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EnquêteMines et métaux

Les pétroliers relancent la bataille du gaz de schiste dans l’Aude et l’Hérault

Entre l’Aude et l’Hérault, une multinationale suédoise se prépare depuis 2009 à exploiter du pétrole de schiste. Mais la population s’y oppose de plus en plus et se mobilise ce samedi 28 juin à Argeliers (Aude) autour du slogan : « Ni ici ni ailleurs, ni aujourd’hui, ni demain ».


-  Toulouse, correspondance

« Ca fait plus de deux cent ans qu’ils en cherchent, s’il y avait du pétrole, ils l’auraient déjà trouvé », lance Ania, membre du Collectif Orb/Jaur non aux gaz de schiste. Loin des projecteurs, le 2 octobre 2009, l’Etat accordait un permis d’exploration à la société Lundin International SA, filiale du groupe Lundin Petroleum, sur une superficie de 2 348 km², le permis des « Plaines du Languedoc ». De la Montagne Noire à Pézenas, en passant par les plages méditerranéennes et les coteaux du Minervois, l’entreprise était libre de procéder à l’exploration du sous-sol pour y déceler gaz ou pétrole dans les couches schisteuses.

-  Télécharger la demande de permis :

Mais les permis d’exploration ne durent que cinq ans et celui de Lundin Petroleum expire à l’automne 2014. Ruben, militant de la commune de Quarante, explique : « Début juin, les maires des communes d’Argeliers, Montouliers et Ginestas ont été approchés par la société Athemis France, chargée par la multinationale Lundin Petroleum de réaliser des relevés sismiques ». Puis un représentant de la multinationale est venu voir les élus pour les rassurer : « Nous ne sommes là que pour faire des relevés ».

Les pétroliers refusent de s’expliquer

- La carte du permis -

Joint par téléphone, Alain Hontanx, directeur des opérations techniques chez Athemis France, répond à Reporterre que « pour le moment, nous n’avons aucun mandat de la part de Lundin Petroleum. Adressez vous directement à eux sur toutes ces questions ». Mais l’entreprise suédoise ne souhaite pas nous parler.

Les sondeurs se taisent donc. Ce sont les militants qui expliquent de quoi il retourne. Ainsi, Pierre, de Pézenas (Hérault) nous détaille le procédé : « Il s’agit d’amener de gros camions, des sondeurs sismiques, aux quatre coins d’un terrain de plusieurs hectares. Ces camions envoient des ondes dans le sol en le frappant avec une masse mécanique et des ordinateurs récupèrent les échos des vibrations, un peu comme un sonar ». Ainsi l’on reconstitue les différentes couches du sol et l’on peut repérer gaz ou pétrole enfoui.

Mais tambouriner ainsi par terre n’est pas sans risque. En Pologne et en Roumanie, notamment, de telles actions ont pu ainsi provoquer des fissures importantes dans des habitations ainsi que l’effondrement de routes. « Pour l’éviter, dit Ruben, la communauté de communes Canal-Lirou, les municipalités d’Argeliers et de Quarante, entre autres, ont pris des arrêtés d’interdiction de la circulation des poids-lourds et de ces engins de mesures sismiques. »

Selon lui, « ces mesures constituent la troisième phase du plan de l’entreprise. Elle a déjà recoupé toutes les données historiques et préparé de nouvelles hypothèses. Et la phase suivante sera logiquement celle de l’exploration ». Et cette fois les dégâts sont beaucoup plus importants puisque pour mener l’exploration du sous-sol, on utilise la même technique que pour l’exploitation : la fameuse fracturation hydraulique.

Un procédé interdit... en théorie

La loi de 2011 est censée interdire ce procédé de fracturation hydraulique consistant en l’envoi de produits chimiques à haute pression à mille mètre sous terre pour faire exploser la roche et libérer le gaz ou le pétrole. Interdite donc, sauf en cas de recherche ou d’étude sur les quantités disponibles. Ania ajoute : « Suite à la loi, tous les industriels ont dû réaliser un rapport sur leurs pratiques expliquant qu’ils ne recourraient pas à la fracturation hydraulique et qu’ils se contenteraient d’exploitation conventionnelle » sans devoir fracturer la roche, juste en récupérant le pétrole qui jaillit du sous-sol.

Sauf que dans son rapport sur le permis des Plaines du Languedoc, l’industriel suédois précise que ses explorations pourront être réalisées « à quelques milliers de mètres de profondeur ». Pour les opposants, c’est la preuve que les intentions de l’entreprise sont tout autres.

-  Télécharger rapport Lundin sur mode d’exploration :

Dans le Midi, les craintes concernent surtout la ressource en eau : « Dans notre région, il suffirait d’un seul forage d’exploration, même sans trouver de pétrole, pour polluer toutes les nappes phréatiques car elles communiquent entre elles ». En Pologne, les 50 000 habitants de Kutno ont vu l’eau de leur ville rendue non potable du fait des produits chimiques utilisés dans la fracturation hydraulique.

Ministère et Préfecture aux abonnés absents

Enfin, il y a le Grand Marché Transatlantique négocié actuellement qui pourrait remettre en cause toutes normes sociales et environnementales et avec, l’interdiction de la fracturation hydraulique. « Les deux sont liés. C’est pour ça qu’on est aussi très nombreux dans cette autre mobilisation ». Et les industriels ne s’y trompent pas, qui maintiennent la pression plus ou moins discrètement. Du côté des autorités publiques, c’est silence radio : le ministère de l’Ecologie n’a pas voulu répondre malgré nos relances, tout comme la Préfecture de l’Hérault, qui s’est refusée à tout commentaire.

Quoi qu’il en soit, pour contrer l’avancée des industriels, les opposants du Midi ont décidé de se regrouper. Ce samedi, ils se sont donné rendez-vous à Argeliers, au bord du canal du Midi pour une marche. « On est à quelques kilomètres de la stèle en l’honneur de la grève des vignerons de 1907. Ici, on n’est pas du genre à se laisser faire » prévient Ruben. Tous les collectifs de la zone et d’ailleurs ont été conviés. « Gaz de schiste : ni ici ni ailleurs, ni aujourd’hui ni demain » répètent-ils. Viendront notamment les collectifs d’Alès et Montélimar qui après un rassemblement de 25 000 personnes en 2011 avaient obtenu la suspension du permis de Villeneuve de Berg. Celui du Languedoc sera-t-il le prochain ?


LUNDIN, UN PETROLIER QUI S’ENTEND AVEC LES DICTATURES

Lundin Petroleum n’est pas une oie blanche. Cette compagnie suédoise a fondé sa fortune sur l’exploitation du pétrole au Qatar et possède également le permis d’exploration de gaz de schiste de Lorraine. Mais elle est aussi connue pour d’autres agissements moins glorieux. En 1984, elle s’est fait remarquer sur la scène internationale en extrayant de l’or en Afrique du Sud malgré le boycott de l’ONU. Egalement, selon de nombreuses ONG internationales, la compagnie est impliquée dans des déplacements forcés de population au Congo, au Soudan et en Ethiopie. Selon les informations du journal suédois The Local, depuis l’été 2010, le Bureau du Procureur (pour les affaires internationales) à Stockholm a lancé une enquête sur les opérations « criminelles » de l’entreprise au Soudan. Les groupes de défense des droits de l’homme comme Human Rights Watch ont notamment affirmé que le gouvernement a bombardé des villages, tué et expulsé la population locale dans la province de l’Unity State pour que l’entreprise puisse y chercher du pétrole sans être dérangée. Egalement, selon ce journal, Lundin s’est installé en Ethiopie dès 2006 en dépit du climat politique tendu. L’industriel aurait alors signé un contrat avec le pouvoir local qui se chargea de « nettoyer » les zones concernées : viols, villages brûlés et populations expulsées.

Le groupe a toujours démenti avoir été associé à ces évènements. Il n’en reste pas moins qu’en 2011 deux journalistes suédois partis sur place enquêter sur les activités de la branche Afrique du groupe ont été emprisonnés comme « terroristes » en Ethiopie pour avoir pénétré sur les zones vidées et interdites d’accès par le gouvernement local. Ils ont été libérés en 2012. Le ministre suédois des affaires étrangères, Carl Bildt, par ailleurs ancien dirigeant de Lundin Petroleum de 2000 à 2006, accusé de crimes de guerre, a estimé que les journalistes avaient pris des risques inconsidérés.
Sur toutes ces questions ainsi que sur celles concernant le permis des Plaines du languedoc, le service communication suédois de Lundin Petroleum n’a pas été « entiché » ni « intéressé » à nous répondre, malgré nos sollicitations répétées.

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