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Le bon chef ne fait pas son chef, par François Bégaudeau

Dans sa chronique pour le cahier « Brésil 2014 »,  l’écrivain estime que c’est l’absence de Franck Ribéry au Mondial qui a libéré le collectif des Bleus.

Publié le 25 juin 2014 à 12h39, modifié le 19 août 2019 à 14h50 Temps de Lecture 2 min.

On ne saura jamais les causes exactes de l’étrange forfait de Ribéry. Ce qu’on sait, ce qu’on a bien vu, c’est qu’il fut, consciemment ou non, un soulagement pour le sélectionneur. La science de Deschamps ne pouvait pas ignorer qu’une seule donnée était susceptible de perturber l’équilibre établi depuis la victoire en barrage : que Ribéry soit de la partie brésilienne.

Est-ce une affaire de niveau ? Evidemment pas. Ribéry est l’un des meilleurs attaquants du monde. Le problème est d’un autre d’ordre. Le problème est qu’il s’est arrogé la place de leader laissée libre par le départ têtu de Zidane en 2006, et qu’il n’est pas un bon leader.

On ne parle pas de son rôle dans les vestiaires, ni de la grève de Knysna, dont il aurait été un des initiateurs sans l’assumer, ni des brimades jamais avérées que ce caïd aurait fait subir au pauvre petit Gourcuff. On ne parle pas du meneur mais du meneur de jeu.

Qu’est-ce qu’un bon meneur de jeu ? Celui qui fait jouer les autres. Celui qui donne du talent à ses partenaires – qui actualise leur puissance, aurait dit Spinoza, grand supporteur de l’Ajax. Ribéry a toujours donné l’impression contraire : celle de vouloir tout faire tout seul, de tout prendre en charge, et par suite de brimer plus qu’épanouir les dix autres. Une certaine bienveillance mettait ça sur le compte de sa « générosité », mais la vérité est plus sèche : pendant huit ans, la présence de Ribéry aura bouffé l’énergie de cette équipe, énergie que son départ a indéniablement libérée. C’est physique, c’est scientifique.

On dit que le Brésil est une équipe moyenne malgré les performances de Neymar. On marche sur la tête. Le Brésil est une équipe moyenne parce que Neymar est au top. A côté de ce monstre qui brille par ses percées solitaires plus que par ses passes, et qui aimante tous les ballons, un Oscar, omniprésent à Chelsea, n’existe plus. Ni un Hulk, ni un Fred, ni personne. On devrait donc plutôt se demander si le Brésil parviendra à gagner son Mondial malgré Neymar.

Cette équation énergétique vaut aussi pour un Cristiano Ronaldo ou un Messi en sélection nationale : ils ne font pas exister les autres, les autres existent pour eux. Ou plutôt meurent pour eux. Se sacrifient, comme on dit d’un équipier qui mène le train pour son leader dans les premiers lacets d’un col du Tour. En cycliste, sport individuel, ca marche à tous les coups. Mais le foot, quoi qu’on dise, demeure un jeu collectif. Si vous étouffez le collectif sous le boisseau d’un seul homme, le jeu se venge.

Tout le monde ne serait pas forcément d’accord pour dire qu’Iniesta fut le meneur de jeu de la grande Roja aujourd’hui déchue. C’est bon signe. C’est la preuve que l’homme fit jouer plus qu’il ne joua, qu’il se fondit dans le onze espagnol pour, de l’intérieur, l’irriguer de son génie. Que son ego se satisfit de créer une beauté sans ego, une beauté des égaux. Il n’en demandait pas plus. Pressenti pour le Ballon d’or en 2012, Iniesta ne chiala pas de ne pas l’avoir, contrairement à certains gars du Nord, dont la lombalgie est peut-être une somatisation de cet échec. Il faut croire que Ribéry a des comptes à régler, des choses à prouver. Or, le bon chef, sûr de sa force, n’a rien à prouver. De même que le pouvoir politique serait mieux exercé s’il était par des gens qui ne l’ont pas voulu, le bon chef est celui qui n’aspire pas à l’être. 

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