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Comment la France est en train de tuer le TGV

Le moteur traditionnel des profits de la SNCF est en voie d’asphyxie, pris dans une spirale mortifère qui est paradoxalement née de l’engouement qu’il suscite.

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Le TGV, moteur traditionnel des profits de la SNCF, est en voie d’asphyxie

Par Lionel Steinmann

Publié le 21 juin 2014 à 09:45

Guillaume Pepy peut souffler. Après dix jours de grève et 160 millions de pertes, le trafic est en passe de redevenir normal à la SNCF. Maintenant que l’écueil de la réforme ferroviaire est franchi, le président de l’entreprise publique va pouvoir se pencher à nouveau sur son principal problème : le déclin du TGV. Le moteur traditionnel des profits de la SNCF est en effet en voie d’asphyxie, pris dans une spirale mortifère qui est paradoxalement née de l’engouement qu’il suscite.

A première vue, pourtant, le TGV paraît invulnérable, car depuis son lancement en 1981 entre Paris et Lyon, il est devenu bien plus qu’un moyen de transport : l’incarnation de la modernité et de la technologie au service du public, bref un symbole de ce que le pays peut produire de meilleur. « Le TGV, c’est la France ! », s’est exclamé Nicolas Sarkozy en inaugurant la ligne Rhin-Rhône en 2011. Les clients suivent­, en tout cas jusqu’à récemment : début 2013, la SNCF célébrait le cap des 2 milliards de passagers transportés.

Cette popularité a une conséquence que la compagnie ferroviaire a tout d’abord jugée flatteuse : qu’ils soient maires ou présidents de région, la plupart des élus se démènent pour voir passer sur leurs terres le fleuron de la SNCF. « Si tu n’as pas ta gare TGV à cinquante ans, c’est que tu as raté ta vie politique », résume avec ironie un expert du secteur. Quitte à faire circuler le train sur le réseau classique, à une vitesse guère supérieure à celle d’un train régional. Résultat, le TGV dessert près de 230 villes, alors que l’ICE, son homologue en Allemagne se limite à 40 ! Dans bien des cas, une desserte par TER (qui coûte 3 fois moins cher à l’achat) serait plus pertinente, mais les collectivités concernées vivent cette perspective comme un déclassement inadmissible.

Le principal problème vient toutefois de la construction de lignes dédiées à la très grande vitesse, qui s’est peu à peu affranchie de toute rationalité économique. Le coût du kilomètre de voie TGV oscillant de 8 à 66 millions d’euros, faire circuler des trains à 300 kilomètres-heure n’est rentable que pour relier des métropoles densément peuplées, soit une poignée de destinations en France. Mais les pouvoirs publics ont longtemps prôné l’extension du réseau pour contenter les édiles locaux et soutenir l’activité du BTP. L’apogée de cette politique a été le lancement par Nicolas Sarkozy en 2009 de 4 chantiers simultanés de lignes à grande vitesse pour réduire les temps de parcours sur Paris-Strasbourg, Paris-Bordeaux, Paris-Rennes et Paris-Montpellier. Avec un coût de 7,8 milliards d’euros pour le seul tronçon Tours-Bordeaux.

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Cette illusion du « TGV pour tous » est d’autant plus tentante que l’essentiel de la facture n’est pas supporté directement par le budget de l’Etat, mais par Réseau Ferré de France (RFF), l’établissement public chargé de l’entretien des voies. « Or la dette de RFF n’est pas comptabilisée dans les critères de Maastricht, déplore un cadre dirigeant du secteur. A court terme, cette politique paraît donc indolore. »

Mais pas à long terme. RFF traîne aujourd’hui une dette de 33 milliards d’euros, qui a encore augmenté de 2,2 milliards l’an dernier. « Les lignes à grande vitesse sont un joujou français qui ne fonctionne qu’en dégradant les comptes de la SNCF et en endettant RFF », résume le député PS Gilles Savary, spécialiste du ferroviaire.

Car, pour tenter de faire face à ses créances, l’établissement public a mis le turbo sur sa source de revenus principale : les péages acquittés par la SNCF pour faire circuler les TGV. Ceux-ci ont augmenté de 7,5 % par an en moyenne et représentent désormais 37 % du prix du billet. Soit 18 euros en moyenne par passager.

Et ces augmentations ont pour partie été répercutées par la SNCF dans le prix du billet. Cela n’a pas suffi pour enrayer le déclin de la marge opérationnelle de l’activité TGV (qui est passée de 14 % en 2011 à 11,4 % l’an dernier), ni à éviter qu’un tiers des liaisons soient désormais déficitaires, mais cela contribue à ancrer dans l’esprit de l’opinion que le TGV est devenu cher, trop cher.

De nouveaux concurrents, les compagnies aériennes low cost et les sites de covoiturage, tendent à renforcer cette impression. Résultat, le nombre de clients des TGV en France a reculé deux années de suite, en 2012 et 2013, ce qui ne s’était jamais vu, et la tendance ne semble pas s’inverser au premier semestre 2014, même si on fait abstraction de l’impact de la grève. Et voilà comment l’engouement pour le TGV, en suscitant une extension irraisonnée du réseau, revient in fine à tuer celui-ci à petit feu en faisant fuir les clients !

Pour éviter une aggravation de la dette ferroviaire à l’avenir, Gilles Savary, qui était le rapporteur du projet de loi sur la réforme, a fait adopter la semaine dernière un amendement qui interdirait désormais pour la construction de lignes nouvelles d’exiger de SNCF Réseau (appelé à remplacer RFF) des financements qui ne pourraient pas lui être remboursés. La SNCF, de son côté, se démène pour redonner un peu d’air au TGV dès aujourd’hui, en faisant des gains de productivité. « Si l’on exclut les péages, les coûts sont en baisse », explique un cadre. Des efforts louables, mais insuffisants. Pour la direction de la SNCF, la solution passe par une remise à plat du financement du système ferro­viaire, qui ne devrait plus être supporté pour l’essentiel par le TGV. Mais, alors, qui paiera ? Pas sûr que les pouvoirs publics soient prêts à s’engager dans cette voie, quitte à laisser le TGV péricliter.

Lionel Steinmann

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