Billet de blog 27 juin 2014

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Combien valent 20 années de calvaire fiscal ?

Dans une « lettre ouverte » à l’inspecteur des finances qui supervise les poursuites fiscales engagées contre lui, Gérard Colé, qui a longtemps conduit avec Jacques Pilhan la communication politique de François Mitterrand avant de devenir le patron de la Française des jeux, raconte comment l’administration des impôts le « harcèle », le « pénalise », « l’empêche de vivre » depuis plus de vingt ans. Ce pourquoi il demande réparation.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans une « lettre ouverte » à l’inspecteur des finances qui supervise les poursuites fiscales engagées contre lui, Gérard Colé, qui a longtemps conduit avec Jacques Pilhan la communication politique de François Mitterrand avant de devenir le patron de la Française des jeux, raconte comment l’administration des impôts le « harcèle », le « pénalise », « l’empêche de vivre » depuis plus de vingt ans. Ce pourquoi il demande réparation.


Monsieur l’Inspecteur des finances (publiques !),

Dans le présent courrier, en réponse au commandement que vous me faites, ne voyez rien de personnel : c’est au Corps que je m’adresse, en lettre ouverte.

Ceux qui vous gouvernent, vous et moi, sont le Corps.

Vous me faites ce commandement sans savoir, et votre administration est aveugle.

Je dois donc vous éclairer. En commençant par le commencement. 

En 1984, lorsque François Mitterrand me rappelle auprès de lui, le budget de fonctionnement de la présidence de la République (PR) est de l’ordre de 20 millions de francs par an, soit l’équivalent de 3 millions d’euros. Ce budget est, depuis l’avènement de la Ve République, un faux budget puisqu’il masque l’affectation de l’essentiel de ses dépenses : au sommet de l’Etat, on bricole en grand la comptabilité. Pour évoquer la chose, dans les hautes sphères, on s’exprime autrement. On dit : c’est l’usage. En prononçant ainsi : c’est l’usaaage.

Tout le monde ferme les yeux, y compris l’Inspection des finances.

Ce budget est aujourd’hui 40 fois supérieur ! Quarante fois, vous comprenez ?

Ces chiffres, officiels, signifient que la Présidence s’est vue progressivement dotée  de moyens qui approchent de la vérité.

A l’époque maison militaire, les 9/10e des membres du personnel de l’Elysée sont sous contrat du ministère de la défense. Puisque la Présidence n’a pas de cassette, elle se fait entretenir principalement par les Armées, et accessoirement par d’autres ministères.

Ceci est largement connu. C’est l’usage. 

Pour s’entourer, se constituer un cabinet, le chef de l’Etat commence donc par piocher dans les ministères (et d’abord dans le Corps de l’Inspection des finances, la crème de la crème), et/ou les préfectures et/ou les ambassades tous les hauts fonctionnaires qu’il y a repérés et qu’il souhaite mettre à son service. Ils resteront rémunérés par leur Corps d’origine, tout en travaillant exclusivement pour le Président.

Ce recrutement par la pratique du détachement est la première forme d’irrégularité, constituant le délit pénal d’emploi fictif et/ou d’abus de bien social.

C’est l’usage.

Quant à la compensation des horaires très élargis, elle viendra sous forme de primes de cabinet, versées en liquide et « en douce », en billets de 500 francs remis par le dircab en mains propres dans des enveloppes plus ou moins pleines en fonction du tarif défini par le Président. Fonds secrets, dits spéciaux. Entendre non fiscalisés.

C’est l’usage.

Au sens strict, la constitution du délit de fraude fiscale est manifeste, constante, pour tous les cabinets. (Y compris pour les inspecteurs de finances ? Y compris). 

Lorsque dans sa fantaisie, le PR veut s’adjoindre en plus des personnes de la société civile, il donne ou fait donner l’ordre qu’elles soient prises en charge par des établissements publics ou par des sociétés dont l’Etat est actionnaire. Ainsi, les présidents (dont beaucoup sont inspecteurs des finances) de la Caisse des Dépôts, de la SNCF, d’Air France, d’EDF, etc, etc, (autant dire toutes !) se voient affublés de collaborateurs qu’ils ne verront peut-être jamais, mais qu’ils s’engagent à faire rémunérer par les entités qu’ils président. Ils le font pour « rendre service », ce qui bétonne leur place de rouage du système.

C’est l’usage.

Ce recrutement par prise en charge est la deuxième forme d’irrégularité constituant de fait le délit pénal d’emplois fictifs et/ou d’abus de bien social. (Y compris pour les inspecteurs des finances ? Y compris). 

Puis arrive un moment, lorsque ces extravagances au regard du Droit et de la Morale ont atteint leurs limites et que le PR est mécontent de ne pas disposer auprès de lui de toutes les compétences, arrive un moment où il décide de recruter, tout en sachant qu’il n’en a pas les moyens. Voilà la 3e forme d’irrégularité, celle qui me concerne.

Ainsi, au printemps 1984, lorsque le PR, que j’avais quitté sitôt passée son élection, me rappelle pour l’aider à récupérer les 30 points d’opinion perdus, il me dit sans émotion aucune en abordant le « comment » chapitre fric : « …voyez Colliard… ».

Je vois Colliard, son dircab.

« – Tu as toujours ta petite société ? me demanda Colliard.

« – Oui, mais elle est en sommeil !

« – Pas la peine de la réveiller, c’est le papier à en-tête qui nous intéresse. Voilà ce que tu vas faire : tous les trois mois, tu vas adresser sous double enveloppe une facture d’honoraires à la société Carat pour un montant de…combien il te faut ?

« – Il me faut quinze mille (francs soit 2.300 €).

« – Bon alors disons tous les trois mois quarante-cinq mille d’honoraires.

« Ben voilà, c’est réglé ! Evidemment, tu n’en parles à personne. »*

Les conséquences de cette injonction nous ramènent à aujourd’hui.

Par recommandé daté du 13 courant, vous me sommez de verser sous huitaine à votre office la somme extravagante de 1.028.712,67 euros (plus d’un million !) au titre de l’imposition sur mes revenus des années 1986-1993, en plus des 352.802,05 que votre administration a déjà capté à ce titre sur mes avoirs.

Cela fait plus de 20 ans, Monsieur, que votre administration me harcèle, me pénalise, vide mon compte bancaire, capte jusqu’à mes modestes héritages.

Et d’une certaine façon m’empêche de vivre, au point de me valoir un infarctus (dû au stress), un cancer de la peau, un divorce et la saisie de mon seul bien, ma résidence principale. Et j’ajoute les débours considérables versés aux avocats fiscalistes.

Et ça n’est, hélas, sans doute pas fini !

Pour quelles raisons ?

Une même explication a été émise par deux avocats pénalistes réputés selon laquelle, n’étant pas du Corps, j’ai « volé » le poste de PDG de la Société nationale de jeux et loteries « normalement » attribué à un inspecteur des finances. Pire, j’ai osé la transformer en Française des Jeux, avec la réussite que l’on sait. Selon eux, il s’agirait d’une vengeance du Corps qui, non content d’avoir fait rédiger (par des inspecteurs des finances ?) un rapport « accablant » (mais tout entier au conditionnel !) sur ma gestion, a en plus déclenché contre moi une enquête pénale… dont il ne reste rien.

Ces deux grands spécialistes ont eu, sans le savoir, exactement les mêmes mots : « “Ils” vont vous rater au pénal, “ils” vous tueront au fiscal. »

Alors, qu’ai-je fait ?

C’est clair. Je n’ai pas respecté la coutume, celle de ceux qui savent ces pratiques. Ils savent que jamais on ne doit verser cet argent-là sur son compte bancaire. Seul un fou ou un imbécile peut avoir l’idée insensée (n’est-ce pas ?) de porter sur son compte le salaire de son travail !

Pour la bonne raison que cet argent est sale. Même si le travail est propre.

Colliard m’avait bien dit de n’en parler à personne. Et précisé que ma rémunération n’était « évidemment » pas à signaler au fisc. Agrégé de droit public, ex-doyen de fac (et futur membre du Conseil constitutionnel !), Colliard savait qu’il s’agissait d’une acrobatie interdite. Moi, beaucoup moins : en ce lieu (l’Elysée) et cette circonstance, l’idée ne m’a pas traversé que cette formule biscornue n’était pas « bordée », éprouvée.

J’entrais au service direct du PR, et cela très officiellement. Je me croyais protégé. 

Je fis avec l’ami et alter ego Pilhan mon travail de façon suffisamment efficace pour contribuer à la réélection de François Mitterrand en 1988, alors que je ne consacrais hélas pas une seconde d’attention à mon mode de rémunération.

Mitterrand réélu, voilà Rocard. Les relations entre le Président-triomphant et le Premier ministre-obligé sont telles qu’une mission de bons offices est immédiatement décidée.

Pilhan et moi sommes chargés par les parties de prévenir et de régler tout différend entre eux perceptible par l’opinion : « papa et maman ne s’aiment pas mais ils font l’effort de rester ensemble à cause des enfants ». Et les enfants, ce sont les Français. Soit une application de notre principal savoir-faire : positiver l’inconvénient.

Cette mission nous était rémunérée 40.000 francs (6 K€) par mois, remis contre un reçu, à Matignon, en billets de 500 F directement issus de la Banque de France, sur fonds secrets dits « spéciaux », par le chef de cabinet du Premier ministre, Yves Colmou. Un arrangement monté et chiffré par le dircab du PM, Jean-Paul Huchon.

Décidément fou ou imbécile, je récidive et dépose sur mon compte mes paquets de billets neufs. Ce qui génère des écritures bancaires indélébiles. Ce sont ces écritures, portées à la connaissance de votre administration, qui me valent aujourd’hui encore vos poursuites. 

Preuve d’acharnement ? Le montant des sommes reçues a été doublé ! Au motif que je ne peux prouver que cet argent accepté, d’une part, et celui versé sur mon compte, d’autre part, c’est le même ! « Vous auriez dû relever le numéro des billets », m’a-t-on objecté !

Votre administration prélève sur ma retraite le maximum de ce que vous permet la loi alors même que cette retraite (à ce jour de 2.450 €/mois) s’est vue amputée du bénéfice de 28 trimestres eu égard à mon non-contrat de travail pendant les années où j’ai été conseiller des numéros un et deux de la République française.

Votre administration, autre preuve de son acharnement, a requalifié toutes les sommes perçues en salaires dissimulés et en fonds d’origines indéterminées, frappées de pénalités de mauvaise foi et d’intérêts depuis plus de vingt ans.

Le tribunal administratif, dont j’ai demandé l’arbitrage, à qui j’ai dit toute la vérité, a nié le principe même de ces pratiques au motif que, « aujourd’hui révolues (sic), elles sont réputées n’avoir jamais existé (re-sic) ».

Décision de première instance confirmée en appel.

Le Conseil d’État sollicité en vue de Cassation n’a pas estimé ma requête recevable.

Tous les magistrats, ayant eu à en connaître, savent.

Ils savent, et nient : l’autorité de l’État étant sans doute en cause.

Mais quel Etat ? Celui de l’Elysée et de Matignon ? Ou celui de Bercy ? 

La Cour européenne, à qui je souhaite en appeler, ne peut être saisie, puisque le cas n’est pas prévu. Inconcevable, il est vrai, que l’employé du président de la République et du Premier ministre d’un pays hyper-démocratique se réclamant de la Civilisation Européenne soit poursuivi pour n’avoir pas respecté l’usage : ne pas laisser de traces !

Un  « pas-vu-pas-pris » institutionnel !

Car, bien sûr, si je n’avais pas fait apparaître ces émoluments, fruits de mon travail, sur mon compte bancaire ainsi que se gardent bien de le faire tous les collaborateurs de Présidents et de chefs de gouvernements du beau pays de France depuis ¾ de siècle, il ne me serait rien arrivé. 

Bref, en dévoilant la chose, j’ai fait un mauvais usage d’un usage.

Soit ! Mais cela vaut-il plus de vingt années de poursuites, de tracas, de soucis incessants ?

Et d’une interdiction de travail de fait, par saisie à la source sur revenus. Augmentée de contrôles fiscaux opérés chez tous ceux qui ont eu, depuis, l’audace de m’employer.

De l’obligation d’une vie si modeste qu’elle voisine parfois avec la honte ?

Bref d’une punition tout à fait injuste et disproportionnée ?

J’ai reçu au total en 7 ans pour gage de mon travail environ 340.000 €.

D’après vos décomptes, votre administration m’a déjà repris à ce titre 380.000 €, prélevés directement sur mon compte, en saisie sur mes revenus, et par captation totale des héritages de ma mère, puis de mon père.

Ma fille Clémentine et mon fils Gautier se verront, en l’état, contraints à ma mort de refuser le mien, d’héritage, sans quoi tracas et dettes leur seront transmis.

J’estime que cela suffit.

J’ai déjà rendu, et au-delà, l’équivalent de cet argent sale. Moi qui travaille depuis l’âge de 15 ans, qui n’ai jamais été à la charge de la société, j’aurai donc exercé mes hautes fonctions bénévolement pendant 7 années puisque les sommes reçues ont été reprises. 

Je dénonce ici l’agissement dont vous êtes l’instrument.

Vous êtes maintenant informé et avez toute liberté pour faire remonter l’information jusqu’au ministre du budget si d’après vous besoin est, et même jusqu’au Premier ministre et au président de la République, successeurs.

Ils héritent de toutes les situations, celle-ci comprise.

Quelqu'un enfin décidera de ce qui est juste, vous déchargeant ainsi de la tâche à laquelle vous êtes obligé. 

Veuillez agréer, Monsieur, mes sentiments les plus sincères. 

Gérard Colé

* Ce verbatim est celui de mon livre Le Conseiller du Prince paru en septembre 1999 (et retiré de la vente sept semaines plus tard par mon éditeur « cédant aux amicales pressions de… ») qui relate des faits à ce jour nullement contestés par qui que ce soit, faits dont plusieurs personnes peuvent témoigner aujourd’hui encore.

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