La commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale, que l’Europe et le monde ont décidé de nous offrir en cadeau ce 28 juin, n’est qu’une farce. C’est une expression du cynisme de l’Europe, une manière de laver sa conscience, car elle y a trahi et piétiné ses propres valeurs comme jamais. C’est en effet en Bosnie-Herzégovine qu’elle a abandonné l’idée de la société citoyenne, des droits de l’homme, de la pluralité des confessions et du multiculturalisme au profit du principe ethnique.

Sarajevo est aujourd’hui une ville où les plus importantes institutions culturelles, celles qui ont survécu à trois guerres et à trois Etats, mettent la clé sous la porte. C’est une ville où meurent des musées qui pourraient faire la fierté du monde, ainsi que sa bibliothèque nationale, malgré la restauration spectaculaire de l’ancien bâtiment, rénové grâce à l’argent venu de l’étranger. A Sarajevo, on répartit les archives nationales selon le principe ethnique, on jette à la poubelle les films de la cinémathèque, l’université n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été – on achètera bientôt les diplômes au marché – tandis que le savoir et les compétences font l’objet de moqueries de la part des nouveaux riches.

Les jeunes diplômés sont plus nombreux à quitter aujourd’hui Sarajevo que pendant la guerre ou dans l’immédiat après-guerre. C’est une ville où l’on a enterré des géants industriels connus internationalement, où les charognards se battent pour les miettes qui restent. La sélection négative y est devenue la loi. On n’y respecte guère les feux rouges, bientôt la carte d’identité ne sera plus valable dans l’autre “coin” de l’Etat, ce qui est déjà le cas avec la carte de l’assurance-maladie.

Gavrilo Princip, héros ou terroriste ?

Et voilà que “l’Europe” a choisi Sarajevo pour faire l’éloge d’elle-même, de ses victoires et de ses idéaux, qui ne signifient pas grand-chose sortis de cérémonies solennelles. Elle y vient répéter tel un perroquet le serment régulièrement bafoué : “Plus jamais ça”, et envoyer à la “jeune génération” un message sur les valeurs morales et culturelles qui sont désavouées quotidiennement chez nous. Et, bien évidemment, vanter sa grandeur historique dans la lutte contre les “maux planétaires”.

Comble de tout cela, on nous a jeté un os pour alimenter un peu plus nos querelles et nos guerres permanentes. Gavrilo Princip, l’assassin de l’archiduc François-Ferdinand, était-il un héros ou un terroriste ? Question capitale cent ans après les faits ? Tu parles ! Nous n’arrivons même pas à nous déterminer sur des choses bien plus importantes qui nous rongent depuis vingt ans.

La commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale aurait pu être une affaire digne si elle était restée dans un cadre mémoriel décent. Il est évident que celle qui est en train de se transformer en bras de fer local au sujet de Gavrilo Princip est vouée à l’échec. Pis, elle risque de rallumer les passions qui ne se sont jamais éteintes. Dans un tel contexte, comment peut-on aujourd’hui célébrer à Sarajevo les valeurs de paix, de tolérance, de coexistence, celles de l’humanisme et de l’Europe ? Surtout en présence d’hommes politiques qui n’ont pas appris grand-chose des erreurs commises en Bosnie-Herzégovine et qui, chez eux, ont ouvert la porte à une droite peinte de toutes les couleurs, porteuse de promesses douteuses.