Billet de blog 25 juin 2014

Les invités de Mediapart (avatar)

Les invités de Mediapart

Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.

Abonné·e de Mediapart

Si la gauche veut renaître

Saïd Benmouffok, professeur de philosophie et conseiller municipal socialiste à Mantes-la-Ville (Yvelines), répond au premier ministre, Manuel Valls : la gauche est déjà morte. « Plus personne ne sait où la gauche veut nous mener, ni où elle devrait aller. Nous avons perdu le sens de l’agir en commun. Nous ne savons plus quoi faire ensemble...»

Les invités de Mediapart (avatar)

Les invités de Mediapart

Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Saïd Benmouffok, professeur de philosophie et conseiller municipal socialiste à Mantes-la-Ville (Yvelines), répond au premier ministre, Manuel Valls : la gauche est déjà morte. « Plus personne ne sait où la gauche veut nous mener, ni où elle devrait aller. Nous avons perdu le sens de l’agir en commun. Nous ne savons plus quoi faire ensemble...»



Manuel Valls a tort. La gauche n'est pas menacée de disparition, elle est déjà morte. En effet, si la mort est définie comme la séparation de l'esprit et du corps, alors la gauche a disparu depuis bien longtemps. Certes, en guise de corps il lui reste des troupes militantes et électorales, aujourd’hui sévèrement diminuées, et qui étaient capables jusqu’en 2012 de gagner des élections. Mais son esprit n'est plus qu'une somme de souvenirs et d’idées entretenues dont la vivacité s'estompe un peu plus chaque jour. Cependant, la gauche, comme les amours mortes, n’en finit pas de mourir, et son fantôme pourrait faire illusion encore quelques temps sur la triste scène politique. Le seul problème est de savoir si elle pourra renaître de ses cendres.

L’achèvement de deux siècles d’histoire

Depuis la Révolution française, la gauche a toujours été porteuse d’une ambition : le projet d’une société juste et harmonieuse, dans laquelle l’homme se conduirait non plus comme un prédateur, mais comme un humain envers son prochain. Il fut un temps où des âmes fortes trouvaient un sens à sacrifier leur vie pour cette cause. Ce fut au commencement le combat des révolutionnaires contre l'Ancien Régime. Au XIXe siècle, la gauche porta le flambeau des libertés individuelles contre l'Etat autocratique. Puis avec l'avènement du socialisme, ce fut la lutte pour l'émancipation du genre humain contre le capitalisme. Cette ambition a pu justifier le pire dans l’histoire moderne. Mais elle a aussi porté le meilleur. Il existait des querelles sur les moyens politiques: réforme ou révolution? Avec l'Etat ou la société? Dans les institutions ou en dehors? Mais l'horizon historique était alors le même pour tous. Et la foi en l'émancipation humaine unissait les hommes de gauche comme des frères d'arme.

En 1936, le Front populaire était habité par cet esprit, même s'il s'est vite écrasé, comme dans les années vingt, sur « le mur de l'argent ». En 1981, le peuple de gauche voulait encore y croire. Changer la vie, c’était en finir avec ce monde du capital qui corrompt les hommes. En 2012, le candidat socialiste emporta la faveur de son camp lors d’un discours désignant le monde de la finance comme son adversaire. Preuve s’il en fallait que les étoiles continuent de briller pour les hommes longtemps après avoir cessé d'être. Personne ne croit aujourd’hui qu'on changera la vie, mais on a au moins changé de président.

Durant deux siècles, des hommes ont pensé qu’un autre monde était possible. De cette foi inébranlable, il ne reste que des icônes et des discours qui font encore vibrer les cœurs. Le peuple de gauche, lui existe toujours, nostalgique et orphelin de ce temps où la politique donnait un sens à la vie, et où la vie donnait un sens à la politique.

Nous ne savons plus pour quoi nous battre

 « L’homme est un animal qui a besoin de sens », disait Nietzsche. Justement, la raison d’être d’un projet politique est de conduire les hommes dans l’ici-bas. Comme une « religion laïque », son rôle est d’expliquer pourquoi nous sommes ensemble, et ce que nous pouvons faire en commun. Il doit donner des raisons de se battre, donc désigner des amis et des adversaires. Il doit dire ce qui ne va pas dans ce monde, et ce qu’on doit faire pour construire un monde meilleur. Or, plus personne ne sait où la gauche veut nous mener, ni où elle devrait aller. Nous avons perdu le sens de l’agir en commun. Nous ne savons plus quoi faire ensemble.

Il ne s’agit pas « d’avoir des idées », comme on le dit souvent. C’est quand on n'a plus d'esprit qu’on se cherche des idées. On fait alors comme les partis d’aujourd’hui : on dresse une liste de trucs plus ou moins crédibles à proposer aux électeurs dans l’espoir d’attirer leurs suffrages. Ce qui nous manque, c’est la réponse à la question du sens : Pourquoi sommes-nous ici ? Quelle est notre place dans cette histoire qui a commencé il y a plus de deux siècles ? Vers où devons-nous aller ?

Or, un parti est une organisation au service d'un idéal politique. Si son idéal a disparu, le parti n'a plus de raison d'être. Il n'est plus qu'un rassemblement d’intérêts destiné à gagner des scrutins pour se partager des sièges.

Le populisme est seul à faire sens

Comment s’étonner alors de la montée croissante du populisme en France ? Le Front national est le seul camp politique à offrir du sens aux électeurs.

Il donne à comprendre pourquoi les choses vont mal selon lui : la mondialisation et l’immigration. Et il propose des réponses claires : souveraineté économique, rétablissement de frontières nettes et rassurantes, et retour à l’identité française traditionnelle. Le populisme présente au peuple une raison d’être ensemble : la France serait une communauté de destin que les partis de gouvernement, renvoyés dos à dos, auraient voulu dissoudre par le haut (dans l’Europe) et par le bas (avec l’immigration). Dès lors, il s’agirait de retrouver les frontières historiques (et presque naturelles) de la France réelle. Le tour de force est même poussé jusqu’à la captation de valeurs identifiées à gauche : démocratie directe, antilibéralisme, laïcité.

Crédible ou démagogique, dangereux ou illusoire, ce discours fait sens, et comme on l’a constaté dans le désastre des élections européennes, personne ne sait aujourd’hui lui trouver de parade.

Vers une Renaissance ?

C’est un travail idéologique de fond qui attend la gauche, au-delà du sort électoral du Parti socialiste ou du Front de gauche.

De ce point de vue, on entend régulièrement des appels à une conversion au prétendu réalisme politique et économique, sur le modèle du SPD allemand avec son programme de Bad Godesberg. Or le problème actuel de la gauche est exactement le contraire : il n’est pas question de se convertir au réel (ce qui est fait depuis 30 ans dans la pratique), mais de retrouver un idéal qui s’appuie sur une solide lecture de ce réel, et nous redonne un horizon pour le transformer. La question est de savoir si l’on peut encore toucher aux fondements mêmes de notre société, et si oui, lesquels.

On constatera ici l’état embryonnaire de la pensée à gauche, et notamment au Parti socialiste sur le sujet. Les différents think tanks ou autres groupes associant le terme de gauche à une épithète valorisante (gauche forte, gauche populaire, gauche durable, ou Terra Nova…) apparaissent plus comme des écuries électorales que comme des tentatives sérieuses de refondation.

C’est donc au commencement qu’il faut situer la réflexion collective. La gauche pourrait renaître de ses cendres, en étant ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. Or, si elle a été depuis deux siècles le parti de l’émancipation, ce n’est rien moins qu’une nouvelle pensée de l’émancipation qu’il s’agit d’inventer.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.