Fouad el-Bathy

Fouad el-Bathy (à g.) a découvert après la fugue de sa soeur préférée qu'elle menait une double vie.

© Collection privée

Fouad el-Bathy a le coeur en miettes. Voilà cinq mois que sa petite soeur Nora, 16 ans, sa "préférée", s'est envolée pour la Syrie sans crier gare. Là-bas, elle a rejoint les bataillons toujours plus fournis de Françaises parties faire leur djihad. Selon les estimations les plus récentes, elles seraient 120 aujourd'hui - prêtes au départ, déjà sur place ou de retour. De très jeunes femmes, parfois mineures comme Nora, qui rompent d'un coup avec une famille aimante et un quotidien paisible. Des filles souvent décrites comme timides, sensibles et altruistes, que les récits de femmes violées et les images d'enfants affamés révulsent.

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"Beaucoup voulaient devenir médecins ou infirmières", observe l'anthropologue Dounia Bouzar, fondatrice du tout nouveau Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam, qui a dévoilé à L'Express son premier rapport. Elles rêvent de protéger les orphelins, d'apporter une aide humanitaire aux frères et aux soeurs syriens. De sauver leur âme, aussi, et celles de leurs proches, car la fin du monde est imminente, jurent-elles, et seuls les élus iront au paradis en emmenant avec eux 70 personnes de leur choix.

Pour l'instant, seuls les hommes sont envoyés au feu

Parmi les 55 familles qui se sont confiées à Dounia Bouzar, la moitié se rongent les sangs pour leurs filles parties en Syrie. C'est sur la Toile, au gré des rencontres virtuelles sur Facebook, voire sur des sites consacrés à la recherche de l'âme soeur, que leur projet a pris forme. "Les réseaux sociaux permettent un processus de radicalisation par interaction et non plus par recrutement, souligne l'islamologue Mathieu Guidère, professeur à l'université de Toulouse II. Des liens se nouent autour d'émotions et d'opinions communes."

Au fil des mois, à l'insu de leurs parents parfois, ces filles nées dans des familles chrétiennes ou tièdement musulmanes se muent en salafistes pures et dures derrière leur ordinateur, sans mettre l'orteil dans une mosquée. Après la fugue de sa soeur, Fouad a découvert que la douce Nora menait une double vie : "Elle avait un deuxième compte Facebook sur lequel elle parlait de faire la hijra [NDLR: aller vivre en terre d'islam], un second portable pour appeler les "soeurs". Avant d'arriver au lycée, elle enfilait un jilbab (robe couvrant le corps des pieds à la tête) et de longs gants."

Aux femmes le repos du moudjahid

Le mariage avec un combattant, avant le départ ou dès l'arrivée, est la condition sine qua non du djihad au féminin. Car la répartition des tâches, guerre sainte ou pas, reste immuable : aux femmes le repos du moudjahid, l'entretien de son matériel et de sa tenue, voire de ceux des frères d'armes célibataires, la charge des orphelins et, parfois, les soins aux blessés ; aux hommes le champ de bataille. "Elles suivent tout de même un entraînement pour apprendre à se défendre et circulent souvent armées", précise le journaliste David Thomson, auteur d'un livre passionnant sur Les Français jihadistes (Les Arènes).

A leur retour, ces jeunes femmes s'exposent à des poursuites pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Deux d'entre elles sont actuellement mises en examen dans le cadre des 57 procédures judiciaires ouvertes en lien avec la Syrie.

Ce n'est peut-être qu'un début. "Nous ne pouvons pas exclure que des femmes, à l'avenir, rejoignent des unités combattantes ou commettent des attentats suicides", confie Gilles de Kerchove, coordinateur de l'Union européenne pour la lutte antiterroriste. Pour l'instant, la justice dispose d'un unique témoignage faisant état de Françaises luttant armes à la main. Pour l'instant.