Angelin Preljocaj, annulé à Montpellier Danse : “Je ne suis plus solidaire de leur mode d'action”

Pour la deuxième soirée consécutive, à Montpellier Danse, le spectacle d'Angelin Preljocaj a été bloqué par les intermittents en lutte. Le chorégraphe dit respecter la grève, mais regrette le blocage, “un acte désespéré”.'

Par Emmanuelle Bouchez

Publié le 24 juin 2014 à 13h36

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h16

On le savait, le week-end qui devait lancer le Festival Montpellier Danse était « stratégique ». Pour tout le monde. Pour tous les directeurs de festival qui attendaient de voir comment l'un des grands festivals de danse, très ancré dans le public local allait s'en sortir. Pour les intermittents en lutte qui devaient continuer à se faire entendre et préciser leurs modes d'action dans la foulée du Printemps des comédiens où la grève sera votée jour après jour jusqu'à fin juin, alors qu' il s'agissait seulement, à l'origine, de frapper fort à l'ouverture... Enfin, tous avaient en tête l'été 2003, où Montpellier avait été le premier festival à « tomber » au champ d'honneur...

A la différence du Festival de danse de Marseille où, après l'annulation de la première soirée jeudi dernier – la grève est votée lieu par lieu par le personnel intermittent seulement – l'issue des urnes est a priori respectée, les intermittents de Montpellier (la coordination des intermittents et précaires en tête) ont pris le chemin de la radicalisation.

Résumé des faits : samedi soir, vote à bulletins secrets avec liste d'émargement du personnel sous contrat le jour d'ouverture (permanents et intermittents, techniciens, administratifs et artistes). Malgré 67 votes contre la grève sur 118 suffrages exprimés, malgré des heures de discussions avec Angelin Preljocaj – le chorégraphe du Pavillon Noir d'Aix-en-Provence chargé d'ouvrir le bal – sur les modalités d'expression des intermittents sur le plateau, le spectacle n'a pas eu lieu. Et le public du Théâtre de l'Agora a vu entrer sur la scène 200 personnes recueillies et silencieuses à la place des danseurs. La CGT-spectacle a justifié après-coup à l'AFP cette action en disant que les techniciens avaient été empêchés de voter. C'est faire peu de cas de la liste d'émargement. Et de la démocratie aussi ! Les salariés du festival, tout en soutenant le combat des intermittents, voient avec dépit le festival ainsi approprié par d'autres et n'ont donc pas jugé nécessaires d'autres scrutins. Une erreur, peut-être...

Du coup, hier mardi au soir, si Sharon Eyal, grande chorégraphe israélienne, a pu jouer à 18h et 22h, Angelin Preljocaj a encore fait les frais de la contestation du nouvel accord de l'Unedic. Est-ce parce qu'il est un chorégraphe en vue, directeur du Centre chorégraphe national d'Aix-en-Provence ? Est-ce parce que le Théâtre de l'Agora est le cœur battant du festival ? Lui qui, hier, déclarait pourtant vouloir une réforme juste et rendait hommage à ce système qui lui « avait permis d'être là où il est aujourd'hui », a assisté hier, au blocage de sa dernière création, Empty Moves, Parts I, II, III... D'une manière plus violente : les « intermittents » avaient déjà envahi le plateau avant l'arrivée du public qui, cette fois, n' a pas pu entrer. Au lieu du face-à-face de dimanche soir, emprunt de gravité, les témoins présents rapportent que des spectateurs se sont trouvés pris à partie.

Joint ce matin, Angelin Preljocaj ne cache pas sa profonde tristesse. « Je suis allé aux AG des comités de Montpellier, je leur ai proposé des modes d'action, parfois très choc, je leur ai proposé d'annuler la première soirée (même si c'est un mode d'action auquel je ne crois pas), s'ils pouvaient me garantir la tranquillité des représentations suivantes. Ils n'ont pas pu le faire. Dans ces conditions, je ne suis plus solidaire. Je respecte la grève. Si elle est votée, je ne la discute pas. Mais le blocage est pour moi un acte désespéré. Jouer c'est vital : le meilleur moyen de défendre ce que nous sommes. J'entends bien aujourd'hui que ces militants défendent tous les précaires, mais il y a d'autres cibles que notre secteur de l'art et de la culture, par ailleurs si fragile, où de surcroit, tout le monde est solidaire. Nous ne sommes pas leurs ennemis ! Aujourd'hui, on navigue dans le brouillard. On croit qu'un geste est fort, et il est pris à l'inverse. On croit que le dialogue a lieu, et la prise de parole se retourne contre vous. Comment retisser les choses ? C'est un combat de tous les jours. Un combat désespéré pour tous. Pour eux comme pour moi. Je suis comme Pascal, optimiste côté cœur et pessimiste côté raison. Néanmoins, toute l'équipe se lève le matin pour répéter. »

Ironie du sort, la création du spectacle aura peut-être lieu en Caroline du Nord, à l'American Dance Festival, en juillet prochain... si la compagnie ne peut pas jouer à Montpellier. Dernières chances ce soir ou demain, car jeudi 26 est un jour de mobilisation générale.

(1) A Marseille, le Théâtre de La Minoterie a voté la grève pour les spectacles de Robyn Orlin hier et aujourd'hui, et pour celui de William Kentridge, du 28 au 30 juin prochains. Le spectacle de Saburo Teshigawara au Silo, est annulé le 26 juin, mais pas le 27.

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