Le chauffeur du taxi que j’ai pris jeudi dernier était tout excité par le début de la Coupe du monde et remarqua que ce n’était pas mon
cas. Il faut dire qu’il était 7 heures du matin et il n’y a jamais rien qui
m’excite à cette heure-ci. “J’imagine que vous allez vous taper un mois à jouer ‘les veuves de la Coupe du monde’, déclara-t-il. Il va falloir que vous trouviez quoi faire pendant que votre mari est collé à la
télé.”

Je lui aurais bien mis un carton rouge à ce moment-là. J’aurais pu grimper sur le siège passager et lui tacler des deux pieds une
partie délicate de son anatomie, mais, comme je l’ai dit, il était 7 heures du
matin. Je me contentai de pousser un “Peuh!” sarcastique et de faire
semblant de recevoir soudain un message urgent sur mon téléphone, un
rendez-vous avec la manucure peut-être ou un message d’une amie à propos d’un
nouveau rouge à lèvres.Canettes de bière

Plus tard, j’ai souhaité lui avoir dit ceci : ce n’est pas mon
mari qui a fait la queue devant le Camp Nou quand nous étions en vacances à
Barcelone pour avoir des billets pour un match de la Ligue des champions contre
l’Inter de Milan. Non, c’est moi. Je ne lui ai pas dit non plus que mon mari se moque
éperdument du football ni que mon enthousiasme adolescent pour ce sport a été
au fil des années piétiné par des hommes comme lui, qui pensent que, si on
montre une photo d’une équipe de football à une femme, son petit cerveau
délicat va se mettre à surchauffer puis se dérégler complètement.

Je ne lui ai pas dit que la règle du hors-jeu était facile à
comprendre et qu’une chose qu’on peut expliquer avec une salière et une
poivrière n’a rien de sorcier. Inutile : je suis une femme, donc je suis forcément une veuve de la Coupe du monde, destinée à remplir les vides entre
maintenant et le 13 juillet, jour de la finale, en faisant la vaisselle et en
veillant à ce que toutes les canettes de bière soient jetées dans la poubelle à
recycler. J’aurais aimé lui avoir dit ceci : les femmes ne détestent pas le
football, mais le football, lui, déteste bien les femmes.Minishorts

Il y a dix ans seulement, Sepp Blatter, le président de la
FIFA, avait suggéré que les footballeuses portent des minishorts pour attirer
les téléspectateurs. Manchester United n’a toujours pas pris la peine de
constituer une équipe féminine. Sir Alex Ferguson [l’ex-entraîneur du club] a
déclaré en plaisantant, lors d’un entretien en mars 2013, que la directrice de
la communication du club avait réussi à “sortir de la cuisine” – et c’était justement la Journée internationale de la femme. Si Amy Fearn est
devenue la première femme à arbitrer une rencontre de la Coupe d’Angleterre en
novembre dernier, cela n’est pas allé sans mal. Il suffit d’écouter les commentaires de
l’entraîneur de Luton Town en 2006, alors qu’on lui demandait ce qu’il pensait
du fait qu’elle officie lors d’un match : “Elle ne devrait pas être là. Je sais que ça fait sexiste, mais je suis
sexiste. C’est pas du football de jardin, les bonnes femmes n’ont rien à y
faire.”

Voilà ce qu’on entend, de Luton Town au Paris Saint-Germain, dont
Laurent Blanc, l’entraîneur, a récemment demandé à Johanna Frändén, du
quotidien suédois Aftonbladet, si elle comprenait bien les règles du jeu. La
journaliste a déclaré que ces propos étaient “loin d’être les plus
monstrueux ou choquants” qu’elle ait entendus et qu’ils reflétaient “un secteur où les interviews sont menées par des hommes avec des hommes depuis
la nuit des temps – et où les femmes sont toujours des éléments exotiques au
sein de la grande famille masculine du football”.Poupées Barbie

Si on est convaincu que la Coupe du monde est une fête du
football qui s’adresse à tout le monde, il n’est tout simplement pas correct
d’ignorer la moitié de la population. “On n’espère pas grand chose”,
avait déclaré Gary Lineker avant le match de samedi contre l’Italie, en oubliant
de préciser que, six heures auparavant, les Anglaises avaient battu les
Biélorusses par 3 à 0 et conservé ainsi leur record de 100% de victoires dans
les qualifications pour la Coupe du monde.

Bien entendu il n’est pas juste de dire que les femmes ne sont
pas représentées dans le football. Elles sont représentées – par les WAGS
[femmes et copines des joueurs] et par ces présentatrices de Sky Sports qui
ressemblent à des poupées Barbie. Ces femmes ne connaissent peut-être pas grand-chose au football, mais vous pouvez parier qu’elles
n’ont pas été choisies pour leur capacité d’analyse du taux de passes décisives d’Andrea
Pirlo dans les trente derniers mètres.

La Fifa avait choisi le mannequin brésilien Fernanda Lima pour
procéder au tirage au sort des groupes de la Coupe du monde et on a annoncé
hier que ce serait le supermodèle Gisele Bündchen qui remettrait le trophée au
vainqueur. Aucune mention de la Brésilienne Marta Vieira da Silva qui est connue
pour être la meilleure footballeuse au monde. Eh oui, voilà comment le “beau jeu” voit le beau sexe : comme un bel ornement qu’on regarde
avec concupiscence mais qu’il ne faut surtout pas prendre au sérieux. Il n’est
pas étonnant que nous soyons si nombreuses à finir par lui donner un carton
rouge.