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High-Tech

Tim Berners-Lee : "Oui, le Web est né en France...."

INTERVIEW L'inventeur du World Wide Web était à Paris pour les "25 ans" de sa créature. Il évoque en exclusivité la genèse de son invention mais aussi la neutralité du Net et l'affaire Snowden.
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Tim Berners-Lee, l'inventeur du Web
Tim Berners-Lee, l'inventeur du Web
Christophe LEBEDINSKY pour Challenges

Tim Berners-Lee, "l'inventeur du Web",  était vendredi 13 juin l'invité des "25 ans du Web", une conférence placée sous l'égide de Futur en Seine, le "festival de Cannes" du digital en France, et du W3C, organisme non lucratif qu'il a fondé et qui est considéré comme "l'ONU du Web". Naissance du World Wide Web, neutralité du Net, censure du Web et affaire Snowden… Il répond aux questions de Challenges.fr.

Pouvez-vous décrire au lecteur comment s'est passé le jour J, l'heure H et la minute M du moment précis où vous avez inventé le World Wide Web?

(Son regard semble se perdre dans ses souvenirs) Eh bien je descendais un sentier, dans les Alpes suisses… (Silence) A un moment donné, les nuages ont commencé à s'accumuler… Ils se sont assombris… (silence) Tout à coup, un éclair a surgi, un coup de tonnerre a retenti, une tempête a commencé à souffler, les nuages se sont brusquement écartés et là, soudain…

Et là?

Et là, rien ! Je vous raconte n'importe quoi... Une idée, ça ne vient jamais comme ça, on n'est pas soudain frappé par une illumination ou une révélation, tout ce que vous pouvez lire sur la pomme de Newton ou Archimède qui dit soudain "eurêka" dans sa baignoire, ce sont des foutaises ! Une idée, c'est d'abord beaucoup, beaucoup de travail, et l'idée arrive progressivement, elle n'arrive pas dans une fulgurance. Pour le Web, il se trouve que j'avais accumulé des connaissances dans le domaine des réseaux numériques, mais aussi dans celui des imprimantes, ce qui m'a donné un solide bagage dans le domaine des télécoms, mais aussi de la communication, du graphisme, des polices de caractères.... J'imaginais toujours comment faire fonctionner ensemble différents composants d'un réseau, j'y pensais sans cesse, je me posais plein de problèmes et de questions, et un jour, j'ai trouvé une réponse.

Justement, comment s'est passé ce jour-là?

En fait, il se trouve que j'avais écrit le programme Enquire, une base de données interne au Cern qui utilisait déjà les liens hypertexte, mais qui n'était pas reliée à Internet. J'ai eu simplement l'idée d'appliquer au réseau Internet existant cette technique des liens hypertextes.

Oui, mais quand exactement avez-vous eu cette idée?

Si vraiment vous voulez une date alors on peut considérer que l'idée est née avec le mémo que j'ai rédigé à l'époque, en mars 1989, et qui était intitulé : "gestion de l'information: une proposition". Il expliquait comment un système basé sur les liens hypertextes et des ordinateurs connectés entre-eux pouvait aider les chercheurs du Cern à mieux partager leurs informations, et à mieux y accéder. C'est ce mémo qui est aujourd'hui considéré comme la base du Web tel que nous le connaissons.

J'ai vu que vous avez lancé un hashtag sur Twitter, #savetheroom, qui a pour but de sanctuariser et de protéger la salle du bâtiment 31 du Cern, dans laquelle le Web est né…

Oh, ça c'était lors d'une interview… Le journaliste m'a parlé de cette pièce, qui existe encore mais dont personne ne se préoccupe. Puis, le journal a lancé ce hashtag, #savetheroom, pour que les gens qui le souhaitent encouragent le Cern à faire de cette pièce, je ne sais pas… une sorte de lieu privilégié pour les chercheurs. En tout cas ce serait amusant de conserver cette fameuse pièce!

Sur Google Maps, on voit clairement que le bâtiment 31 du Cern se trouve non pas en Suisse, siège de l'institution, mais, à une centaine de mètres près, en France… Le Web est donc né en France ?

Oui, effectivement, j'ai vu cette carte… Oui, on peut dire que le Web est né en France, même si le Cern est en fait une organisation internationale, je crois même qu'elle bénéficie de l'extraterritorialité, du coup, au sein du campus, on n'a évidemment pas besoin de montrer son passeport suisse quand on passe du côté français, et vice-versa…

Le bâtiment 31 du Cern où est né le Web est situé sur le territoire français

Vous avez déclaré que vous aviez choisi d'appeler le Web "World Wide Web" car cette expression était intraduisible en français… Vous avez quelque chose contre les Français ?

Oh non. Pas du tout. Je ne sais pas que journal ou quel site a raconté ça… Vous savez, on trouve beaucoup de contrevérités sur le Web. Non, je ne suis pas du tout anti-français, et vous savez, j'ai écarté d'autres noms pour le Web, comme "The Information Mesh" ("les mailles de l'information"), par exemple, le mot utilisé dans mon mémo, mais j'ai trouvé que "mesh" faisait trop penser à "mess" (désordre NDLR). En outre l'acronyme donnait "TIM", qui  évoquait mon prénom, ce qui était un peu narcissique. C'est pour la même raison aussi que j'ai écarté "MOI " ("mine for information", la mine d'informations, NDLR), puisque ça veut dire "Me" ("Moi", NDLR) en français… Mais ce n'est pas le caractère français de ce mot qui a  fait que je l'ai écarté, c'est uniquement sa signification, trop égocentrée !

Est-ce que vous vous considérez comme un leader moral, philosophique, idéologique ou politique du Web ?

Leader politique? Certainement pas. En revanche, si je peux être un porte-parole de la défense des libertés sur le Web, de la lutte contre la censure, du combat pour la neutralité du Net, alors oui, ça ne me dérange pas d'être considéré comme un des leaders moraux du World Wide Web.

Justement, évoquons la "neutralité du Net", qui est battue en brèche actuellement, puisque les opérateurs cherchent à la remettre en cause. Il faut dire qu'ils trouvent injuste de payer les réseaux, alors que Facebook, Google ou Amazon, quoi accaparent la majorité du trafic sur ces réseaux, ne payent quasiment rien pour l'investissement et l'entretien…

Mais les opérateurs sont tout simplement jaloux de la réussite de Google, Amazon et Facebook, voilà tout ! Internet, c'est comme pour les péages d'autoroute : les camions payent plus cher que les voitures, et c'est normal. Les camions, sur le Net, ce sont les acteurs comme Youtube, Google, etc… Ils payent en fonction du volume de données envoyées sur le réseau, de même que les camions, plus volumineux que les voitures, paient un péage plus élevé. Mais ce que voudraient les opérateurs, c'est qu'on inspecte le contenu des "camions" et qu'on fasse payer plus cher en fonction de la valeur de ce qu'ils contiennent, que ce soit de la musique, des photos, des films… Là, ce serait la fin de la neutralité du Net !

Vous êtes un apôtre déclaré de la liberté d'expression sur le Web: comment avez-vous vécu "l'affaire Snowden", qui a  révélé au monde entier l'ampleur de l'espionnage mené par la NSA ?

Ce qu'a révélé Edward Snowden a rendu un énorme services aux citoyens du monde entier. Et il faut souligner, qu'avant de fuir, il avait tenté d'agir en alertant -en vain- sa hiérarchie de manière tout à fait officielle et légale. Surtout, il a su trouver de bons journalistes pour relayer ses informations, et il faut souligner que la presse doit protéger ces "lanceurs d'alerte", leur médiatisation les protège. Certains Etats cherchent actuellement, soit à bloquer ou interdire Internet, soit au contraire à utiliser ses milliards d'informations pour espionner les citoyens. Je propose que chacun reste vigilant sur ces questions: elles sont essentielles pour l'avenir du Web.

 

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