Billet de blog 1 juillet 2014

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Lula: «Il faut resserrer les liens entre les gauches européennes et sud-américaines»

Malgré la crise économique, la construction de l'Union européenne reste un modèle pour les autres régions du monde, explique l'ancien président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva. Pour surmonter cette crise, il plaide pour des réponses politiques plus qu'économiques, pour une « nouvelle utopie » mais contre l'austérité.

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Malgré la crise économique, la construction de l'Union européenne reste un modèle pour les autres régions du monde, explique l'ancien président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva. Pour surmonter cette crise, il plaide pour des réponses politiques plus qu'économiques, pour une « nouvelle utopie » mais contre l'austérité.


Je crois que la construction de l'Union européenne n'est pas seulement un héritage européen mais aussi une partie de l'héritage mondial. C'est une institution politique qui encourage les pays à travailler ensemble et augmente la coopération et l'intégration dans leurs régions. Elle a inspiré l'Amérique du sud avec le Mercosur et l'Union des nations d'Amérique du sud, et l'Afrique avec l'Union africaine et les communautés économiques régionales engagées désormais dans le développement du continent. C'est un exploit incroyable que des pays ayant été en guerre depuis des siècles se soient mis à travailler ensemble pacifiquement, afin de surmonter leurs différences par la voie du dialogue et de la politique et non par la force des armes. 

L'Europe a parcouru un long chemin

C'est peut-être difficile de percevoir cela en ce moment, surtout de l'intérieur d'une Europe qui souffre du chômage et de la perte des droits des travailleurs après des années d'une crise économique qui date de l'effondrement de Lehman Brothers en 2008. Et en particulier pour une génération qui a eu la chance de grandir dans une société développée et n'a pas eu à souffrir des affres de la guerre. Mais tout comme il est conseillé de prendre du recul pour discerner la magnificence d'un monument géant, certaines réalisations ne sont clairement visibles que lorsqu'elles sont vues d'une certaine distance et avec une dimension temporelle plus grande.

Les droits sociaux et le niveau de vie dont jouissent les Européens restent un objectif lointain pour les populations dans la majorité des pays du monde. L'État-providence est une grande réussite, le résultat de la lutte de générations et de générations de travailleurs. Nous, en Amérique latine, nous continuons à lutter pour l'atteindre, alors que vous, en Europe, vous devez vous battre afin de le protéger contre des initiatives opportunistes, apparues avec la crise économique, et qui visent à réduire les droits. 

La population active, la classe moyenne et les immigrants ne peuvent pas être tenus pour responsables de la crise causée par l'irresponsabilité du système financier. Les banques ont couru trop de risques de faillite en misant sur d'énormes investissements spéculatifs plutôt que sur des investissements productifs et responsables. Il n'est pas possible de laisser aux secteurs les plus vulnérables de notre société – les immigrants, les retraités, les travailleurs et les pays du sud de l'Europe – le paiement des factures au nom de l'avidité de quelques-uns.

Les ajustements brutaux imposés à la majorité des pays européens – justement dénommés l'« austéricide » – ont retardé sans raison la résolution de la crise. Le continent devra avoir une croissance vigoureuse afin de compenser les énormes pertes des six dernières années. Certains pays dans la région semblent être en train de sortir de la récession, mais la reprise sera beaucoup plus lente et bien plus douloureuse si les politiques d'austérité actuelles sont poursuivies. Plus que le fait d'imposer des sacrifices à la population européenne, ces politiques sont préjudiciables même pour ces économies qui ont réussi à résister, de manière créative, au krach de 2008, comme les États-Unis, les BRICS et une grande partie des pays en développement. 

Il nous faut une nouvelle utopie

Pour surmonter cette crise, nous avions besoin en 2008, et nous continuons à avoir besoin aujourd'hui, de décisions plus politiques que purement économiques. Il est essentiel de comprendre et d'expliquer aux peuples les origines de la crise actuelle. Les politiques, toujours analogiques dans un monde numérique, doivent être renouvelées pour s'engager dans un dialogue avec la société, afin d'identifier les problèmes et de créer de nouvelles solutions. Les décisions politiques ne peuvent pas simplement être externalisées, renvoyées à des commissions techniques, des organisations multilatérales ou des bureaucrates de troisième ou quatrième niveau. Les rôles des dirigeants et des partis politiques ne peuvent pas être remplacés dans une démocratie. Si des forces progressistes ne sont pas capables de présenter de nouvelles idées et de représenter les travailleurs et les jeunes générations, en proposant des avancées et de l'espoir, nous verrons malheureusement augmenter les voix qui encouragent la peur, l'intolérance et la xénophobie.

En mars, j'ai eu l'opportunité de parler à Rome avec le premier ministre italien, Matteo Renzi. Son courage et ses compétences pour essayer de sortir des anciennes impasses de la société italienne ont été récompensés par la population avec un vote massif en faveur du parti démocrate. La démonstration est claire qu'il est possible de surmonter le scepticisme grâce à la politique.

Nous devons créer un nouvel horizon historique. Pas une nouvelle théorie, mais une nouvelle utopie capable de motiver les populations et de servir d'horizon pour des forces progressistes en Europe. 

Repenser notre structure sociale

Le monde a changé au cours des trente dernières années. Mais au lieu d'abaisser les droits des travailleurs européens par rapport à la concurrence des travailleurs provenant des pays émergents, ce qui est nécessaire, c'est d'élever leurs niveaux de vie à des niveaux similaires à ceux des Européens. Il nous faut une vision plus large et plus généreuse de l'Europe, en tenant compte du fait qu'il est possible d'atteindre l'objectif d'un monde sans pauvreté.

Il y a trente ans, alors qu'une grande partie de l'Amérique du sud vivait des heures sombres avec la prolifération des dictatures sur l'ensemble du continent, la solidarité et le soutien de l'Union européenne et des partis progressistes furent d'une grande aide dans le renforcement des forces de gauche et la possibilité d'un retour à la démocratie dans notre région.

Aujourd'hui, suite à d'importants efforts populaires et politiques, notre continent est une région démocratique et pacifique, avec des progrès significatifs dans le développement économique et la lutte contre la pauvreté réalisés ces dix dernières années. 

En Amérique du sud, ce fut l'inclusion des couches les plus pauvres de la société qui a permis de propulser l'économie vers l'avant, en augmentant les revenus et la consommation, en créant de forts marchés internes qui ont permis un programme progressiste avec la promotion des droits sociaux et des droits des travailleurs. 

Au Brésil, les chiffres qui traduisent le mieux le succès de cette stratégie d'investissement dans les populations pauvres sont les plus de 20 millions d'emplois créés dans le secteur formel au cours des onze dernières années, les 36 millions de personnes qui sont sorties de l'extrême pauvreté et les 42 millions qui sont entrées dans la classe moyenne. 

Voir les pauvres comme une solution 

Je suis convaincu que la solution à la crise économique mondiale repose sur le combat contre la pauvreté à une échelle planétaire. Les prestations sociales ne doivent pas être vues comme simplement une dépense, mais plutôt comme un investissement dans les populations. Nous devons arrêter de voir les populations pauvres du monde comme un problème et commencer à les voir comme une solution, à l'intérieur des pays et à l'échelle planétaire.

Les investissements dans les programmes sociaux, la production agricole et les infrastructures dans les pays en développement, surtout en Afrique, peuvent créer de nouveaux emplois et un nouveau marché de consommation. Malgré la crise économique au niveau mondial, le PIB africain s'accroit constamment à des taux de 5 % et 6 %, en faisant de la place à la demande de marchandises plus sophistiquées et de services produits dans les pays riches et en contribuant à une reprise durable des économies de l'Europe et du reste du monde. 

L'Europe, qui a réussi à renaître après la dévastation des guerres de la première moitié du XXe siècle, est la preuve qu'il est possible, par l'intermédiaire de la politique et de la démocratie, d'améliorer le niveau de vie de la population. 

En Amérique du sud, une génération de dirigeants comme Dilma Rousseff, Cristina Kirchner, Michelle Bachelet, Pepe Mujica, Rafael Correa et Evo Morales, entre autres, ont réussi, contre une opposition conservatrice voire réactionnaire, à prendre le pouvoir par des voies démocratiques et à promouvoir d'importantes avancées sociales et politiques dans leur pays.

La contribution des forces politiques progressistes est cruciale pour nos continents. Par conséquent, il faut un dialogue politique plus direct et des liens plus resserrés entre les gauches européennes et sud-américaines. Ceci est important, non seulement pour nos régions mais aussi pour le monde entier.

Luiz Inácio Lula da Silva a été le 35e Président du Brésil (2003 à 2011), de même que le membre fondateur et l'ancien président du Partido dos Trabalhadores (Parti des travailleurs).

Cette tribune vient d'être publiée en anglais dans le quatrième numéro du magazine d'opinion publique européenne Queries et traduite en français et en espagnol en exclusivité pour Mediapart. Le trimestriel Queries est édité par la FEPS, le think tank des sociaux-démocrates au niveau européen.

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