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Au procès d'un djihadiste né en France, torturé en Egypte, emprisonné au Yémen

Trois prévenus comparaissaient mardi 17 et mercredi 18 juin devant le tribunal de Paris pour « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes ».

Par Matthieu Bidan

Publié le 19 juin 2014 à 17h59, modifié le 20 juin 2014 à 14h26

Temps de Lecture 4 min.

Ibrahim Ouattara et deux autres personnes comparaissaient devant la 13e chambre correctionnelle de Paris (photo d'illustration).

« Ah, j'ai été emprisonné au sultanat d'Oman aussi. » Ibrahim Ouattara n'est plus à un séjour près en prison, au point qu'il se permet d'en oublier. Il a été torturé en Egypte, emprisonné au Yémen, au Mali et en France. Alors qu'il était soumis à un contrôle judiciaire lui interdisant de quitter le territoire français, l'homme de 26 ans a tenté de rejoindre des djihadistes dans le nord du Mali.

Il comparaissait mardi 17 et mercredi 18 juin, avec deux autres personnes, devant la 13e chambre correctionnelle de Paris pour « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes », après avoir été condamné à sept ans d'emprisonnement en mars pour la même qualification. Le procureur a requis six ans d'emprisonnement ferme contre l'aspirant djihadiste et quatre ans contre ses deux coprévenus, Khalifa Dramé et Hakim Soukni.

UN AIR ADOLESCENT

A peine quatre mois après sa libération sous liberté conditionnelle, le 11 juillet 2012, Ibrahim Ouattara se rend au Mali afin de rejoindre les combattants présents dans le nord du pays. Il doit alors servir « d'éclaireur » à Khalifa Dramé et Hakim Soukni.

Pour atteindre son objectif sans se faire remarquer, il échange sa veste et son passeport avec Khalifa, un « frère » rencontré à sa sortie de prison. Il profite de leur ressemblance physique pour tromper les autorités. Il parvient à rejoindre le pays subsaharien et savoure. « Je pensais me faire arrêter à l'aéroport, le reste, c'était du bonus », explique-t-il à la barre au premier jour de l'audience.

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Mais l'euphorie est de courte durée. A peine deux jours plus tard, le 3 novembre 2012, le candidat au djihad est intercepté par la gendarmerie malienne à Sevaré, au centre du pays. Il tentait de rejoindre Tombouctou, la porte d'entrée vers les territoires contrôlés par les djihadistes. Arrêté et conduit en prison pour « intelligence avec les rebelles », il est ensuite remis aux autorités françaises.

Vêtu de son maillot de football blanc, ses cheveux courts et son visage imberbe lui donnent un air adolescent. Né en 1988 à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), son récit est celui d'un parcours chaotique, d'un gosse bringuebalé entre sa mère violente et les foyers.

BESOIN DE S'INVESTIR DANS L'ISLAM À L'EXTRÊME

Ibrahim Ouattara a grandi dans une famille de cinq enfants, sans son père. « Je viens ici depuis l'âge de 2 ans et demi », lance-t-il, faisant référence à son placement en foyer à cause des sévices infligés par sa mère. A 13 ans, il est renvoyé chez elle. Elle le bat à nouveau. Ibrahim Ouattara retourne en foyer et fugue à plusieurs reprises, d'où un suivi éducatif jusqu'à sa majorité.

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A l'âge de 16 ans, il découvre la religion. « J'ai toujours été à la recherche de quelque chose, je faisais des cauchemars, je pleurais. Dans l'islam, il y avait les réponses à toutes mes questions. » La promesse de la rédemption aussi. A l'époque, il commet quelques vols. Le paradis, il ne l'espérait plus.

L'expertise psychologique lors de sa garde à vue décrit une « faille identificatoire majeure », d'où le besoin de s'investir dans l'islam à l'extrême. A la barre, le regard braqué vers la présidente alors qu'il a refusé la défense d'un avocat commis d'office, il ne dit pas autre chose. « Ce sont des bonnes conclusions », abonde-t-il, dans un élan de lucidité sincère.

Sans diplôme, il enchaîne les petits boulots pour vivre. « J'ai tout fait », se gargarise-t-il. Employé dans une sandwicherie, médiateur à la ville de Paris, gardien de musée au centre Pompidou, rien de suspect à l'époque.

« VOUS SAVEZ C'EST QUOI, UN BÉDOUIN ? »

En 2007, Ibrahim Ouattara commence à vouloir émigrer dans « un pays musulman », « un rêve pour chaque musulman ». En Egypte, au Soudan, au Yémen, au Pakistan, en Mauritanie… il enchaîne les rencontres avec des « frères ».

Quand il évoque cette époque, l'audience se transforme en cours de géographie. Avec de grands gestes, il enchaîne les noms de régions et de villes, s'enquiert de l'écoute de la présidente et questionne la cour : « Vous savez c'est quoi, un bédouin ? »

Pour autant, Ibrahim Ouattara explique qu'il n'a jamais combattu. C'est à peine s'il sait manier une kalachnikov, d'après ses dires. A chaque fois, il part pour le djihad armé sans établir de liens préalables avec les réseaux existants. Au Pakistan, c'est ce qui lui vaut d'être renvoyé. « Tu ne peux pas venir comme ça, sans prévenir », lui expliquent les talibans. Un épisode emblématique d'un parcours parsemé d'échecs, d'incohérences.

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Dans sa réquisition, le procureur évoque un « discours très simpliste, peu élaboré ». Là aussi, Ibrahim Ouattara a une réponse surprenante : « J'attends qu'on me prouve que la lutte armée n'est pas la solution. » Il promet d'ailleurs de repartir dès qu'il sera libre.

La prison, il ne la craint plus. « J'ai un toit, je mange bien, j'ai tout ce qu'il me faut », assure-t-il sans une once de second degré. Nourri au fanatisme sur YouTube et sur les forums Internet, Ibrahim Ouattara cherche les réponses et les solutions les plus simples.

Pour lui, la prison est un refuge, le djihad armé aussi. Pourtant, il avait l'occasion de se fixer des nouveaux repères avec son ex-femme et son fils. « Mon ex-femme m'avait dit : “C'est nous ou le djihad.” J'ai fait le choix de partir. »

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