouveau. Certaines rencontres, dont celle d’une jeune femme rebelle, ont nourri le personnage de Mona. J’avais aussi une idée précise de la forme, un portrait de cette fille par ceux qui l’ont vue passer : autant de rencontres entre les treize trajets, en treize travellings, de Mona qui marche. La fin est annoncée au début : cette inconnue est morte. Reste à savoir – un peu – pourquoi et comment. Le succès du film m’a surprise. L’extraordinaire interprétation de Sandrine Bonnaire y est pour beaucoup, mais peut-être aussi le grand froid de l’hiver 1985…

Vous vous êtes éloignée, sans retour, de la fiction après votre fantaisie sur le centenaire du cinéma, Les Cent et Une Nuits, en 1994. Pourquoi ?
Malgré son casting de rêve, de Deneuve à De Niro, le film a été un échec public sans appel qui a déstabilisé notre société de production. Mauvais scénario ou malentendu avec le public ? Chaque fois que j’ai eu un bide avec un film de fiction, comme les gens mécontents, je suis descendue dans la rue pour refaire un documentaire ! Si je n’ai pas d’imagination, alors il y a les autres, dehors. Après mon retour des Etats-Unis avec Lions love (… and lies), rejeté en France, j’ai fait un film sur mes voisins commerçants à Paris, Daguerréotypes. J’ai beaucoup de plaisir à écouter et à regarder les gens dans la rue. Alors que les acteurs professionnels m’intimident…

Ce printemps, vous exposiez à la fois à Los Angeles et à Paris. Etes-vous plasticienne ?
Non, je ne fais pas de plastique ! Je préfère l’expression américaine « visual artist », artiste visuelle. Ça me permet de synthétiser mes trois vies de photographe, de cinéaste et de créatrice d’installations. Accrocher une photographie au mur et projeter à droite et à gauche de la vidéo, c’est un défi. Dans mon premier film, La Pointe courte, il y avait déjà côte à côte deux mondes opposés : celui des pêcheurs et celui de la pauvreté, en style documentaire. Et des images sophistiquées pour le dialogue littéraire entre deux acteurs, Philippe Noiret et Silvia Monfort. Plusieurs regards, plusieurs propositions en même temps, ça ouvre les perspectives. De même, le puzzle géant que je viens d’exposer à Paris, avec des pièces manquantes, renvoie à la construction de Sans toit ni loi. Il manque toujours un élément pour comprendre la révolte de la vagabonde et pourquoi elle est sur la route. Dans la vie, c’est pareil : j’aime l’idée qu’on ne connaîtra jamais l’autre. C’est un constat non pas d’échec, mais de sagesse.

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