Les téléphones d'aujourd'hui ressemblent davantage à des ordinateurs : la capacité de stockage et la connexion à Internet des smartphones en ont fait les dépositaires d'une grande partie de notre intimité.
C'est ce changement technologique et social qu'a pris en compte, mercredi 25 juin, la Cour suprême des Etats-Unis, avec un jugement qui fera date dans la protection des droits des individus à l'ère numérique. La Cour a en effet jugé que les forces de police n'avaient pas le droit de faire des recherches dans le contenu du téléphone d'un suspect interpellé sans autorisation préalable d'un juge.
La question que devait trancher la Cour était de savoir si la police a le droit de faire avec les téléphones ce qu'elle fait déjà avec d'autres effets personnels à proximité d'un individu interpellé, à savoir une recherche sans mandat, passant outre le quatrième amendement de la Constitution, qui protège la vie privée.
Les smartphones, « pas seulement une avancée technologique »
Une telle recherche sans mandat est justifiée par deux impératifs principaux : la sécurité immédiate des forces de l'ordre qui procèdent à l'arrestation, et empêcher la destruction de preuve. La Cour a estimé que ces deux arguments ne s'appliquaient pas de manière systématique aux données d'un téléphone moderne, « qu'un visiteur de Mars pourrait croire faire partie de l'anatomie humaine », écrit la Cour.
Dans l'explication de sa décision, prise à l'unanimité, le juge John Roberts prend au nom de la Cour pleinement en compte la mutation numérique des individus :
« Les téléphones modernes ne sont pas seulement une avancée technologique. Avec tout ce qu'ils contiennent et tout ce qu'ils révèlent, ils détiennent pour beaucoup d'Américains “les secrets d'une vie” [“privacies of life”, expression empruntée à une décision fondatrice sur la vie privée de la Cour suprême datant de 1886]. Le fait que la technologie permette à un individu de transporter autant d'informations ne rend pas ces dernières moins méritantes de la protection pour laquelle nos pères fondateurs se sont battus. Notre réponse à la question de savoir ce que la police doit faire avant de fouiller un téléphone est donc simple : demandez un mandat. »
Selon lui, les smartphones ne méritent même plus l'appellation « téléphone » :
« [Dans le cas des appareils modernes, le] terme “téléphone portable” prête à confusion. Ce sont en réalité des mini-ordinateurs qui peuvent être utilisés comme téléphones. Ils pourraient tout aussi bien s'appeler appareils photo, lecteurs vidéo, Rolodex [carnet d'adresses rotatif], calendriers, enregistreurs audio, bibliothèques, journaux intimes, albums, télévisions, cartes ou journaux. »
« La vie privée a un prix »
L'une des deux affaires ayant abouti à la décision de la Cour était celle d'un homme, David Riley, interpellé en 2009 pour une plaque d'immatriculation expirée. Les policiers, découvrant deux armes dans son coffre, avaient fouillé son téléphone et trouvé les preuves d'une implication dans un gang de sa ville et dans une fusillade intervenue quelques semaines plus tôt. L'autre affaire concerne un homme interpellé en 2007, dont l'historique d'appels avait été fouillé par la police, menant à son inculpation.
La Cour rappelle que cette obligation de mandat n'est pas une loi d'airain, et qu'une fouille sans mandat peut, dans certains cas précis, se justifier. Par ailleurs, elle reconnaît que cela pourra rendre les enquêtes de police plus fastidieuses, mais ajoute : « La vie privée a un prix. »
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